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– Billy est mort, dit McCoy.

Cooper était appuyé contre l’évier dans la cuisine de Memen Road. Il avait une bouteille de lait à moitié vide à la main.

– Oui, j’ai appris ça, dit-il en s’essuyant la bouche. C’est malheureux.

– Il a été frappé si fort qu’il est mort d’hémorragie interne.

– C’est moche. Mais bon, y en a qui disaient que ça lui pendait au nez.

– Comme toi ?

Cooper termina son lait et posa la bouteille à côté de l’évier.

– Tu as une question à me poser, McCoy ?

– Pourquoi tu as fait tuer Jamsie Dixon par Jumbo ? Il n’est pas bien dans sa tête, Cooper, c’est un gamin. T’as déconné, là.

– Ah ouais ? Tu sais où il serait, Jumbo, sans moi ? Dans la rue, putain. À se faire foutre de sa gueule par tout le monde. Il finirait par sucer des vieux derrière St Enoch pour s’acheter à bouffer. C’est toi qui vas le prendre ? C’est toi qui vas lui filer un boulot ? Le nourrir ? Le consoler au milieu de la nuit quand il se met à chialer en repensant à sa mère qui l’attachait au radiateur et lui faisait bouffer de la pâtée pour chien ? Le traitait de mongol avant de le brûler avec sa cigarette ? C’est toi qui vas faire tout ça, hein ?

McCoy secoua la tête.

– C’est bien ce qui me semblait. Alors ferme-la.

La respiration de Cooper devenait bruyante. C’était mauvais signe.

– Comment tu l’as su, d’abord ?

– C’est important ? T’inquiète pas, je sais que c’est pas toi qui as tué Billy. Toi, tu t’es débrouillé pour être à la boxe avec Stewart. C’est pour ça que tu voulais que j’arrête Jumbo, pas vrai ? Ça ne pouvait pas être lui non plus, puisqu’il était en cellule. Rien qui permette de remonter jusqu’à Stevie Cooper. C’est Desy Dixon qui a fait le coup, hein ? Il a fini par venger son frère. Le problème, c’est qu’il s’est gourré de mec, et maintenant Billy est mort.

Cooper haussa les épaules, mais McCoy le lisait dans ses yeux, il ne s’attendait pas à ce qu’il comprenne.

– Newcastle. J’ai vu le billet de train. La gare la plus proche de Gateshead. T’es allé là-bas pour lui dire que c’était Billy Weir qui avait tué son frère, pas vrai ? T’as allumé la mèche et t’as attendu tranquillement que Desy Dixon fasse le sale boulot à ta place.

Il voyait les mains de Cooper serrées sur le bord de l’évier. Les jointures de ses doigts blanchissaient.

– Dis-moi. Billy complotait vraiment avec William Norton pour t’éliminer, ou il commençait juste à t’agacer ? Il devenait trop indépendant, trop copain avec Norton pendant que tu étais à Peterhead ?

McCoy se demanda jusqu’où il pouvait pousser le bouchon. Il vit au regard de Cooper qu’il était peut-être déjà allé trop loin. Inutile de s’arrêter à présent.

– Iris t’a monté la tête, c’est ça ? J’ai appelé Peterhead ce matin. C’est la seule autre personne qui soit venue te voir. Et toi, t’es tombé dans le panneau, hein ? Elle n’a jamais aimé Billy, elle a toujours voulu se débarrasser de lui, et apparemment elle a obtenu satisfaction, hein ? Elle t’a manipulé comme une…

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase, Cooper avait déjà bondi. Deux coups de poing sec au visage, et McCoy se retrouva au sol. Cooper était à cheval sur lui, les genoux sur ses épaules.

McCoy ne put s’en empêcher :

– J’ai toujours su que tu étais un salaud, Cooper, mais je n’avais pas mesuré à quel point tu étais con.

Il sentit les premiers coups, puis ce fut le trou noir.

Il faisait nuit quand il rouvrit les yeux. Il était allongé sur le sol, il voyait des taches de sang sur le parquet. Il se toucha le visage, sentit le sang séché. Il avait mal aux yeux. Tout était un peu flou. Il comprit qu’il se trouvait dans la pièce du fond de Memen Road. Celle où les gens étaient traînés en hurlant. Celle où Cooper effectuait ses pires besognes. Il gémit. Se hissa en position assise.

Il distingua une silhouette contre le mur d’en face. Il reconnut Cooper à son maillot de corps blanc, à ses cheveux blonds. Il le vit porter une bouteille de whisky à sa bouche et en boire une grande lampée.

– Toujours vivant, hein ? dit-il.

– Tout juste, dit McCoy.

Cooper lui tendit la bouteille, et il la prit, but une gorgée. D’abord un froid liquide, puis des brûlures sur les coupures de sa bouche. Il rendit la bouteille. Il plissa les yeux, réussit à voir Cooper plus nettement. Quoi qu’il lui ait pris, l’orage semblait passé. Il était à nouveau dans son état normal.

– Comme toujours, McCoy, t’es moins malin que tu crois.

– C’est-à-dire ?

– Billy n’était pas le type sympa que tu imaginais. Que j’imaginais, moi.

Cooper but à nouveau à la bouteille.

– J’ai cru que c’était mon copain, que je pouvais tout lui dire. On s’est bourré la gueule un soir, juste avant que j’aille à Peterhead, on s’est bourré la gueule et défoncés.

Il but à nouveau.

– Et je lui ai raconté ce qui m’était arrivé dans certains foyers. Je lui ai dit ce que m’avait fait le gardien de nuit de chez Barnardo’s.

Un flamboiement apparut tandis que Cooper allumait une cigarette. Il n’avait raconté l’histoire à McCoy qu’une fois, sous l’effet de l’alcool. Il avait pleuré ensuite. C’était la seule fois où McCoy avait vu Cooper pleurer.

– Sur Iris aussi, tu te plantes, gros malin. Elle était à la maison un soir, elle a entendu une conversation entre Billy et Norton. Billy se vantait d’avoir payé l’équipe de démolissage pour qu’ils me tabassent et m’enfoncent une matraque dans le cul parce que ça allait « me rendre dingue ».

Nouvelle lampée de whisky.

– Et ils l’ont fait. Et ça m’a rendu dingue. Je suis resté à l’isolement deux mois, sous surveillance anti-suicide. J’en avais plus rien à foutre de ce qui pouvait m’arriver, plus rien à foutre du bizness. Exactement comme Billy l’avait prévu. Iris a appris dans quel état j’étais, elle est venue me dire ce qui s’était passé.

– Merde, Stevie, je ne me rendais pas compte…

– Non, parce que t’es le flic et que je suis le voyou. Toi, tu sais tout, et moi je sais rien, je sens rien. Je bois, je baise et je gagne ma croûte en tapant sur les gens.

Cooper n’avait pas tout à fait tort. McCoy avait oublié avec les années que Cooper avait souffert autant que lui, et que le fait que ça ne se voyait pas n’y changeait rien.

– Alors, pourquoi t’es là, McCoy ? Qu’est-ce que tu veux cette fois ? Qu’est-ce que je peux faire d’autre pour aider Harry McCoy. Après tout, je suis là pour ça, non ?

– Stevie…

Cooper leva la main.

– Non, dis-moi.

Il sourit :

– Que je me fasse pardonner de t’en avoir mis plein la gueule.