19

Un des hommes qui avaient participé aux recherches l’avait trouvé, caché derrière une poubelle de la cour voisine.

– Merde, fit Wattie.

Ils étaient debout dans le bureau de Murray et contemplaient un sac plastique étiqueté, posé sur la table. Lequel sac contenait un marteau, dont la tête était recouverte de sang poisseux, incrusté de cheveux blonds.

– Je ne vous retiens pas, dit Murray. Il faut amener ça au labo sans tarder, on verra ce qu’ils en disent.

Wattie hocha la tête, prit délicatement le sac et sortit en hâte.

– Il a eu de la chance, dit Murray.

McCoy acquiesça.

– Beaucoup de chance, renchérit-il. Pour peu qu’un abruti y ait laissé ses empreintes, il va jubiler.

– Du nouveau sur l’artificier ? s’enquit Murray en s’asseyant.

McCoy haussa les épaules.

– Pour un type qui fabriquait des bombes chez lui, il semblait avoir une vie très ennuyeuse.

– C’était peut-être voulu. Une manière de se cacher.

– Peut-être, mais c’est bizarre. Si, comme les Renseignements le disent, les paramilitaires n’y sont pour rien, de quoi s’agit-il ? Il n’avait pas l’air du genre à vouloir se venger de quelqu’un. Il était apprécié au travail, il se plaisait chez les Terrys. Il ne s’était fait virer par personne, rien. Où aurait-il appris à fabriquer une bombe ? Qui était la cible ?

– Ce ne serait pas un de ces mecs comme en Allemagne, les Baader je ne sais quoi ?

– Je ne crois pas. C’étaient des révolutionnaires déterminés, leur but était de renverser le système. Tout ce que ce pauvre bougre voulait faire, c’était entrer dans l’armée.

– Pas très radical. Le contraire, même.

– Je vais aller à Dunoon. Je vais voir si je peux apprendre des choses sur l’autre garçon impliqué.

– Le marin américain ?

McCoy acquiesça.

– Ça ne va pas se transformer en affaire diplomatique, hein ? dit Murray, inquiet. Manquerait plus qu’on ait la marine américaine sur le dos.

– J’espère que non. Il n’était pas rentré de permission quand c’est arrivé. La marine voudra peut-être se laver les mains de cette affaire.

Murray hocha la tête.

– Tenez aussi Watson à l’œil, hein ? Ce marteau est une grosse avancée, veillez à ce qu’il l’exploite correctement. Autrement, une question pour vous. Qu’est-ce que j’achète à Phyllis pour ses cinquante ans ?

– Pardon ?

McCoy fut pris de court, le changement de sujet avait été trop brutal.

– Phyllis. C’est son cinquantième anniversaire.

– Pourquoi vous me demandez ça à moi ?

– Parce que vous êtes en face de moi, que je dois lui trouver un cadeau cet après-midi et que je ne sais pas du tout quoi acheter.

– J’en sais rien, moi. Un bijou ?

– Elle est riche comme Crésus. Je ne crois pas que je puisse rivaliser de ce côté-là.

– Une toile ? Elle aime la peinture, non ?

Un sourire illumina le visage de Murray.

– La maison en est pleine. Bonne idée. Je trouve ça où ?

– Murray, lâchez-moi.

Murray leva les mains.

– Ça va. Je vais réfléchir.

– Ça devient sérieux, entre Phyllis et vous. Le prochain cadeau, ce sera une alliance.

McCoy laissa Murray à ses préoccupations concernant les alliances et les toiles et retourna s’asseoir à son bureau. Il se pencha sur le problème Paul Watt. En admettant qu’il ait été proche de Meiklejohn, quel lien cela avait-il avec la fabrication des bombes ? Et où avait-il pu rencontrer un marin américain ? Soudain, il percuta. Cela semblait évident à présent. Une visite s’imposait avant de partir pour Dunoon.

 

L’exil espagnol de Bobby Thorne n’avait pas duré longtemps. Ne supportant pas la chaleur, il était rentré quelques mois plus tôt et s’était acheté un petit pub en haut de Hope Street. Le Backstage Bar. Il en avait recouvert les murs de photos de lui-même en compagnie de diverses autres stars du showbiz écossais : Moira Anderson, Jack Milroy, le One O’Clock Gang. La seule vraie surprise était celle où on le voyait avec les Beatles. À l’hiver 1963, au Beach Ballroom, à Aberdeen. Tous les cinq souriaient à l’objectif, chacun une bouteille de whisky à la main. Le pub tournait bien, les clients y venaient avant ou après leur soirée au Theatre Royal, au Metropole, à l’Apollo.

McCoy tira la porte et entra dans la pénombre, parmi l’odeur familière de la cigarette et de la bière. Il n’y avait encore presque personne, seulement un couple assis au fond. Il était trop tôt. Le patron en personne était derrière le comptoir, moumoute en place, en chemisette blanche. Un crayon à la main, il remplissait ce qui ressemblait à un cahier de comptes. Il leva les yeux. Regarda lentement McCoy de haut en bas.

– Eh bien, eh bien, regardez qui voilà. Harry McCoy. Que me vaut ce plaisir douteux ?

– J’ai quelques questions à vous poser, dit McCoy en approchant un tabouret pour s’asseoir au comptoir.

Bobby et McCoy s’étaient rencontrés l’année précédente, quand celui qui partageait la vie de Bobby depuis longtemps avait été assassiné. McCoy n’aurait pas dit qu’ils étaient vraiment amis, mais il était venu dans ce pub plusieurs fois, ils avaient discuté. Bobby semblait être toujours au courant de ce qui se passait dans les bas-fonds de la ville. Il remplit une pinte, la posa devant McCoy, se servit un verre de whisky au porte-bouteilles et s’assit.

– Je suis tout ouïe, dit Bobby. Ça me changera de la compta.

– Les marins américains, dit McCoy.

Bobby haussa les sourcils.

– Je ne demande pas mieux.

– S’ils étaient à Glasgow, qu’ils cherchaient à… vous voyez… où iraient-ils ?

Bobby écarquilla des yeux innocents.

– Je ne comprends pas, monsieur McCoy. S’ils cherchaient à quoi ? Pourriez-vous être plus précis ?

– Vous savez très bien de quoi je parle, dit McCoy en souriant.

Bobby ôta une peluche imaginaire de sa chemisette.

– Je sais bien que ça ne se voit pas, mais l’époque où je chassais les amants est révolue depuis longtemps. Je suis trop vieux, et travailler ici tous les soirs m’épuise. Cependant…

Il leva l’index, se pencha derrière lui et cria : « Barry ! » en direction de la trappe ouverte de la cave.

Quelques secondes plus tard, une tête apparut.

– Quoi ? demanda son propriétaire.

Bobby désigna McCoy du menton.

– Un flic. Il veut te parler.

Barry blêmit. Il termina de gravir l’escalier et vint derrière le comptoir, l’air nerveux. Un jeune balaise. Tee-shirt blanc sans manches, jean moulant, une coupe à la Rod Stewart.

– M. McCoy qui est ici voudrait savoir où lever un marin américain, dit Bobby. J’ai pensé que tu pourrais le renseigner.

– T’inquiète pas, mon gars, s’empressa d’ajouter McCoy avant que le type prenne ses jambes à son cou. J’ai simplement besoin d’informations. Rien de plus.

Barry reprit des couleurs.

– Un jeune ? demanda-t-il. Du Holy Loch, vous voulez dire ?

McCoy acquiesça.

– On n’en voit pas beaucoup, et c’est bien dommage. Le seul endroit où j’en ai rencontré, c’est au Duke of Wellington.

Bobby leva les yeux au ciel.

– J’aurais dû m’en douter. C’est une horreur, cet endroit.

Barry fit comme s’il n’avait rien entendu.

– Mais ils sont toujours nerveux. En général, ils disent qu’ils sont en vacances, qu’ils viennent voir de la famille, des trucs comme ça. Ils ne veulent pas qu’on sache qu’ils sont dans la marine.

Il sourit :

– On ne l’apprend que dans le feu de l’action, en voyant la plaque d’identité qu’ils ont oublié d’enlever.

McCoy sortit de sa poche l’une des photos de Donny Stewart et la lui tendit.

– Tu l’as déjà vu ? demanda-t-il.

Barry regarda la photo et secoua la tête.

– Non, mais ce n’est pas le genre que je remarque, pour être honnête. Pas assez costaud. Je fais un mètre quatre-vingt-cinq, je pèse quatre-vingt-quinze kilos. J’ai besoin de quelqu’un qui puisse me bousculer un peu, vous voyez ?

– Non, M. McCoy ne voit pas, épargne-nous les détails, dit Bobby. Disparais. Retourne dans ton trou.

Barry hocha la tête et regagna la cave.

– Des choses utiles ? demanda Bobby.

– Je ne sais pas, dit McCoy. Je ne sais pas trop ce que je cherche. Je ne suis même pas sûr que ce garçon soit…

Il allait dire « pédé », se reprit :

– Qu’il en soit.

– De la jaquette ? ironisa Bobby.

– Oui.

– Je vais vous dire. Je vais envoyer le monstre de la grotte là-bas, ce soir. Je vais lui demander de se renseigner. Sans vouloir vous vexer, je pense qu’il s’en sortira mieux que vous.

– Merci, dit McCoy. Je vous revaudrai ça.

Bobby hocha la tête.

– Je sais. C’est pour ça que je le fais. On ne sait jamais quand on aura besoin d’un service de la part des hommes en bleu. À propos, que devient votre copain ? Le grand blond mignon ?

– Wattie ? Il vient d’avoir un bébé.

Bobby soupira.

– Il faut toujours que les plus beaux soient hétéros. C’est le drame de ma vie.

McCoy le laissa retourner à sa comptabilité et sortit dans le soleil de ce début de soirée. Il était sept heures moins le quart. En partant maintenant, il arriverait à Dunoon vers huit heures et demie. Il devrait y avoir du monde au Paul Jones à cette heure-là.