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Deux des hommes participant à la battue avaient leur brevet de secouriste. Ils s’occupaient de Donny à présent, penchés au-dessus du canapé dans le grand salon, ils s’efforçaient de stopper les saignements. Charger Donny dans la barque avait failli le tuer. Il ne pouvait pas marcher, et il était difficile de trouver un endroit de son corps par où le prendre sans le faire souffrir. Ils avaient réussi à l’allonger sur le fond de la barque, et ils avaient gagné la rive. Il avait crié si fort durant le trajet que Faulds l’avait entendu depuis les bois, il les attendait sur le bord avec les deux agents en uniforme et une couverture déployée pour le transporter.

McCoy, Faulds et Wattie, lequel avait remis son pantalon et portait un maillot de corps trouvé dans l’armoire de Lindsay, se tenaient dehors, près des portes-fenêtres, et fumaient. Ils attendaient le verdict. Les deux agents avaient découpé des draps pour en faire des bandages. Faulds avait trouvé une trousse de secours dans la cuisine. Ne restait plus qu’à attendre et espérer.

– Donc, il était là depuis le début ? dit Faulds.

McCoy acquiesça.

– Bon Dieu, combien de fois j’ai regardé l’eau en me disant que j’irais bien faire une balade avec ce voilier.

– J’ai appelé le Central Hotel, dit McCoy. Son père n’y est pas. Je réessaierai dans une minute.

– Le pauvre mec devait nous entendre parler de lui dans le jardin, dit Wattie.

– Et tout ce temps, Lindsay était sur son lit d’hôpital, en sachant pertinemment ce qui se passait, dit McCoy. Et ça le faisait marrer.

Il cracha dans l’herbe. Pas question que Cavendish passe ça sous silence. Même si Lindsay mourait avant d’être inculpé, il allait veiller à ce que les journaux sachent tout de cette affaire. Il se tourna vers Wattie.

– Quand est-ce que Mary reprend le boulot au Record ? C’est…

– Inspecteur.

C’était l’un des agents, il se tenait sur le seuil de la porte.

– Vous voulez venir ?

McCoy jeta sa cigarette dans l’herbe et entra.

Heureusement pour lui, ils avaient enroulé Donny dans un drap avec un plaid par-dessus, on ne voyait donc plus ses plaies. Le visage du jeune homme était d’une pâleur cadavérique, il avait la peau collée aux os, les yeux fermés. Un instant, McCoy le crut mort, puis il ouvrit les yeux et le regarda.

– Vous pensez être capable de répondre à quelques questions ? demanda McCoy.

Il s’agenouilla à côté de lui et lui prit la main :

– Pressez ma main si la réponse est oui, d’accord ?

Un léger hochement de tête.

– Est-ce que c’est Lindsay qui vous a fait ça ?

Une pression de la main.

– Vous êtes au courant pour les attentats ?

Nouvelle pression de la main.

– Qu’est-ce qui doit arriver aujourd’hui ?

Il s’aperçut aussitôt que Donny ne pouvait pas répondre à cette question-là par oui ou par non. Il commençait à s’excuser quand Donny se mit à parler. McCoy dut se pencher pour l’entendre.

– Aujourd’hui, c’est le jour de Crawford. La plus grosse bombe.

– Vous savez où elle doit exploser ?

Donny secoua lentement la tête. Il tenta de parler, parvint tout juste à prononcer ces mots :

– Il voulait faire sauter la base…

– Prenez votre temps.

Il acquiesça. Réessaya.

– La base navale, mais il ne savait pas comment passer la sécurité.

Il se mit à tousser, du sang mêlé de salive coula sur son menton. McCoy l’essuya à l’aide du plaid.

– Il va frapper ailleurs. Un endroit qui choquera tout le monde.

– Vous savez où il est, là ?

Nouveau non de la tête.

– Vous avez une idée d’une cible possible ?

Des larmes coulèrent sur ses joues. McCoy pressa sa main.

– Ne vous en faites pas. Votre père est là. Il est venu pour vous chercher. C’est un brave homme, il comprend tout. Tout.

Il se demanda si Donny voyait ce qu’il voulait dire.

– On va vous emmener à l’hôpital, maintenant, on va vous soigner. Votre père y sera bientôt, d’accord ?

Donny hocha à nouveau la tête, et ses yeux se refermèrent.

McCoy se leva et prit l’agent à part.

– Qu’est-ce que t’en penses ? lui demanda-t-il.

L’agent était jeune, il n’avait pas plus de vingt-cinq ans. Ce qu’il en pensait se lisait sur son visage.

– Je ne suis pas médecin, mais il va très mal. S’il survit au trajet jusqu’à l’hôpital, il s’en tirera peut-être.

Il haussa les épaules :

– Je sais pas.

McCoy le remercia. Il se retourna vers Donny Stewart. Ce n’était qu’un jeune Américain solitaire en quête d’amis, et voilà où ça l’avait conduit. Il entendit une sirène d’ambulance qui se rapprochait. Le sort de Donny Stewart ne dépendait plus de lui, à présent. Ils l’avaient retrouvé. Ils n’avaient plus qu’à attendre que la bombe de Crawford explose et prier pour qu’elle ne fasse pas trop de dégâts. Mais le but de ce salaud-là était justement d’en faire le maximum.