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– Qu’est-ce qu’elle a dit, Mary, quand elle a vu ton dos ? demanda McCoy en s’asseyant à son bureau.

– Elle ne l’a pas encore vu. J’ai dormi sur le canapé, elle a dit qu’elle avait besoin de bien dormir sans m’entendre ronfler, qu’elle avait du sommeil en retard à cause du môme.

Wattie le dévisagea.

– La vache… Qu’est-ce qui vous est arrivé à la figure ?

– Je suis tombé. Viens, tu peux m’emmener à l’hôpital. J’ai à te parler.

Ils montèrent dans la voiture, sortirent de la cour et se mêlèrent à la circulation.

– Je veux que tu m’écoutes, dit McCoy. Je ne te le répéterai pas deux fois. Voilà ce que tu vas dire à Murray.

– OK, dit Wattie, méfiant.

– Tu vas lui dire que tu as été un peu préoccupé ces derniers temps parce que tu dragues un nouvel indic. Il est fuyant, il a peur de se faire choper, mais il a parlé. Il t’a dit que Desy Dixon avait tué Billy Weir. Parce que Billy avait tué son frère Jamsie…

– Billy a fait quoi ?

– Je suis sérieux, Wattie. Écoute. Billy Weir a tué le frère de Desy, et Desy l’a tué. Il l’a roué de coups, il était donc couvert de sang. Il a laissé une chemise et une veste au fond d’une des poubelles derrière chez le primeur de Clyde Street. Fais fouiller les poubelles, tu vas les trouver. Elles seront couvertes du sang de Billy. C’est réglé. Jamsie Dixon tué par Billy. Affaire résolue. Billy Weir tué par Desy Dixon. Affaire résolue. Tu as élucidé deux meurtres. Tu vas être un héros. T’as pigé ?

Wattie acquiesça.

– Mais il y a un truc que je comprends pas, comment…

– T’as pas besoin de comprendre, Wattie. T’as juste besoin de faire en sorte que ça marche. C’est le gros coup dont tu as besoin pour te mettre Murray dans la poche. Te foire pas. Allez, gare-toi.

Wattie s’exécuta, et McCoy sortit en le laissant abasourdi au volant. Cooper lui avait tout raconté. Desy Dixon lui avait demandé de lui apporter de quoi se changer une fois sa tâche accomplie. Les vêtements ensanglantés avaient été jetés à la poubelle. Avec un peu de chance, ils y étaient encore.

McCoy gravit les marches du Royal, ouvrit la porte. Une réceptionniste l’informa qu’Andy Stewart se trouvait dans le pavillon numéro deux.

 

Stewart était assis dans son lit quand McCoy entra. Il avait un bras coupé au-dessous du coude et enveloppé de bandages, le visage parsemé de coupures, mais il avait l’air heureux.

– Je crois que votre carrière de boxeur est terminée, dit McCoy. Comment va Donny ?

– Je l’ai vu ce matin.

Le visage de Stewart s’obscurcit.

– Ses blessures physiques guériront, mais ce n’est pas pour elles que je m’inquiète. On ne sort pas indemne de ce qu’il a vécu. Le chemin va être long. Très long.

– Vous sortez quand ?

– Demain. Mais je serai là tous les jours avec Donny en attendant qu’il aille mieux.

Des larmes brillaient dans ses yeux, ses doigts tiraient sur un fil de la couverture qu’il avait sur lui.

– Vous avez sauvé beaucoup de gens, Andy. Vous pouvez être fier.

Stewart s’essuya les yeux.

– Nous avons sauvé beaucoup de gens, corrigea-t-il. J’espère qu’on va vous augmenter.

– Il doit y avoir de ça. Le patron veut me voir demain.

– Vous le méritez. Sans vous, Donny serait mort.

– Il a dit quelque chose sur les bombes ? Sur Lindsay ?

Stewart acquiesça.

– Il a dit qu’il ne savait pas pour les bombes avant d’aller chez Paul Watt. Il croyait que c’était un groupe de militants, qu’ils organisaient des manifestations, ce genre de chose. Il pensait que Lindsay n’était pas au courant, que c’était pour ça qu’il était retourné chez lui. Pour le prévenir.

Il se remit à pleurer. McCoy s’assit à côté de lui sur le lit et passa un bras autour de ses épaules. Il ne lui en voulait pas. Donny avait une chance sur deux de s’en tirer, et même s’il s’en tirait il était difficile d’évaluer quelles séquelles psychologiques il garderait. L’épreuve qu’il avait vécue avait de quoi rendre fou n’importe qui.

Il laissa Stewart là, lui dit qu’il repasserait le voir le lendemain matin. Il avait quelque chose à faire immédiatement. Il restait peu de temps. Il monta par l’escalier à l’étage supérieur. L’étage de Lindsay. Il ignorait s’il devait croire ou non l’histoire de Donny Stewart. Mais bon, ce n’était pas lui que Donny devrait convaincre, ce serait un jury. Une douleur vive à l’estomac l’arrêta un instant. Il farfouilla dans sa poche. Jura. Il avait oublié son Pepto-Bismol chez lui. Il ne se rappelait pas à quand remontait la dernière fois qu’il avait mangé quelque chose de solide. Il avait mal lorsqu’il mangeait, mal lorsqu’il ne mangeait pas.

Il salua de la tête l’agent en faction, poussa la porte et entra dans la chambre de Lindsay. La situation avait évolué. L’odeur de pourri était à présent plus forte que celle de Javel. Lindsay était adossé à des oreillers dans son lit. Il avait désormais plus l’air d’un squelette que d’autre chose, mais son regard était alerte. Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il s’aperçut de la présence de McCoy.

Celui-ci s’assit dans le fauteuil à côté du lit et le regarda.

– On va vous effacer, lui dit-il. L’armée et le MI5 vont faire en sorte qu’il ne reste aucune trace de vous. Votre glorieuse carrière militaire, vos attentats, vos meurtres – envolés. Ce sera comme si vous n’aviez jamais existé.

Lindsay le dévisagea, de la peur apparut sur son visage.

– On ne peut pas faire ça, dit-il.

– C’est déjà fait.

– Crawford poursuivra mon…

Lindsay s’interrompit, il avait du mal à respirer.

– Crawford est mort, dit McCoy. Il s’est jeté sous un train à Greenock ce matin. Il a dû se rendre compte que vous aviez bousillé sa vie. Comme vous avez bousillé celle de tant d’autres gens. Et tout ça pour rien.

McCoy se leva, prit le flacon de morphine sur le casier et le tendit à Lindsay.

– Buvez, dit-il. Ou c’est moi qui vous tuerai et je vous jure que ça va faire mal.

Lindsay le regarda. Il prit le flacon, mit ses lèvres autour de la paille. Ses joues se creusèrent tandis qu’il aspirait le liquide.

– Tout, dit McCoy.

Lindsay réussit à en boire les trois quarts avant de laisser tomber le flacon sur les draps, les yeux fermés, et de pousser son dernier soupir.

McCoy le laissa là et reprit le couloir en direction de l’escalier. Une douleur horrible s’empara à nouveau de son estomac. Il s’efforça de respirer lentement, attendit que la vague passe. Il fallait qu’il trouve une pharmacie rapidement et qu’il rachète du Pepto-Bismol. Il descendit quelques marches, mais la douleur était telle qu’il ne put bientôt plus avancer. Il s’assit dans l’escalier, essaya de respirer. Puis il vomit. On aurait dit de la boue, rayée de filets de sang rouge vif. Il mit sa main devant sa bouche, le sang coulait sur son menton. Il s’appuya contre le mur, il n’avait jamais ressenti une douleur pareille. Il vomit à nouveau. Il entendit des pas dans l’escalier. Il leva les yeux : c’était le Dr Basu.

– Monsieur McCoy ! Ça va ?

McCoy réussit à secouer la tête.

– Je crois pas.