Lindsay occupait la position suivante sur sa liste. Vingt minutes de marche pour remonter High Street, et il arriva au Royal. Le Dr Basu sourit en le voyant avancer vers lui dans le couloir de l’hôpital. Il lui fit signe de la main.
– Monsieur McCoy ! dit-il. J’allais vous appeler. M. Lindsay est réveillé.
– Super, dit McCoy. Comment va-t-il ?
Basu sourit à nouveau.
– Il est étonnamment joyeux vu son état, il mangeait un bol de céréales quand je l’ai quitté. Il se rétablit très bien.
– Je peux l’interroger, alors ?
– Je n’y vois pas d’inconvénient, dit Basu en ôtant le stéthoscope de son cou pour le ranger dans sa poche. Bonne chance !
McCoy poussa la porte de la chambre individuelle et entra. Lindsay était assis dans le lit, un bol de céréales vide sur le casier à côté de lui. Il portait de petites lunettes à monture métallique et lisait le Times. Ce n’était pas la seule personne présente. Un jeune homme, on lui donnait environ dix-huit ans, était assis dans un fauteuil près de la fenêtre. Musclé, cheveux courts, rangers, pantalon de treillis, tee-shirt DEFENS. Lindsay leva les yeux, retira ses lunettes.
– McCoy, c’est bien ça ? dit-il.
McCoy confirma de la tête, approcha un fauteuil du lit et s’assit. Le jeune homme s’abstint de toute forme de salut. Il se contentait de le regarder fixement.
– C’est qui, votre copain ? demanda McCoy en désignant le jeune homme.
– Crawford, répondit Lindsay. Il me tient compagnie.
– On dirait un garde du corps.
Lindsay sourit.
– C’est un élève officier. La formation est très axée sur le physique.
– Comment vous sentez-vous ?
– Eh bien, en dehors du fait qu’on m’a retiré presque toute la jambe droite, ça va. On ne peut pas en dire autant de la voiture.
– Ni du passager.
– Oui, en effet, c’est très triste. J’ai perdu le contrôle. Un renard a traversé la route, ça m’a surpris.
– Je croyais que votre voiture était au garage pour une visite d’entretien ? Pour un nettoyage à fond, aussi. Pourquoi l’avoir récupérée avant que le travail soit fait ?
Lindsay ne répondit pas. Pour la première fois, il semblait un peu moins maître de la situation.
– Les circonstances ont changé, dit-il. J’en ai eu besoin.
– Pour quoi faire ?
– Pour me déplacer. Cette visite a un objet en particulier ?
– Donny Stewart. Vous êtes sûr que ce n’est pas l’un de vos garçons ?
– Qui ? Ah, le garçon dont vous m’avez montré la photo, l’Américain. Je vous l’ai dit l’autre jour, je ne sais rien sur lui.
– C’est curieux, parce que son sang était partout sur la banquette arrière de votre voiture. La voiture que vous étiez si pressé de récupérer. Si vous n’aviez pas eu cet accident, vous auriez pu la nettoyer chez vous avant qu’on l’examine.
– Vraiment ? Vous devriez peut-être parler à ma sœur, alors, elle et ses amis marginaux utilisent la voiture depuis des mois. Ils connaissent peut-être ce… comment s’appelle-t-il, déjà ? Donny Stewart ?
McCoy se renversa en arrière dans son fauteuil. Il entendait le bruit des voitures dans Castle Street par la fenêtre ouverte. Lindsay marquait un point, hélas. Il avait en effet un moyen de s’en sortir. Rien ne prouvait que le sang présent dans la voiture avait été versé quand lui-même était au volant. Un changement de tactique s’imposait.
– Pourquoi un homme comme vous a-t-il besoin d’une armée privée ? demanda McCoy.
– Une quoi ?
Lindsay semblait ne pas comprendre. McCoy désigna du menton le jeune homme dans le fauteuil.
– Tous ces jeunes dont vous vous entourez dans votre grande maison, tous habillés de la même façon, tous à vos ordres. Vous appelez ça comment, vous ?
– J’appelle ça enseigner les techniques de campagne. Et leur uniforme, c’est parce que celui qu’ils portent chez les élèves officiers appartient à l’armée et ne peut pas être utilisé à l’extérieur de la caserne. Demandez donc à Crawford.
– Ah bon, il parle ?
Lindsay acquiesça. McCoy se tourna vers Crawford.
– Bon, alors, raconte-moi. En quoi ça consiste, tout ça ?
Crawford sourit, d’un sourire dénué de toute chaleur.
– Le colonel Lindsay a l’amabilité de nous enseigner les techniques de campagne dans sa propriété. Comment établir un campement, survivre de la cueillette et de la chasse.
– Très utile à Maryhill, j’en suis sûr, ironisa McCoy.
Crawford sourit à nouveau. Encore plus froidement.
– Meiklejohn nous interdit d’emmener nos uniformes là-bas. Le colonel Lindsay a la gentillesse de nous fournir des tenues adaptées.
– Et vous faites tout ce qu’il vous dit, c’est ça ?
– Le colonel Lindsay ne m’a jamais demandé de faire quoi que ce soit. Je ne comprends pas pourquoi vous pensez que nous sommes une armée.
– Eh bien, je vous tire mon chapeau, Lindsay, dit McCoy. Vous l’avez bien dressé, on ne peut pas vous enlever ça. Si vous lui demandiez de sauter dans le fleuve, je crois qu’il obéirait.
– Si nous avons terminé… dit Lindsay en reprenant son journal. Je me sens un peu fatigué…
McCoy se leva et sortit. Dans le couloir, il grommela un juron. Il fallait voir la réalité en face. Le premier round était pour Lindsay.