Son voyage à Memen Road se révéla une perte de temps. Cooper n’y était pas. Les gamins qui montaient la garde dans la rue ne l’avaient pas vu, ignoraient où il était. Ils n’avaient pas vu Jumbo non plus, ni Billy. Personne ne semblait rien savoir. McCoy les quitta et repartit vers sa voiture garée dans Ashgill Road. Il connaissait quelqu’un qui était toujours au courant de tout. Ça valait le coup d’essayer.
Il parcourut l’allée de la villa de Cooper dans le West End. Il sonna et attendit. Il était sur le point de faire demi-tour quand la porte s’ouvrit pour laisser apparaître Iris. Comme d’habitude en tailleur chic, rouge à lèvres rouge sang. Pour une fois elle ne lui barra pas le passage. Elle ouvrit grand la porte.
– Tu entres ?
Ça devait mal aller, songea McCoy en la suivant dans l’escalier qui descendait à la cuisine. Iris qui se montrait gentille avec lui, c’était presque du jamais vu. En général, elle ne manquait pas une occasion de le rabaisser.
McCoy s’assit à la table de la cuisine, et Iris commença à préparer du thé. Les portes vitrées étaient ouvertes, le jardin avait l’air impeccable, comme d’habitude.
– Jumbo est toujours l’as du jardinage ? s’enquit-il.
– Tu viens de le rater, dit-elle. Il est venu s’assurer que les clématites allaient bien.
– C’est lesquelles, les clématites ?
– Va savoir. Je le laisse causer, je hoche la tête de temps en temps. Ça lui fait plaisir.
– Il n’est pas là, je suppose ? Cooper ?
– Non. Il est allé à la salle de boxe à côté de Duke Street avec un Américain. Ils sont passés ici pour qu’il prenne des vêtements.
– Andy Stewart ?
Iris confirma de la tête, posa les tasses sur la table.
– C’est ça, un militaire ou je ne sais quoi. Un grand gaillard sympathique, très poli.
– Oui, voilà. Tu l’as repéré, on dirait.
Iris ne mordit pas à l’hameçon. Elle resta silencieuse, se contenta de remuer son thé, puis leva les yeux vers lui.
– Tu es au courant de ce qui se passe ?
McCoy ignorait si c’était une question ou une affirmation.
– Pour Cooper ?
– Non, pour le roi de Siam. Bien sûr, pour Cooper. Il ne dort plus ici, il a disparu de Memen Road depuis plusieurs jours, Billy le cherche partout. Et le voilà qui débarque ce matin avec cet Américain, tout sourires, l’humeur à la rigolade, il m’explique qu’il va aller voir ses boxeurs. Je lui ai dit que Billy le cherchait, il a eu l’air de s’en foutre. Il m’a demandé de lui envoyer Jumbo à Memen Road.
McCoy décida d’y aller prudemment.
– Il a peut-être du mal à se réhabituer à la liberté. Qu’est-ce qu’il en dit, Billy ?
– Lui non plus, je ne le vois presque plus.
– Comment ça se fait ?
Iris ne répondit pas. C’était comme si tous deux se doutaient de quelque chose mais ne voulaient pas en parler, de peur de se trahir.
– Tu n’as rien à me dire ? demanda McCoy. Pas de visite inhabituelle à signaler ?
Elle le regarda fixement. Il la sentait hésitante.
– Parce que si c’est le cas, là, c’est le bon moment.
– Quelle visite inhabituelle je devrais te signaler ?
– À toi de me le dire, répondit McCoy d’un ton égal. Mais tu sais comme moi qu’il n’y a qu’une chose qui compte pour Cooper. La loyauté. Ça l’a toujours été, depuis qu’on est tout mômes.
Iris alla pour parler, puis se retint. Elle se leva, prit une veste en jean sur le dossier d’une chaise de la cuisine, la tendit à McCoy.
– Il a oublié ça. Si tu vas à la salle de boxe, tu peux la lui donner.
McCoy se leva, prit la veste.
– C’est tout ?
Iris acquiesça.
McCoy remonta l’escalier et ressortit dans la rue ensoleillée. Il était encore plus perplexe qu’avant. Ce petit jeu avec Iris ne l’avait mené nulle part. Était-elle de mèche avec Billy ? Faisait-elle encore ce genre de calcul à son âge ? Voulait-elle profiter de l’ascension de Billy ? Peut-être prenait-elle ses décisions en fonction du sens du vent. Après tout, Billy et elle devaient penser que Cooper était déjà en prison. Qu’allaient-ils faire à présent ? Quelqu’un comme William Norton devait être pressé d’emporter le morceau, il trouverait un autre moyen d’éliminer Cooper.
McCoy connaissait Iris depuis longtemps, il l’avait connue à l’époque où elle tapinait encore dans les hôtels, avant qu’elle ne commence à travailler pour Cooper, et jamais il n’avait vu sur son visage ce qu’elle avait laissé paraître lorsqu’il lui avait demandé si elle n’avait rien à lui dire. Il avait vu de la peur.