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Stewart attendait devant l’entrée du Central Hotel quand McCoy s’engagea dans Gordon Street. Il se gara près du pub le Corn Exchange et klaxonna. Stewart l’aperçut, agita la main, se dépêcha de le rejoindre et monta.

– Bonjour, Harry, dit-il. Ça va ?

McCoy acquiesça. Il se demanda pourquoi les Américains avaient toujours l’air de péter le feu ainsi, même le dimanche matin.

– Alors, comment ça s’est passé, hier soir ? demanda-t-il en passant la première et en quittant son stationnement.

– Ç’a été une sacrée soirée, dit Stewart. Le poulain de Stevie a gagné, un K.-O. au deuxième round, alors il a voulu fêter ça. On est allés dans plusieurs pubs en ville et on a terminé dans un casino, figurez-vous. Pas très loin d’ici, je crois – je suis rentré à pied, un peu soûl. Un bel endroit. Vous devez connaître. Ça s’appelle le… Attendez…

Il plongea la main dans la poche de sa veste, sortit son portefeuille. En tira une carte.

– Ça s’appelle le Chevalier.

McCoy hocha la tête. Il ne connaissait que trop bien. Un des rares établissements légaux de Glasgow où on pouvait boire un verre tard le soir. À condition de commander également à manger.

– Un endroit chic. Apparemment, il y avait des lords ou des sirs sur place en même temps que nous. Steve a parlé d’un certain lord Dunlop, je crois.

– Ah bon ? Il devait être avec sir Hugh Fraser, alors.

– C’est ça.

– Vous êtes restés longtemps ?

– J’ai laissé Steve là-bas vers une heure et demie, il continuait de boire sec. Son copain Billy l’a rejoint.

Ben voyons, songea McCoy. Il était venu lui annoncer la bonne nouvelle concernant la mort de Jamsie Dixon. Cooper n’était pas idiot. Il avait à présent un alibi en béton jusqu’au petit matin avec pour témoins un flic et un capitaine de vaisseau en retraite.

Stewart baissa sa vitre.

– Belle journée pour aller au Loch. J’ai passé un coup de fil. On a rendez-vous avec un certain Saunders, un copain de Donny. Il va peut-être pouvoir éclaircir certaines choses.

– Super, dit McCoy en s’engageant dans West Princes Street. Je dois juste m’arrêter quelque part, avant.

– Comme vous voudrez, dit Stewart. Je m’en remets entièrement à vous.

 

L’appartement sentait encore la fumée, toujours cette boue de cendre qui recouvrait la moquette spongieuse. McCoy traversa le vestibule en direction du séjour, suivi par Stewart. Il jeta un bref coup d’œil vers l’endroit où se trouvait le corps auparavant. À présent, ce n’était plus qu’une zone de plancher nu, entouré de moquette brûlée et de cendre. Il ne put s’empêcher de regarder le mur au-dessus de la cheminée. Les dents avaient disparu, elles aussi.

– Qu’est-ce qui s’est passé, ici ? demanda Stewart, perplexe.

– Une bombe a explosé et a tué celui qui était en train de la fabriquer. Paul Watt. Ce nom vous dit quelque chose ?

Stewart secoua la tête. Il regardait autour de lui, les yeux écarquillés, il essayait de comprendre.

– Je voudrais vous montrer des vêtements, dit McCoy. Venez.

Il poussa la porte de la chambre, et ils entrèrent. Le soleil oblique traversait les rideaux mi-clos et éclairait d’une bande lumineuse le papier peint à fleurs et le sac de couchage sur le lit. McCoy se baissa, prit la petite valise et la posa sur le lit. Il pressa les boutons argentés des serrures et celles-ci s’ouvrirent.

Stewart le regarda, regarda la valise.

– Je pense qu’il pourrait s’agir des affaires de Donny, dit McCoy. Vous voulez bien jeter un coup d’œil ?

Stewart acquiesça, s’approcha, ouvrit la valise et regarda à l’intérieur. Il y plongea la main, y prit une chemise, et son visage se contracta. Il confirma d’un signe de tête.

– Ce sont bien les affaires de Donny. On a fait du shopping juste avant son départ pour l’Écosse. Je lui ai acheté quelques vêtements. Il m’a reproché de l’emmener dans un magasin de vieux, mais c’est moi qui payais alors il s’est laissé faire.

– Votre costume. Celui que vous avez donné à Cooper. Brooks Brothers. Il m’a fallu du temps pour me rappeler où j’avais vu cette marque. C’est la même étiquette que sur les chemises.

Stewart s’assit sur le lit, la chemise à la main. Il avait l’air complètement perdu.

– Je ne comprends pas, dit-il. Que font les affaires de Donny ici ?

Puis une idée lui vint, une terrible expression de douleur apparut sur son visage. Il leva les yeux vers McCoy.

– Il est mort ?

– Vous connaissez son groupe sanguin ?

Stewart acquiesça.

– A négatif. Comme moi. La marine teste toutes ses recrues, ça figure sur votre plaque d’identité. Il doit l’avoir sur…

Il s’interrompit et laissa échapper un gémissement.

– Oh, bon sang, vous avez trouvé un corps ? Où est-il ?

– Je ne pense pas qu’il soit mort. Mais je pense qu’il est blessé et qu’il a des ennuis, de gros ennuis. Venez, sortons d’ici, ça pue.

Ils s’assirent dehors sur le bord du trottoir et respirèrent l’air frais, le soleil leur chauffant les épaules. Ils entendaient les cris et les rires d’enfants jouant plus loin dans la rue. McCoy alluma une cigarette et commença à expliquer.

– Un dénommé Paul Watt était en train de fabriquer une bombe dans cet appartement, mais elle lui a explosé à la figure et l’a tué. Il était O positif, on a retrouvé son sang dans tout l’appartement, mais on en a isolé un autre, aussi. Du A négatif. D’après la quantité, il s’agirait d’une blessure. Et comme vous le savez, c’est un groupe assez rare. En tenant compte de ça et des vêtements, je pense que Donny logeait ici, qu’il était présent quand la bombe a explosé et qu’il s’est enfui.

Stewart parut peiné.

– Une autre a explosé hier, vous avez dû en entendre parler ?

Stewart acquiesça.

– Dans une église.

– Donny est-il particulièrement religieux ? Anti-religieux ? demanda McCoy.

– Non, répondit Stewart. Comme moi, il a reçu une éducation anglicane, mais ça s’arrête aux enterrements et aux mariages. On ne va jamais à l’église. Je ne comprends pas. Une bombe ? Pour quoi faire ? Qu’est-ce que Donny a à voir avec une bombe ?

– C’est ce qu’on va devoir découvrir. On prend vos empreintes digitales dans la marine ?

– On ne nous les prenait pas quand je me suis engagé, mais je suis à peu près sûr qu’on le fait maintenant.

– D’accord, on va mettre la main sur celles de Donny et vérifier si on les a relevées dans l’appartement. Comme ça, on saura avec certitude s’il était là ou non.

Stewart se pencha en avant, mit sa tête dans ses mains. McCoy lui tapota l’épaule. Il regarda l’un des gamins faire des jongles avec un ballon de foot en empêchant son camarade de le lui prendre.

– Il y a des chances qu’il soit vivant, dit-il. C’est le principal, et maintenant on a un moyen d’essayer de le retrouver.

Stewart releva la tête et s’essuya les yeux à l’aide d’un mouchoir sorti de sa poche.

– Bon, qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?

McCoy se redressa.

– On va au Holy Loch et on parle à son copain.