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McCoy poussa la porte de la salle et entra. Le commissariat était calme, comme un dimanche après-midi ordinaire. Les ivrognes et les bagarreurs du samedi soir attendaient sagement en cellule le lundi matin pour passer devant le tribunal. Assis à son bureau une cigarette à la main, Thomson pestait contre sa machine à écrire.

– Wattie est là ? demanda McCoy en s’asseyant.

– Saloperie ! jura Thomson en arrachant une feuille de la machine, avant de la rouler en boule et de la jeter dans la corbeille à côté de lui. Non, il est toujours à Shettleston, sur l’affaire Dixon. Il ne devrait plus tarder.

Puis, levant les yeux :

– Qu’est-ce que tu fais là, toi ?

– Je suis venu déposer un truc pour Murray.

McCoy attendit que Thomson retourne à sa machine, se leva et poussa la porte du bureau de Murray. Une odeur de tabac à pipe froid le saisit aussitôt. Il posa sur la table un rapport informant Murray qu’un marin américain disparu était à présent suspect dans l’affaire des bombes, et détaillant toutes les informations sur le sang prélevé sur la première scène de crime. Il leva la tête, tendit l’oreille. Il contourna la table et feuilleta les dossiers du dessus. Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver le rapport des Renseignements. Il le cacha sous sa veste de costume et sortit du commissariat, il dit à Billy à l’accueil qu’il allait acheter des cigarettes.

Il s’éloigna de quelques pâtés de maisons, s’assit sur un muret en face des HLM de Dundasvale Street et ouvrit le dossier. Une feuille de papier A4 en tout et pour tout. Il la parcourut des yeux. Sur Paul Watt, on y apprenait les informations suivantes : employé dans un entrepôt, pas de casier, âgé de dix-sept ans, protestant, aucun lien connu avec une organisation paramilitaire, ni pour lui ni pour aucun membre de sa famille. Conclusion : motivation personnelle. Affaire de police régulière.

McCoy se redressa. Phyllis Gilroy n’avait pas exagéré. Même de la part des Renseignements, c’était un rapport bref. McCoy les trouvait bien hâtifs dans leur manière de tirer leurs conclusions et de renvoyer l’affaire au central. Il s’attendait à ce qu’ils s’intéressent de plus près à un fabricant de bombes, mais que savait-il d’eux ? Les Renseignements avaient leurs propres règles et n’avaient de comptes à rendre à personne, surtout pas à un vulgaire inspecteur de Glasgow.

Il regarda un couple de personnes âgées emprunter l’allée menant aux HLM, encombrées de sacs de chez Grandfare et de parapluies. Il se demanda comment Wattie s’en sortait à Shettleston. Il espéra qu’il n’avait pas déconné, car Murray n’allait pas le louper. Il consulta sa montre. Il lui restait assez de temps pour remettre le rapport à sa place, rentrer et manger un morceau avant que Wattie ne débarque.

 

McCoy venait de terminer son cabillaud-purée, le plat le plus blanc et le plus insipide qu’il ait jamais mangé, il s’apprêtait à mettre son assiette et ses couverts dans l’évier quand on frappa à la porte. Il gagna l’entrée et ouvrit.

– Monsieur Watson, j’attendais votre arr…

Il s’interrompit en voyant la tête de Wattie. Celui-ci n’avait pas l’air content du tout.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Quand comptiez-vous me le dire ? demanda Wattie.

– Te dire quoi ?

– Que votre copain Cooper avait tué Jamsie Dixon.

– Ah. Bon, tu entres ? Ou tu vas rester planté là à tirer la tronche comme un gosse qui a fait tomber sa glace ?

Wattie secoua la tête, entra sans façons dans l’appartement et s’arrêta près de l’évier. Il le regarda d’un air accusateur.

– Quelle est l’heure estimée du décès ? demanda McCoy.

– Provisoirement ?

McCoy leva les yeux au ciel.

– Entre dix et onze heures, répondit Wattie. Samedi soir.

– Bon, alors dans ce cas, c’est pas lui qui a fait le coup, dit McCoy en plongeant la main dans la poche de sa veste sur le dossier de la chaise de cuisine, à la recherche de ses cigarettes. Il a un alibi en béton. Il était à un match de boxe, puis au casino. Il a dû être vu par une centaine de personnes.

– Quoi ?

– Tu as bien entendu, dit McCoy en allumant une cigarette. Il est hors de cause.

– Merde. Vous êtes sûr ? Et moi qui croyais que j’avais eu du bol finalement, que j’allais pouvoir boucler cette affaire sans trop me fouler.

– Ça n’arrive jamais.

Wattie réfléchit un instant.

– Alors il l’aurait fait tuer par un autre ? Ce serait ça, l’histoire ?

– J’imagine. Cooper ne se laisserait jamais agresser par Jamsie Dixon en plein jour sans rien faire.

McCoy s’aperçut tout de suite de sa gaffe.

– C’est ce qui s’est passé ? dit Wattie. Quand ça ? Et comment vous êtes au courant, vous ?

Mieux valait jouer franc jeu.

– Parce que j’étais là, dit McCoy. Au Malmaison, le resto du Central Hotel. Dixon l’a attaqué avec un rasoir et il s’est enfui.

– Qu’est-ce que vous faisiez là-bas ? s’étonna Wattie, avant de comprendre. Vous dîniez avec lui, c’est ça !

McCoy confirma de la tête. Wattie laissa échapper un sifflement.

– Murray va vous lyncher.

– Non. Parce que tu ne vas rien lui dire, et moi non plus.

Wattie sourit, l’air soudain très content de lui.

– Qu’est-ce qui t’amuse ? demanda McCoy.

– Donc, vous me demandez de vous rendre un service ? De ne rien dire à Murray ? J’ai bien compris ?

– Mmh mmh… dit McCoy, méfiant.

– Super ! Vous pouvez m’en rendre un, vous aussi. Vous pouvez m’aider à travailler sur cette foutue affaire. Vous assurer que je ne fais pas de connerie.

McCoy n’avait pas trop le choix. Il hocha la tête et s’approcha du placard.

– Une canette pour le petit malin ?

Wattie acquiesça, et McCoy en sortit deux, qu’il ouvrit à l’aide d’un ouvre-boîte.

– Alors, comment ça s’est passé ? demanda-t-il en donnant à Wattie une canette de pale ale.

– Bien, je crois, dit Wattie.

La bière moussa, et il mit sa bouche sur l’ouverture et aspira la mousse.

– Mlle Gilroy a emmené le corps, elle doit procéder à l’autopsie demain.

– Des proches ?

– Il habitait avec son grand-père, figurez-vous. Un vieux d’au moins cent balais, pas commode. Il n’a pas arrêté de nous dire qu’il détestait les flics. D’après lui, Jamsie était réglé comme une horloge. Il allait au pub tous les soirs et il rentrait à l’heure de la fermeture avec une pinte de Guinness pour lui. Il n’a pas menti. On en a retrouvé une, éventée, sur le cabanon en brique des poubelles. Le mec a dû vouloir aller pisser ou fumer une clope avant de monter. Notre hypothèse, c’est qu’il aurait posé la pinte et que quelqu’un l’aurait attaqué par-derrière et frappé avec…

Wattie sortit son carnet.

– … un objet lourd et contondant, une brique, un marteau, quelque chose comme ça.

– La vache, dit McCoy en se demandant lequel de ses hommes Cooper avait envoyé faire ce sale boulot. Le meurtrier l’aurait donc suivi depuis le pub ?

– C’est notre hypothèse. Je m’apprêtais à y aller. Ça vous dit de m’accompagner ?

– Non.

– Tant pis pour vous. Un marché est un marché.

– C’est quel pub ?

Wattie consulta à nouveau son carnet.

– L’Edrom. Juste en face de chez lui.

– Merde. Évidemment, il fallait que ce soit là. Tu sais quoi ? Il vaut mieux que je vienne, de toute façon.

– Pourquoi ?

– Parce que sinon, il y a une chance sur deux pour que tu n’en ressortes pas vivant.