27

– Réveille-toi, connard.

McCoy se redressa dans son lit, le cœur battant. Il crut avoir rêvé, jusqu’à ce qu’il voie la silhouette assise dans le fauteuil au pied de son lit. Les battements de son cœur s’accélérèrent encore. Il savait qui c’était même dans la faible lumière des réverbères qui entrait par la fenêtre de la chambre. Il aurait reconnu cette solide silhouette n’importe où. Stevie Cooper.

– Stevie ? dit-il. Qu’est-ce que tu fais ici ? Comment t’es entré ?

– Tu t’es cru malin aujourd’hui, hein ? Dans cette salle d’interrogatoire, avec ton petit sourire. Bien silencieux…

– Stevie, je…

– Avant de balancer ta bombinette.

McCoy cligna plusieurs fois des yeux pour en chasser le sommeil. Il ne distinguait pas le visage de Cooper dans la pénombre, il ne parvenait pas à mesurer la gravité de la situation. Il entendait en revanche le bruit de sa bottine tambourinant sur le parquet. Ce n’était pas bon signe.

– T’essaies de me baiser la gueule, McCoy ? T’essaies de planter un couteau dans le dos de ton vieux copain ?

McCoy secoua la tête.

– Non ? poursuivit Cooper. T’es sûr ? Parce que c’est l’impression que tu donnes.

Cooper se pencha en avant. La lumière de la fenêtre tomba à présent sur son visage. Il avait l’air calme, ses joues n’étaient pas rouges.

– Je n’avais pas le choix, Stevie. C’est mon boulot. Murray m’aurait tué si…

– Ce bon vieux Murray ! Comment dit-on, déjà ? Un chien ne peut pas avoir deux maîtres.

– Ni toi ni lui n’êtes mes maîtres, se hérissa McCoy.

– Peut-être.

– Écoute, si tu es assez con pour laisser une empreinte sur ce marteau, je n’y peux rien. Tu veux que je fasse comme si ça n’existait pas ?

– C’est pas moi, l’empreinte, dit Cooper. C’est Billy.

Il se leva :

– Tu veux un thé ?

Dix minutes plus tard, McCoy, en pantalon de costume et en maillot de corps, était assis à la table de sa cuisine en train de siroter une assez bonne tasse de thé. Cooper, en face de lui, en faisait autant.

– J’ignorais que tu savais bien faire le thé.

– Il y a beaucoup de choses que tu ignores, McCoy. C’est ça, ton problème, tu crois tout savoir sur tout le monde.

– Billy ? demanda McCoy. Je pige pas.

– Attends, dit Cooper. Je voudrais être sûr d’un truc avant. T’es de mon côté si j’ai besoin de toi ?

McCoy le regarda fixement.

– Stevie, je suis flic…

– Oui ou non ?

McCoy n’avait pas vraiment besoin de réfléchir.

– Oui, dit-il. T’es content, maintenant ?

Et Cooper l’était. Un grand sourire illumina son visage. C’était aussi simple que ça. Il se pencha en arrière, prit la bouteille de whisky à moitié pleine sur l’étagère de la cuisine, en versa une rasade dans chaque tasse. Il leva la sienne.

McCoy trinqua.

– Santé.

Il avala une gorgée du thé au whisky. Ce n’était pas mauvais.

– Bon, alors, raconte. Billy ?

– C’est pas moi qui ai tué Jamsie Dixon. Je suis pas con à ce point. Et je ne suis pas allé voir le tailleur, le petit Arthur, non plus.

– T’es allé où, alors ?

– Je suis allé voir Brian Oliver.

McCoy le regarda, ahuri.

– Tu te souviens quand on m’a envoyé au trou, le jour où j’ai cogné le père Hannigan ?

McCoy ne s’en souvenait pas. Cooper passait son temps à cogner des responsables, on s’y perdait, mais il acquiesça tout de même.

– Bref, Brian Oliver y était, lui aussi. Ces cons-là l’y avaient foutu pour avoir piqué un paquet de clopes dans un bureau de tabac. C’est un bon gars, ça l’a toujours été. Aujourd’hui, il bosse pour William Norton.

McCoy connaissait bien William Norton, mais il restait perdu.

– Quand j’étais à Aberdeen, en taule, Billy est venu me voir.

– Je sais, dit McCoy. Il m’a dit que tu étais remonté comme une pendule, que tu n’arrêtais pas de parler de Jamsie Dixon.

Cooper se renfonça dans son fauteuil.

– Ah ouais ? Pourtant, je ne lui ai pas dit un mot sur Jamsie Dixon, et j’étais très calme. On a causé bizness, je lui ai dit que je voulais avoir des boxeurs, c’est tout. Mais ce n’est pas ça, l’important.

– C’est quoi ?

– Quand je suis retourné en cellule, un nouveau venait d’arriver. Un type de Glasgow. Malky Arnott.

– Oh là là, pas de bol. Je l’ai arrêté plusieurs fois. Il est toujours aussi tordu ?

– Ouais. C’est un enfoiré, c’est vrai, mais il me dit : je savais pas que t’étais pote avec Willie Norton. Je réponds que non, et il me dit, ben ton pote il est pote avec lui. Il me raconte qu’il était à Glasgow y a une quinzaine de jours, à une soirée poker de Billy Chan, et qu’il a vu Billy avec Norton, à la même table, super copains.

– C’était peut-être une soirée comme ça, dit McCoy.

Il réfléchit un instant, puis :

– Attends, la dernière fois que j’ai vu William Norton, c’était devant chez toi, il venait discuter. Qu’est-ce qui s’est passé ?

– Ce qui s’est passé, c’est qu’au bout de dix minutes je l’ai envoyé se faire foutre. Ce vieux con se prenait toujours pour le big boss, il voulait que je fasse des trucs pour lui. Il cherchait un numéro deux, pas un partenaire. Et Billy était là tout le temps, il nous a entendus.

– Merde, dit McCoy, qui sentait où allait l’histoire.

– J’ai creusé un peu. Apparemment, Norton est venu à la maison pendant que j’étais à Aberdeen. C’est Iris qui me l’a dit.

– Elle a entendu quelque chose ?

Cooper secoua la tête.

– Billy est trop malin pour ça. Il l’envoyait faire des courses ou apporter du liquide au comptable quand Norton venait. Donc, samedi soir, je suis parti du casino et je suis allé voir Brian Oliver. Je l’ai retrouvé au Dunbar’s, on n’y croise jamais personne. Il m’a dit que Billy et Norton étaient super potes maintenant, qu’ils parlaient de l’avenir, de leurs projets.

– Sans toi.

Cooper acquiesça.

– Sans moi.

– Et donc, adieu, Jamsie Dixon, toi, t’es le suspect numéro un et voilà le marteau comme pièce à conviction.

– Et moi, je me retrouve en cabane pour vingt piges.

– La vache. Je n’aurais pas cru Billy capable de ça.

– Il ne l’est pas, mais Norton, si, et il dit à Billy qu’il sera son second, il lui bourre le mou. Ce couillon n’a même pas été foutu de bidouiller le marteau comme il faut. Lomax va m’obtenir un non-lieu.

– Il l’a trouvé où, ce marteau ?

– Oh, c’est bien le mien. Quand on a emménagé avec Ellie, je m’en servais tout le temps, pour accrocher des tableaux, pour réparer le parquet de la petite chambre, pour tout un tas de trucs.

– Et Billy t’aidait ?

Cooper acquiesça.

– Il savait où le trouver, il savait qu’il y aurait au moins une empreinte dessus. Le problème, c’est qu’elle n’était pas dans le sang.

McCoy hocha la tête. Les chances pour que Cooper soit inculpé de meurtre sur la base du marteau étaient minces, c’était le moins qu’on puisse dire.

– Qu’est-ce que tu vas faire, alors ?

– Je vais m’absenter quelques jours. J’ai des trucs à faire.

– Quels trucs ?

– Tu te souviens de ce que je t’ai dit sur l’équipe de démolissage à la prison ?

McCoy acquiesça.

– Quand j’étais par terre et que je me prenais des coups de latte, je me suis senti impuissant, et ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé – la dernière fois, c’était au sous-sol avec le père Kelly, et je me suis juré que ça ne se reproduirait plus. Que plus jamais je ne serais la victime de quelqu’un. Que je baiserais les autres avant qu’ils me baisent.

Il se leva.

– C’est là-bas que je vais. Pour faire en sorte que ça n’arrive plus.

McCoy entendit la porte d’entrée se fermer. Il alla à la fenêtre et regarda Cooper descendre la rue, les mains dans les poches. Il resta là un moment, à boire son thé au whisky, à regarder le soleil se lever. Pour rien au monde il n’aurait voulu être à la place de Billy Weir.