26

La nuit commençait à tomber à leur arrivée. Ils aperçurent les lumières à plus d’un kilomètre, un mélange de bleu tournoyant et de projecteurs puissants. Billy avait rappelé immédiatement, la police routière ayant déjà connaissance de la Daimler dorée immatriculée ANP 362H. Elle avait subi un accident grave sur la petite route entre Lambhill et Milngavie. Des ambulances et des camions de pompiers avaient déjà été envoyés sur place.

Un agent leur demanda de se garer sur une route adjacente, à quelques centaines de mètres du lieu de l’accident. Wattie se gara derrière un fourgon de police et coupa le moteur. Alors qu’ils descendaient, l’agent les rejoignit pour les saluer.

– Jimmy Reed, dit-il.

McCoy lui serra la main, se présenta, présenta Wattie, et ils se dirigèrent vers les lumières.

– On nous a appelés il y a environ une heure, dit Reed. Apparemment, le chauffeur a perdu le contrôle de son véhicule. Ils ont percuté un arbre de plein fouet, c’est pas beau à voir.

– Il est mort ? demanda Wattie.

Reed secoua la tête.

– Le chauffeur est vivant, il est coincé dans la voiture. Le passager est mort, lui, il a été éjecté à travers le pare-brise, il a dû se briser la nuque en atterrissant. Un jeune, en plus, il ne doit pas avoir plus de vingt ans.

Plus ils approchaient, plus ça sentait fort l’essence. Un sifflement se fit entendre, un bruit de métal contre du métal.

– Ils essaient de dégager le chauffeur, dit Reed. Apparemment, il a les deux jambes cassées. Par ici.

Il souleva un ruban de signalisation, et ils se faufilèrent entre les camions de pompiers arrêtés et pénétrèrent dans le rond de lumière créé par les projecteurs installés autour de la voiture accidentée. McCoy n’avait pas très envie d’aller plus loin, mais il lui fallait s’assurer que c’était bien Lindsay. Le sifflement provenait d’une scie circulaire tenue par un pompier contre la charnière de la portière cabossée et ensanglantée. Le pompier grogna, appuya plus fort, le sifflement s’intensifia, et la portière se détacha, tomba en tintant sur le sol.

Soudain, McCoy vit apparaître une jambe pliée dans le mauvais sens, un pantalon de treillis déchiré et trempé de sang. Il s’empressa de regarder ailleurs.

– C’est bon, on peut l’extraire ! cria le pompier.

Deux ambulanciers placèrent une civière à roulettes le plus près possible de la voiture.

– À trois, dit le pompier. On y va doucement et sans à-coups.

Les deux ambulanciers s’approchèrent, se penchèrent, saisirent le chauffeur. Le pompier les regarda tour à tour. Hocha la tête.

– Trois !

Et ils sortirent l’homme de la voiture.

Il avait les deux jambes écrasées, elles semblaient avoir une drôle de consistance. À part ça, il avait l’air d’aller bien. Quelques petites coupures sur le visage et sur les mains, dues aux éclats du pare-brise. Lorsqu’il apparut dans la lumière, McCoy reconnut les cheveux roux coupés ras. C’était bien Lindsay. Apercevant du sang qui coulait de sa jambe, d’un rouge vif dans la lumière des projecteurs, il recula. Il en avait assez vu.

Il s’éloigna du rond de lumière et alluma une cigarette. Il regarda les ambulanciers emmener la civière vers une ambulance, la charger à l’arrière.

– Ça alors !

Il se retourna. C’était le Dr Purdie. Costume, cravate, sacoche en cuir. McCoy était plus habitué à le voir chez Cooper, un manteau par-dessus son pyjama, appelé au milieu de la nuit pour recoudre une énième blessure par arme blanche afin d’éponger ses dettes de jeu, plutôt qu’en costard-cravate. Sa surprise dut se lire sur sa tête.

– J’habite là-bas, dit Purdie en montrant une allée menant à un cottage éclairé. Je venais de sortir de ma voiture quand tout ça est arrivé. Vous n’auriez pas une cigarette ? Ma femme ne veut pas que je fume à la maison.

McCoy lui tendit son paquet, et il en alluma une. La lumière de son allumette illumina le sang séché sur ses mains.

– Merci, dit-il. Vous ne vous occupez pas des accidents de la route, d’habitude. Vous êtes au-dessus de ça, non ?

– Ça dépend du chauffeur, dit McCoy. À propos, il va s’en sortir ?

Purdie fit siffler de l’air entre ses dents.

– Je crois. Heureusement que j’étais là, ce ne serait pas le cas, sinon. La jambe droite a été complètement broyée, il saignait comme un bœuf. J’ai réussi à arrêter l’hémorragie en posant un garrot rapidement, sinon il serait mort en dix minutes.

Il sourit :

– À vrai dire, c’était assez stimulant. Ça faisait des années que je n’avais pas pratiqué la médecine d’urgence. Je crois que j’y ai repris goût.

– Je n’imagine rien de pire, dit McCoy.

– Oui, je sais que vous n’êtes pas très porté sur le sang et les boyaux. Mis à part ses jambes, il a l’air d’aller bien. Je l’ai sédaté dès que j’ai pu, avant que le choc ne laisse place à la douleur. Si le chauffeur de l’ambulance ne traîne pas, il sera au Royal dans vingt minutes.

Alors qu’il disait ces mots, l’ambulance démarra en direction de Glasgow, gyrophare allumé et sirène hurlante. Ils la regardèrent disparaître dans un virage.

– On va peut-être devoir l’amputer de la jambe droite, mais si l’opération se passe bien ça devrait aller.

– Et le passager ?

– Ça, c’est une autre histoire, hélas. Il s’est brisé les cervicales. Vous voulez voir ?

McCoy n’y tenait pas, mais il fallait qu’il voie de qui il s’agissait.

– C’est très moche ? demanda-t-il.

Purdie sourit.

– Il n’y a pas de sang, promis. Venez.

Il fit passer McCoy devant la voiture accidentée, que des mécaniciens s’appliquaient à présent à attacher à un palan, et continua d’avancer une cinquantaine de mètres sur la route. Un agent se tenait près de ce qui ressemblait à un amas de couvertures sur la chaussée. Il les salua de la tête tandis qu’ils approchaient et que Purdie s’accroupissait près des couvertures.

– Prêt ? dit celui-ci.

McCoy acquiesça, et Purdie retira l’une des couvertures. Là, gisait le jeune qui avait raccompagné McCoy à sa voiture depuis le bois, dans la propriété de Lindsay. Sa tête était inclinée bizarrement, mais à part ça et la bosse bleuâtre sur son front, il avait l’air normal. Purdie avait dit vrai. Il n’y avait pas de sang. McCoy fit un signe, et Purdie recouvrit le corps.

– Vous le connaissez ? demanda Purdie.

– Je l’ai rencontré, mais je ne connais pas son nom.

– C’est malheureux. Mourir si jeune. C’est curieux, aucun des deux n’avait de papiers d’identité sur lui. Comme les parachutistes pendant la guerre.

– Quoi ?

– Quand on les larguait derrière les lignes ennemies, on veillait à ce qu’ils n’aient ni papiers ni photos personnelles, pour que les Allemands ne puissent pas les identifier.

Il sourit.

– J’ai lu trop de BD de guerre quand j’étais enfant.

Puis, regardant ses mains :

– Je vais rentrer nettoyer ça.

McCoy le regarda repartir vers les projecteurs. La voiture était à présent à l’arrière d’une dépanneuse. D’ici une demi-heure, la route serait dégagée et rouverte, comme si rien ne s’était passé. McCoy vit Purdie serrer la main de Wattie et montrer McCoy du doigt. Wattie lui fit un signe de la main et le rejoignit. Ils pouvaient rentrer chez eux, il n’y avait plus grand-chose à faire avant le lendemain matin.

Des soldats en guerre, songea McCoy. Merveilleux.