McCoy bâilla. Il n’avait pas pu se rendormir après le départ de Cooper. Il était trop énervé, les idées se bousculaient dans sa tête. Il regrettait le thé au whisky, son ulcère lui faisait un mal de chien, et à présent il se retrouvait planté devant le grillage de la fourrière, à regarder un abruti en blouse blanche prélever des échantillons sanguins sur la Daimler accidentée. Il avait besoin de savoir si Donny Stewart était monté dans cette voiture après avoir été blessé dans l’explosion chez lui, et il voulait avoir cette information avant d’aller voir Lindsay à l’hôpital.
L’abruti en blouse blanche n’était pas content qu’on l’ait sorti de sa planque au labo, mais McCoy s’en foutait. Sa présence à la fourrière n’était pas indispensable, ce n’était pour lui qu’un moyen d’éviter le commissariat. Il n’avait toujours pas reparlé à Murray, et il n’y tenait pas avant d’avoir du concret à lui donner.
S’il pouvait rattacher Donny Stewart et les bombes à la voiture de Lindsay, il pourrait sans doute obtenir un mandat pour perquisitionner la maison de celui-ci. Pour tenter de comprendre ce qu’il trafiquait avec sa petite armée privée. Tout ça était lié, il le sentait. Les jeunes de la caserne, qui étaient les mêmes que ceux de chez Lindsay, Donny Stewart, les mystérieux Fils des 51. Il fallait qu’il découvre comment avant qu’une nouvelle bombe ne pète. Il consulta sa montre. Neuf heures et demie. Il était censé retrouver Faulds à la brasserie à dix heures.
– Vous avez fini ? cria-t-il.
L’abruti en blouse blanche leva la tête.
– Dix minutes.
– Bon. Je veux les résultats sur mon bureau pour midi. C’est prioritaire.
L’abruti en blouse blanche hocha la tête et retourna à ses flacons, les rangea dans sa valise. Malgré la distance, McCoy le vit grommeler « connard » entre ses dents.
Duke Street était rouverte à la circulation mais sur une voie seulement. Il fallut à McCoy un certain temps pour la remonter depuis High Street. Un feu provisoire semblait ne laisser passer qu’un véhicule à la fois. Il prit son mal en patience, tambourina des doigts sur le volant. Il se demanda où était allé Cooper. Songea qu’il faudrait appeler le Central Hotel s’il avait le résultat des analyses sanguines. Il faudrait en informer Stewart.
Le feu provisoire revint au vert, et McCoy eut tout juste le temps de passer. Il entra dans la cour de la brasserie. Appuyé contre sa voiture, Faulds fumait. Il leva la tête en voyant arriver McCoy, le salua de la main. McCoy se gara, descendit et alla jusqu’à lui. Il sentait encore craquer le verre pulvérisé sous ses pieds.
– Alors, monsieur l’expert en bombes. Qu’est-ce que tu as à me dire ?
– Expert en bombes, mon cul. Vous êtes trop radins pour en faire venir un de Belfast.
– C’est vrai. À défaut de l’organiste, on se contentera du ouistiti.
– Fous-toi de ma gueule, dit Faulds en souriant. Suis-moi.
Ils sortirent sur le trottoir dont l’accès restait bloqué par le ruban de signalisation, se tinrent face au bâtiment en ruine.
– Comme prévu, c’était bien un cocktail Co-op, on a eu les résultats du labo ce matin. Il devait y en avoir une assez grosse quantité, plus de deux kilos, je dirais. La bombe de l’appart était beaucoup plus petite, un kilo maximum. Celle de la cathédrale faisait encore moins.
– C’est la même personne qui a fabriqué les trois ?
Faulds haussa les épaules.
– C’est difficile à dire. Soit le type de l’appart a réussi à en fabriquer plusieurs et à les distribuer avant de se faire péter la gueule, soit il a formé quelqu’un d’autre. Quelqu’un de moins nul que lui, apparemment.
– Merde. On va en avoir d’autres, alors ?
– C’est probable. La cathédrale a de plus en plus l’air d’un coup d’essai. Tu as vu leur petit message ? Ils définissent leurs objectifs. Ça ressemble plus au début qu’à la fin.
– Rien d’autre ?
– Heureusement pour les gens qui étaient là, il a mal placé sa bombe. Elle devait être sur le perron, le plus gros du souffle a simplement fait exploser les vitres. S’il l’avait mise à l’intérieur, dans une cage d’escalier, ou près d’un mur porteur, tout l’immeuble se serait sans doute effondré, le bilan serait énorme.
– C’était délibéré, tu crois, ou c’était de l’incompétence ?
– Je sais pas. Il a peut-être paniqué au moment d’entrer, il l’a laissée là. Peut-être que le vigile à l’accueil l’a arrêté. On ne le saura peut-être jamais.
– À moins de trouver l’artificier. Ou les artificiers, plus probablement. Il faut qu’on les chope avant qu’ils recommencent.
– Exactement. T’en es où, là-dessus ?
– Avec un peu de chance, ça va changer d’ici la fin de la journée, j’en saurai peut-être beaucoup plus. Qu’est-ce que tu fais aujourd’hui ?
– Les Renseignements veulent encore jeter un œil à tout ça. J’ai rendez-vous avec deux de leurs agents qui arrivent de Londres cet après-midi.
– Super. Ces enfoirés nous ont dit qu’il n’y avait pas à s’inquiéter, et maintenant ils rappliquent pour se rattraper et nous ridiculiser.
Faulds sourit.
– Monsieur McCoy, je suis déçu et attristé par votre attitude envers nos collègues.
– Ouais, c’est ça, dit McCoy, avant de repenser à une chose. Ah, au fait, qui est Paul McVeigh ?
Faulds se tourna face à lui. Il ne souriait plus, à présent.
– Pourquoi tu me demandes ça ?
– Un copain m’a dit de te poser la question.
– Quel copain ? Qui ?
McCoy n’aimait pas le tour que prenait la conversation.
– J’ai oublié, dit-il.
Tous deux savaient qu’il mentait.
– Et qu’est-ce qu’il a dit d’autre, ce copain ?
– Que tu devais faire attention, c’est tout.
– C’est une menace ?
– Attends, Faulds, c’est pas moi qui ai dit ça, je sais même pas qui est Paul McVeigh, alors ne t’en prends pas à moi. Je pensais te rendre service.
– T’as de drôles de copains, McCoy. Tu traînes avec les types de l’IRA, c’est ça ?
– Arrête, Faulds…
Faulds se rapprocha de lui, colla son visage au sien, lui poussa l’épaule de l’index. Avec force.
– Toi aussi, t’as intérêt à faire gaffe, McCoy. N’oublie pas dans quel camp tu es.
Il le bouscula et repartit vers la cour.
– Faulds ! cria McCoy derrière lui. Arrête ! Reviens !
Mais Faulds fit comme s’il ne l’entendait pas, monta dans sa voiture et disparut.