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– Les résultats sont arrivés.

McCoy regarda le médecin. Ça ne l’avait pas vraiment préoccupé, mais il fut soudain un peu inquiet. Il était venu consulter quelques semaines plus tôt, ses maux d’estomac étaient devenus insupportables. Il avait des difficultés à manger, souffrait en quasi-permanence. Le médecin l’avait envoyé à l’hôpital, où il avait avalé une mixture farineuse avant de passer une radio.

– Bon, dit-il.

Le médecin, un Dundonien à l’air revêche et avec une moustache en guidon de vélo, retira sa branche de lunettes de la bouche, reposa la radio et leva les yeux vers lui. Il sourit.

– Apparemment, monsieur McCoy, vous êtes atteint d’un ulcère peptique.

– Un quoi ?

– Un ulcère sur la muqueuse de votre estomac. C’est ce qui provoque les douleurs dont vous vous plaignez.

– Bon Dieu.

– Si vous voulez bien vous abstenir de blasphémer…

– Désolé, dit McCoy, qui ne l’était pas. Et maintenant, alors, qu’est-ce que je fais ?

– Vous arrêtez l’alcool et le tabac, et vous mangez des plats peu relevés, des aliments blancs, principalement. Du poisson bouilli, du porridge, du lait, du riz, du pain de mie, non grillé. Ce genre de choses. En cas de crise, buvez du Pepto-Bismol.

McCoy retint de justesse un nouveau « bon Dieu ».

– Si vous respectez ce régime, la douleur devrait se calmer. Vous êtes policier, vous devez avoir un métier stressant, des horaires irréguliers, tout cela n’aide pas. Essayez de prendre soin de vous. C’est le meilleur conseil que je puisse vous donner. Hélas, il n’existe pas de traitement qui soit très efficace contre ce type de lésion. Tout est entre vos mains, je regrette.

McCoy s’arrêta dehors, devant le cabinet, et alluma une cigarette. Ses vêtements sentaient encore la fumée de l’appartement. À trente-deux ans, il se retrouvait avec un ulcère ? Il croyait que c’était réservé aux vieux et aux gros, ces trucs-là. Un homme sortit du magasin de vins et spiritueux d’en face, les bras chargés d’un sac plastique où tintaient des bouteilles, il se mit à courir pour prendre le bus. Une chose était sûre : il n’était pas question que McCoy arrête le tabac et l’alcool, ce n’était même pas envisageable. Si ça ne lui laissait qu’un régime d’aliments blancs et le Pepto-Bismol, soit. Il consulta sa montre. Il était temps de se mettre en route s’il voulait être à l’heure à Greenock. Il traversa la rue pour regagner sa voiture. Ce diagnostic avait au moins un avantage : c’était l’excuse parfaite pour ne pas avoir à bouffer des chinoiseries dégueulasses ce soir-là.

Il réussit à arriver à Greenock juste après six heures. Le père de Wattie – « Appelez-moi Ken » – le conduisit dans un petit séjour bien rangé. Papier peint texturé beige et moquette verte à motifs tourbillonnants, une table basse sur laquelle était posée une assiette de sandwichs à la purée de saumon. Un radiateur électrique à trois résistances fonctionnait à pleine puissance. Home sweet home.

Assise sur un canapé en skaï près de la fenêtre, Mary, la compagne de Wattie, avait l’air de ne toujours pas en revenir de ce qui lui était arrivé. McCoy était un peu surpris, lui aussi, plus habitué à la voir dans des salles de rédaction et sur des scènes de crime que sur un canapé, un biberon dans une main et un koala en peluche dans l’autre.

– Comment tu vas ? demanda McCoy en s’asseyant à côté d’elle.

– Je suis épuisée, répondit-elle, maussade. Et moi qui me plaignais de ne faire que bosser. Je passais mon temps derrière mon bureau, à boire du thé et à fumer des clopes. Je ne savais pas ce que c’était que la vie. Il paraît que tu as vu une scène d’explosion, aujourd’hui ?

Toute sa vie antérieure de journaliste n’avait donc pas été happée par le petit Duggie et les couches. Son goût pour les fringues non plus, manifestement. Elle portait une sorte de jupe courte en jean, des bottes rouges à semelles compensées et un tee-shirt violet montrant un auto-stoppeur encadré par l’inscription KEEP ON TRUCKIN’.

McCoy confirma de la tête.

– Un abruti s’est fait sauter la gueule avec sa propre bombe.

– Les Renseignements reprennent l’affaire ?

Nouveau hochement de tête de McCoy, qui accepta le verre que lui proposait Appelez-moi-Ken.

– Douglas est allé montrer le bébé aux voisins, expliqua celui-ci. Il revient dans une minute.

– Ne vous inquiétez pas, dit McCoy, je le vois suffisamment au travail.

– Ce n’était qu’une question de temps, j’imagine, reprit Mary. Les attentats à la bombe. Londres, Birmingham, Manchester. Ça devait finir par arriver ici.

– Oui, apparemment.

– Super ! Y a une actu brûlante, et moi je suis là à fourrer des mouchoirs en papier dans mon soutif pour éponger les fuites et à chanter « Coulter’s Candy » toutes les cinq minutes.

McCoy sourit.

– Tu ne laisserais ta place pour rien au monde.

– Tu rigoles ! Si on pouvait s’offrir une nounou à plein temps, je n’hésiterais pas une seconde. Mais c’est pas au programme, à moins de gagner au loto.

Elle soupira.

– Alors, qu’est-ce qui se passe d’autre dehors, dans le grand méchant monde ?

– Pas grand-chose. Je me suis pris une soufflante par Murray hier. À cause de toi.

– De moi ?

– Il revenait de Pitt Street. C’est la réaction en chaîne. On gueule sur lui, il gueule sur moi. Le Daily Record est en croisade en ce moment. « Violence dans nos rues » en une et sur la moitié des pages à l’intérieur.

– Ils font ça tous les deux, trois ans. Ça veut dire qu’ils n’ont rien d’autre à raconter.

– Je le sais, tu le sais. Faudrait juste que quelqu’un en informe Pitt Street.

Ils levèrent les yeux tandis que la porte du séjour s’ouvrait et que Wattie apparaissait avec le bébé dans les bras, un grand sourire sur le visage.

– Je t’avais dit qu’il serait ravi, souligna McCoy. Il est né pour être père.

– Papa ! fit Wattie. Va chercher l’appareil photo. J’en veux une du bébé avec son parrain.

McCoy se leva, et Wattie lui colla le bébé dans les bras. Aussitôt, les souvenirs l’envahirent. Ce fut l’odeur le déclencheur, une odeur de talc, de laine et de lait. Il ne lui semblait pas avoir porté un bébé depuis Bobby.

– Ça va ? demanda Mary.

Il acquiesça. Bizarrement, ça allait. Le petit Duggie était un poupon magnifique, avec une touffe de cheveux blonds et des yeux bleus somnolents. Un déclic, l’éclair d’un flash, et ce fut terminé. Wattie reprit son fils, l’approcha de la joue de McCoy en lui disant : « Fais un bisou à tonton Harry », et le bébé lui bava obligeamment sur la joue.

Wattie eut l’air inquiet et se mit à renifler.

– Encore ?!

Il flaira les fesses du bébé.

– Je crois que sa couche est sale, dit-il en tentant de le donner à Mary sur le canapé.

– Qu’est-ce qui t’arrive ? dit Mary. Tes mains ne fonctionnent plus, tout d’un coup ?

– Ce n’est pas un travail d’homme, ma belle, dit Appelez-moi-Ken.

Voilà qui scella le sort de Wattie.

– La table à langer est à côté, dit Mary. C’est ton fils autant que le mien. Au boulot.

Wattie grommela quelque chose entre ses dents et se dirigea vers la porte alors qu’Appelez-moi-Ken secouait la tête.

– Tu as bien raison, dit McCoy. Angela faisait pareil avec moi.

– Tu as de ses nouvelles ? demanda Mary.

– Non, pas depuis un moment. Elle est toujours aux États-Unis, je crois.

Un cri se fit entendre dans la chambre.

– Mary ! Où est le talc ?

Mary roula des yeux et se leva.

– La veinarde.

Ils burent encore quelques verres dans l’appartement, on reprit quelques photos de Harry tenant le petit Duggie qui sentait bon à présent, changé et empaqueté dans une combinaison tricotée par la mère de Mary, puis Appelez-moi-Ken annonça qu’il était temps de se diriger vers le chinois redouté.

– T’y es déjà allé ? demanda discrètement McCoy à Mary.

Celle-ci se retourna pour se cacher d’Appelez-moi-Ken.

– Une horreur, répondit-elle entre ses dents. Surtout, évite le porc.

McCoy hocha la tête. Mary aurait mangé n’importe quoi. Si elle disait que c’était mauvais, il se garderait bien d’y toucher.

McCoy, Wattie et Appelez-moi-Ken sortirent de l’allée. McCoy se sentit légèrement étourdi au contact de l’air frais, il avait dû boire un peu plus qu’il ne l’avait cru. Le père de Wattie habitait sur une colline derrière le centre-ville. De là-haut, on voyait les chantiers navals et tout l’estuaire de la Clyde. Au loin, des montagnes aux sommets enneigés rosissaient dans le jour déclinant.

– C’est le pays de Dieu, ici, dit Appelez-moi-Ken tandis qu’ils commençaient à descendre. C’est la plus belle vue du monde.

C’était peut-être « le pays de Dieu » de l’autre côté du fleuve, dans les montagnes et près des lacs de l’Argyll, mais à Greenock, on en était loin. Toute la ville semblait grise, les gens marchaient d’un pas pressé, la mine sombre, emmitouflés pour se protéger du vent froid soufflant du large. Ils passèrent devant des magasins fermés, les planches barricadant leurs vitrines recouvertes de graffitis. Un groupe de jeunes était assis sur une voiture abandonnée au pare-brise éclaté, un feu brûlant dans une poubelle métallique éclairait la scène. Et au coin des rues, comme à Glasgow, il y avait les inévitables jeunes durs avec leurs bombers et leurs pantalons larges. L’air grimaçant, ils se passaient des cigarettes et des canettes, ils cherchaient la bagarre.

Comme prévu, le restaurant chinois était un ignoble boui-boui, ce qui n’empêcha pas la troupe de s’y engouffrer. Les deux frères de Wattie arrivèrent en même temps qu’eux. Tous deux ressemblaient à Appelez-moi-Ken – cheveux bruns, dans les un mètre soixante-dix. C’était à se demander si Wattie n’était pas le fils du facteur. James était menuisier, Robby plombier. De braves garçons, et quelle descente ! On commanda de nouvelles pintes, des rouleaux de printemps, des travers de porc, du poulet au curry, des nouilles sautées, puis, pour terminer, des doubles brandies et des beignets de banane. McCoy pignocha dans tous les plats en faisant semblant de se régaler.

Après le dîner, ils se rendirent à l’Imperial, soi-disant l’un des bars les plus agréables de Greenock, où des copains d’école de Wattie les rejoignirent. Ils s’installèrent au fond, réunirent plusieurs tables. Wattie ne cessait de demander à McCoy si tout allait bien, s’il passait un bon moment, tandis qu’il éclusait l’une après l’autre les pintes qu’on lui offrait pour « baptiser le bébé ». McCoy répondait qu’il s’amusait comme un petit fou, veillait à ce qu’il ne le voie pas en train de regarder sa montre, à l’affût du moment propice pour se retirer sans être impoli.

Il commandait une nouvelle tournée au comptoir, muni du verre rempli de billets qui leur servait de cagnotte, quand James s’approcha discrètement et lui donna un sachet d’amphétamines. Il n’en fallut pas plus. Quelques lignes sniffées sur le réservoir de la chasse d’eau dans les toilettes eurent raison de sa stratégie mûrement réfléchie pour se coucher de bonne heure.

Trois heures plus tard, il n’était toujours pas parti, toujours pas couché. Il se trouvait au comptoir d’une boîte ayant pour nom le Rotunda et se mordillait les lèvres, parfaitement réveillé. Ce n’était peut-être pas la pire boîte dans laquelle il soit allé, mais on n’en était pas loin. Un trou en sous-sol qui semblait faire partie de la gare routière. Son décorateur aimait beaucoup l’orange. Peinture orange sur les murs, moquette orange, abat-jour en plastique orange suspendus au-dessus du comptoir. Typique de Greenock, du glamour à n’en plus finir.

Accoudé au comptoir, il regarda le barman tenter d’expliquer à un type soûl et chancelant, vêtu d’un costume à carreaux marron aux revers les plus larges que McCoy ait jamais vus, qu’il avait assez bu. Bien entendu, le type ne voulait rien savoir, et la discussion s’éternisait. Il se demanda en les regardant si ce qui s’était passé à West Princes Street n’était pas en effet le début de quelque chose de grave. D’autres bombes étaient peut-être sur le point d’exploser à Glasgow. Il imagina ce Paul assis là-bas, en train d’assembler son engin. Il avait sans doute été tué sur le coup, sans se rendre compte de rien. Aucune cause ne valait qu’on se fasse sauter la gueule pour elle. La question qu’il fallait se poser était : à qui cette bombe était-elle destinée ? Qui était-elle censée réduire en petits morceaux ?

Le barman et le type soûl continuaient de s’engueuler, ils en étaient à se pointer du doigt. McCoy consulta sa montre : une heure passée. On approchait de ce moment dangereux de la nuit où les couples s’étaient formés. Les bécoteurs et les partenaires d’un soir s’étaient trouvés, et de nombreux types commençaient à comprendre qu’ils ne feraient pas partie du lot. Ils allaient donc continuer de boire et chercher un prétexte pour prendre la mouche. Une pinte renversée, une remarque entendue par hasard, une parole de louange en faveur de la mauvaise équipe de foot.

McCoy voyait Wattie dans le miroir derrière le comptoir. Cravate défaite, les cheveux en bataille, avachi entre ses deux frères sur la banquette de vinyle orange brillant installée le long du mur. Pour un gaillard comme lui, il tenait très mal l’alcool. Il décida qu’il ne lui manquerait pas s’il s’éclipsait, il le verrait au boulot le lundi, enfin, si Mary ne lui mettait pas la tête au carré lorsqu’il rentrerait à la maison. McCoy était sur le point de terminer le dernier des doubles Bell’s qu’il avait gardés pour la route et pour essayer de calmer les effets des amphètes, quand il sentit une tape sur son épaule.

Il soupira. Lui qui était presque tiré d’affaire… Il décida de faire comme si de rien n’était en espérant vaguement avoir été trompé par son imagination. En vain : une nouvelle tape, plus forte, celle-ci. Deux possibilités s’offraient à lui, estimait-il. Sortir sa carte de flic et dire à l’importun de ne pas faire l’idiot, ou bien l’envoyer sur les roses et se diriger vers la sortie. Dès qu’il ouvrirait la bouche, il lui faudrait choisir l’une ou l’autre. Son accent de Glasgow le trahirait, et il n’en faudrait pas plus à une brute ivre de Greenock pour vouloir lui rentrer dedans. Il vida son whisky, grimaça et se retourna.

– Qu’est-ce que tu veux, mon gars ? dit-il de son ton le moins amical.

Il remarqua d’abord le sourire du type, puis la taille de ses mains. Des mains comme des jambons. Il avait deux grosses bagues aux doigts de celle de gauche.

– Il paraît que vous êtes de la police, dit-il.

Un vrai accent américain, comme dans les films. Rien de très surprenant lorsqu’on l’observait mieux. Dents blanches, cheveux blonds coupés en brosse, blazer bleu aux boutons argentés sur une chemise à carreaux de couleur pâle. Un petit air de Jack Nicklaus. McCoy confirma de la tête.

– Je peux vous offrir à boire ? dit l’homme. Un whisky ?

McCoy acquiesça à nouveau, ne sachant toujours pas très bien sur quel pied danser.

Le type pointa le doigt vers un coin tranquille au fond de la salle.

– Asseyez-vous là-bas, dit-il. Je vous l’apporte.

Et il plongea dans la mêlée massée devant le comptoir.

McCoy trouva un siège vide près d’une petite table, en rapprocha un second. À cet endroit, loin de la piste de danse, « The Bump » avait heureusement laissé la place à un grondement lointain. Il sortit ses cigarettes, en alluma une et se demanda ce que voulait ce type. Il décida qu’il s’en foutait un peu et s’apprêtait à mettre les bouts lorsqu’il l’aperçut sur la piste, en train de se frayer un chemin à travers la foule avec deux whiskies et deux pintes sur un plateau métallique. Il ignorait ce qu’on donnait à manger aux Américains, mais ça devait être nourrissant, le type était aussi large que grand. Il posa le plateau sur la table. Sourit, montra le plateau.

– Je vous ai pris une bière pour aller avec, dit-il. Apparemment, c’est la coutume, ici.

Il tendit sa main :

– Andrew Stewart.

McCoy la lui serra, sa main pâle disparut dans l’énorme battoir.

– Harry McCoy, dit-il avant de lever sa pinte. Santé.

Stewart s’assit, but une gorgée de bière, grimaça.

– Désolé, dit-il, je ne m’habitue pas à cette bière.

Puis, désignant du doigt Wattie et ses copains :

– J’ai entendu parler l’un des gars qui sont là-bas, il disait que vous étiez de la police.

McCoy confirma à nouveau de la tête.

– Super, vous pouvez peut-être m’aider. Mon fils a disparu.

C’était donc ça. Il voulait des conseils personnels. McCoy acceptait volontiers son verre mais pas question qu’il se lance là-dedans, pas à cette heure, d’ailleurs il avait une excuse parfaite. Il leva la main.

– Désolé de vous interrompre, Andy, mais je suis de la police de Glasgow. Ici, je n’ai aucun pouvoir. Il faut vous adresser à mes collègues de Greenock.

– C’est déjà fait. Une perte de temps, ça ne les intéresse pas.

– Quart d’heure américain ! cria le DJ sur le début de « Seasons In The Sun ». Faites votre choix, mesdames !

McCoy attendit qu’il se taise, puis demanda :

– Quel âge a-t-il ? Votre fils ?

– Vingt-deux ans, dit Stewart. Il a eu vingt-deux ans il y a quelques…

– Et il a disparu depuis quand ?

– Trois jours. Je suis arrivé hier, je suis allé au commissariat dès que j’ai atterri…

McCoy leva à nouveau la main, déterminé à l’interrompre pour partir.

– C’est ça, votre problème, dit-il. C’est un adulte, et il n’a pas disparu depuis longtemps. Je vais être honnête, ce ne sera pas une priorité.

Tant qu’on n’aurait pas trouvé de corps, songea-t-il, mais inutile d’aborder le sujet à présent.

– Vous auriez peut-être intérêt à vous tourner vers un détective privé.

– C’est ce que m’ont dit vos collègues.

Stewart fouilla dans sa poche, sortit une carte.

– Ils m’ont recommandé un certain…

Il regarda la carte.

– Bernard Raeburn ?

– Oh là là ! fit McCoy. Surtout pas lui, il est nul. Laissez-moi réfléchir, il y a forcément quelqu’un de plus…

Il leva les yeux et s’aperçut que Wattie était là, chancelant, le teint gris, les yeux mi-clos.

– Il faut que je rentre, dit celui-ci. Je me sens pas bien, Mary va me tuer. Je suis dans la merde, Harry, faut m’aider.

Sur quoi il tourna la tête et vomit partout sur la piste de danse.

– Putain ! s’écria McCoy en écartant les jambes pour se protéger des éclaboussures.

Stewart était horrifié. Wattie s’essuya la bouche sur la manche de son costume, la mine piteuse.

– Je me sens pas bien, répéta-t-il. Ça doit être les nouilles sautées.

Les employés du bar regardaient dans leur direction, ils n’avaient pas l’air content. Un balaise dont les manches retroussées laissaient voir des 1690 gravés sur les avant-bras souleva l’abattant du bar et avança vers eux.

– Merde, Dougie ! dit James en émergeant de la neige carbonique qui débordait de la piste. T’es vraiment dégueulasse !

McCoy termina son whisky, se leva et prit Wattie par la taille pour le stabiliser. Il détournait son visage du sien, il n’avait aucune envie de sentir son haleine.

– James, retiens le barman, dit-il. Moi, je ramène ce gros abruti chez son père.

Stewart était toujours assis à sa place, sa pinte levée vers la bouche, l’air atterré.

– Désolé, l’ami, faut que j’y aille, lui dit McCoy. Bonne chance.

S’éloignant vers la porte avec Wattie, il cria par-dessus son épaule :

– N’oubliez pas ! Ne gaspillez pas votre argent sur Raeburn.

Stewart hocha la tête et se leva. Le barman apparut derrière lui, le tira par le bras et lui fit faire volte-face.

– Eh ! Mec ! C’est toi qui as gerbé partout ?

McCoy laissa Stewart secouer la tête et expliquer au barman qu’il n’y était pour rien, et il poussa Wattie vers l’escalier et lui fit gagner la sortie avant qu’il ne vomisse à nouveau. Nouilles sautées, mon cul. C’était plutôt l’effet des dix bières qu’il s’était enfilées.