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– Votre hôtel n’est pas très loin, dit McCoy. Vous voulez y aller à pied ?

– Oui, dit Stewart. Ça m’aidera à me rafraîchir. Ça faisait longtemps que je n’avais pas travaillé si dur.

– Ça remonte à quand, la dernière fois que vous êtes monté sur un ring ?

Stewart réfléchit quelques secondes.

– Là, vous me posez une colle. Début des années soixante, probablement ? J’ai continué de m’entraîner pendant quelque temps, puis les kilos se sont accumulés et j’ai eu la flemme de m’en débarrasser. Par là ?

McCoy confirma de la tête, et ils s’engagèrent dans Duke Street en direction du centre-ville. La brasserie Tennent’s n’était qu’à quelques centaines de mètres dans l’autre sens, une odeur de bois brûlé et de cendre flottait dans l’air. C’était une douce soirée de printemps, idéale pour une balade à pied. Elle l’était moins pour le groupe d’hommes misérablement vêtus qui se tenaient devant le Great Eastern. La plupart avaient une cigarette roulée dans leur main tremblante, une bouteille de Lanliq circulait parmi eux.

McCoy était allé dans cet établissement plusieurs fois, appelé pour mettre fin à des bagarres. Il n’avait jamais été pressé d’y retourner. C’était un vaste bâtiment plein de petites cellules en bois, louées à des gens qui n’avaient nulle part où aller. On y trouvait de tout, de vieux alcooliques, de jeunes types qui sortaient de foyer ou de prison et ne savaient pas comment s’en sortir. Des hommes qui voyaient des anges, des démons et des messages secrets à la une des journaux. Personne ne méritait de terminer là.

– Tu peux me dépanner, mon gars ? demanda un vieil homme en costume déchiré, sa main crasseuse tendue.

McCoy fouilla dans sa poche, trouva deux pièces de cinquante pence, les lui tendit.

Le vieux les prit et lui adressa un sourire édenté.

– C’est gentil, mon gars. Je vais dire une prière pour toi. Remarque, je crois que Dieu ne m’écoute plus depuis longtemps. Je ne vivrais pas dans ce trou, sinon.

McCoy le remercia, et Stewart et lui poursuivirent leur chemin.

– Il y a beaucoup de clochards à Glasgow, dites donc, dit Stewart. C’est aussi dramatique qu’à Boston, et c’est pas peu dire. L’alcool ?

McCoy acquiesça.

– En grande partie. Ça fait des dégâts. Donny n’a jamais parlé d’un certain Lindsay ? Un homme plus vieux ? Dans l’armée ?

Stewart secoua la tête.

– Ça ne me dit rien. Pourquoi ?

– Il n’a jamais parlé d’être allé dans une grande maison à la campagne ? À quelques kilomètres de la base navale ?

Nouveau non de la tête de Stewart.

– Il ne m’appelait pas très souvent, et quand il le faisait, il se contentait de parler de son travail, de ses collègues à bord, de leurs occupations. Ça s’arrêtait là.

Ils bifurquèrent dans High Street et passèrent devant la gare. Stewart était un peu moins rouge, il respirait mieux. Il continuait cependant de s’essuyer le front de temps en temps avec un mouchoir.

– Il n’a jamais parlé non plus d’une communauté ? Une espèce de communauté de hippies ?

Stewart s’arrêta. Resta planté là.

– Bon Dieu, Harry, c’est quoi, ces questions ? Vous me faites peur, là. Vous avez trouvé quelque chose ?

McCoy regarda de l’autre côté de la rue. Le Strathduie était un peu plus loin dans Blackfriars Street, et c’était un pub assez correct.

– Venez, dit-il. Je vous paye un verre.

McCoy laissa Stewart trouver une table et alla au comptoir, commanda deux pintes. Il n’était pas certain de devoir dire à Stewart ce qu’il s’apprêtait à lui dire, mais il ne voyait pas quel risque il courait. Et on pouvait considérer que Stewart avait le droit de savoir quelles suppositions on faisait sur son fils.

Il prit leurs pintes et les apporta. Stewart était assis à une petite table au-dessous de six ou sept affiches de blasons et de tartans. Il avait l’air inquiet, tripotait un sous-bock. Il prit sa bière, en but une grande lampée. McCoy s’assit. Il n’était plus question de reculer.

– Bon, il y avait du sang et des vêtements de votre Donny chez Paul Watt, là où la bombe a explosé. On pense qu’il a été blessé mais qu’il a réussi à s’enfuir.

Stewart hocha la tête au-dessus de sa pinte.

– Un sang du même groupe que celui de votre fils a été retrouvé dans une voiture appartenant au colonel Angus Lindsay. Un militaire, il a une grande maison pas très loin de Dunoon. Le copain marin de Donny dit qu’il l’a vu dans cette voiture – ce n’est pas un modèle courant. Mais Lindsay se défend de connaître Donny, il soutient qu’il ne l’a jamais vu.

– Il ment ?

– Peut-être. Mais peut-être pas. C’est là où ça se corse. Cette voiture était également utilisée par les membres d’une communauté installés à quelques kilomètres de la base. C’est peut-être eux qui ont un lien avec Donny ou avec son sang.

– Je vois mal Donny traîner dans une communauté avec une bande de hippies, ce n’est pas son genre.

McCoy hocha la tête, mais il n’était pas certain que Stewart en sache beaucoup plus que lui sur son fils et ses intentions.

Un gamin entra avec une liasse d’Evening Times sous le bras, il parcourut la salle, en vendit quelques-uns. McCoy aperçut la une.

Un des employés grièvement blessés avait dû mourir. Il se tourna à nouveau vers Stewart.

– Bref, premièrement, on n’est pas sûr que ce soit le sang de Donny. C’est un type rare mais pas unique. Deuxièmement, si c’est bien le sang de Donny, on ne sait toujours pas qui était dans la voiture avec lui ni où ils allaient. Les membres de la communauté aussi, ils disent qu’ils ne l’ont jamais vu…

McCoy s’interrompit en pleine phrase, posa sa pinte.

– Harry ? Ça va ? demanda Stewart.

McCoy ne répondit pas, il se demandait comment il avait pu être aussi bête. Il se leva et regarda de plus près l’affiche, au mur, au-dessus de la tête de Stewart. C’était une impression en couleur d’un blason. Il lut le titre inscrit sur le cadre.

 

Les armoiries de l’Écosse

 

Une bannière flottait au-dessus du blason central. Un mot y figurait.

– Merde !

McCoy parla si fort que tout le pub le regarda.

– Harry ? fit Stewart. Qu’est-ce qui se passe ?

– Faut que j’y aille. Je vous retrouve plus tard. Au bar du Central Hotel !

Il sortit du pub en courant, Stewart l’appelait.