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Wattie était assis à son bureau à l’arrivée de McCoy au commissariat. Parmi les téléphones qui sonnaient, Thomson qui gueulait parce que quelqu’un avait terminé le lait et « Waterloo » qui s’échappait à plein volume d’un poste de radio, Wattie avait le regard perdu dans le vide. Une cigarette se consumait dans le cendrier devant lui, des dossiers étaient amoncelés à ses pieds.

– En plein boulot ? demanda McCoy en s’asseyant et en mordant dans la brioche aux raisins qu’il avait achetée chez City Bakeries.

Wattie cligna des yeux deux ou trois fois. Sortit de sa rêverie.

– McCoy ! Pardon, j’avais la tête ailleurs.

– Tu pensais à ton charmant bambin ? demanda McCoy en veillant à ne pas faire tomber trop de miettes sur son bureau.

– Lui, il va bien. Il pleure toute la nuit et il rigole toute la journée. Il nous rend cinglés. Non, je réfléchissais à cette foutue affaire Dixon. Je cherchais un moyen de sortir de ce bourbier.

– Le porte-à-porte n’a rien donné ?

Wattie secoua la tête.

– Que dalle. Personne n’a rien vu, personne n’a rien entendu.

– Rien de très surprenant à Shettleston, dit McCoy en roulant en boule le papier d’emballage de sa brioche pour le jeter dans la poubelle. C’est pas le quartier de Glasgow où on aime le plus la police.

– Et je n’arriverai jamais à rien avec Stevie Cooper et Lomax.

– C’est le lot de tout le monde. C’est pour ça que Lomax est si grassement payé. Il en a embobiné de meilleurs que toi et moi.

McCoy eut envie de parler de Billy Weir mais il ignorait comment aborder le sujet.

– Et du côté de l’autopsie ?

– C’est comme si on avait pissé dans un violon. Je peux vous dire ce que Dixon a bouffé au dîner ce soir-là, mais ça ne nous avance à rien.

– Qu’est-ce qu’il a bouffé ? Une entrecôte ? Du caviar ? Du poisson ?

– Attendez…

Wattie farfouilla dans sa pile de dossiers. Il en prit un et l’ouvrit :

– Voilà, c’est là. Rien d’aussi luxueux. Un hot-dog, peut-être deux, des oignons frits, du pain.

McCoy s’adossa au dossier de sa chaise et réfléchit un instant.

– Où Jamsie Dixon a-t-il pu manger un truc comme ça ? demanda-t-il.

– Au cinéma ? proposa Wattie. On y vend des hot-dogs.

McCoy secoua la tête.

– On ne vend pas d’oignons frits au cinéma, ça puerait trop.

– C’est peut-être lui qui les a préparés.

– Jamsie Dixon ? Il n’a pas dû foutre un pied dans une cuisine depuis…

McCoy s’interrompit.

– Quoi ? fit Wattie. Qu’est-ce qu’il y a ?

– Les manèges, dit McCoy. La fête foraine. Ils vendent des hot-dogs et des oignons, là-bas. Ils ont un chariot pour ça. On sent l’odeur à un kilomètre.

– Qu’est-ce que Jamsie Dixon irait faire aux manèges ? Il n’a pas de gamin.

– Non. Peut-être que Patsy Hearne et ses copains ne nous ont pas tout dit sur cette soirée-là.

– Vos copains de l’Edrom ?

McCoy acquiesça.

– On ira peut-être les voir plus tard. En attendant, tu devrais appeler les cafés de Shettleston près de chez Jamsie. Des fois qu’il y en aurait un qui aurait fait une soirée hot-dogs ce jour-là.

Wattie hocha la tête et alla chercher l’annuaire des pages jaunes dans le placard du couloir. McCoy alluma une cigarette et parcourut les messages téléphoniques sur son bureau. Deux d’entre eux provenaient de Stewart au Central. La petite case à côté de RAPPELER SVP était cochée. Il y avait un message de Pitt Street concernant une formation quelconque, auquel il ne répondrait jamais, et un autre d’un certain Kenny Barnes des Renseignements. Pouvaient-ils se retrouver quelque part ? Son train arrivait à sept heures.

Wattie revint avec l’annuaire à la main, le laissa tomber sur son bureau encombré.

– Personne du labo ne m’a cherché ? demanda McCoy. Un type avec une tête de cul ?

– Merde, désolé.

Wattie se mit à fouiller parmi le désordre sur son bureau, trouva un papier :

– Il a appelé il y a environ une demi-heure. On a retrouvé du A négatif sur les sièges arrière. Allez savoir ce que ça veut dire.

– Alléluia ! s’écria McCoy en levant les poings en l’air. Les affaires reprennent. Ça te dit, un tour à l’hosto ?

 

Le Royal était situé près de la cathédrale au sommet de la ville, et comme elle c’était un monument gigantesque, tout de tours et d’entrées majestueuses, sa pierre noircie par des siècles de fumée et de poussière dues aux usines de l’East End voisin.

McCoy semblait avoir passé là la moitié de sa vie active, à traîner des ivrognes couverts de sang aux urgences le vendredi soir quand il était patrouilleur, puis à interroger des suspects dans des chambres surveillées, menottés au cadre du lit.

Lindsay se trouvait dans le service John Slater, au deuxième étage. Ils montèrent dans l’ascenseur avec une femme d’âge mûr ayant un bouquet de fleurs dans une main et tenant de l’autre un jeune enfant qui se tortillait, et appuyèrent sur le bouton.

– Comment va Mary ?

– Elle a persuadé sa mère de garder le petit Duggie trois jours par semaine. Elle est allée au Record aujourd’hui, pour voir si elle pouvait reprendre à temps partiel.

– Ah bon ? Et t’en penses quoi, toi ? demanda McCoy tandis qu’ils sortaient de l’ascenseur et s’engageaient dans le long couloir qui sentait l’antiseptique.

– Je pense que si elle en a envie et que ça la rend heureuse, il faut qu’elle reprenne. Et puis Duggie adore sa grand-mère. Elle a un petit chien, il se précipite pour jouer avec chaque fois qu’on va là-bas. Pas sûr que ça plaira beaucoup au chien, remarquez.

Ils trouvèrent le service qu’ils cherchaient, et on leur indiqua une chambre individuelle près du poste des infirmières, tout au bout du couloir. Ils étaient sur le point d’ouvrir la porte quand un Indien âgé en blouse blanche et avec un stéthoscope autour du cou en sortit.

– Je peux vous aider, messieurs ? demanda-t-il.

McCoy montra sa carte de police.

– On voudrait parler à M. Lindsay, dit-il.

Puis, regardant le badge sur le revers de la blouse :

– Docteur Basu.

Le Dr Basu sourit.

– Je regrette, mais ça ne va pas être possible. M. Lindsay a été amputé d’une jambe au-dessous du genou il y a une heure. L’effet des sédatifs va durer au moins jusqu’à ce soir, et il a besoin de temps pour récupérer.

McCoy acquiesça. Il n’y avait pas grand-chose à dire. Si le mec était dans le cirage, le mec était dans le cirage. Cependant, ça n’arrangeait pas leurs affaires.

– Quand est-ce qu’on va pouvoir lui parler, alors ?

– Demain, en fin d’après-midi au plus tôt. Il faut y aller doucement.

– Mais il va s’en sortir ?

Le médecin soupira.

– Je suppose, mais il va sur ses soixante ans, il a eu un terrible accident de voiture et il vient de subir une opération importante. Il faut qu’on le surveille de près. Appelez demain matin, je vous dirai comment il va.

Il dit au revoir et s’éloigna dans le couloir.

– Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? demanda Wattie.

McCoy consulta sa montre.

– Il est trop tôt pour aller voir Patsy Hearne, on n’a qu’à aller énerver Meiklejohn.