39

– Le voilà !

Stewart était assis à une table du bar du Central Hotel, il fit signe à McCoy de le rejoindre. La salle, tout en panneaux de bois et en carrelage blanc, avec des stores vénitiens en bois aux fenêtres donnant sur Hope Street, était remplie d’un mélange d’hommes d’affaires en voyage et de gens sur leur trente et un, qui attendaient une table au restaurant d’à côté.

– Asseyez-vous, Harry, dit-il en fouillant la salle du regard.

Il trouva ce qu’il cherchait. Un jeune serveur avec une barbe rousse et des taches de rousseur donnait leurs verres à deux femmes assises à une table voisine.

– Jackie ! Mon pote ! cria Stewart. Deux autres pintes.

Jackie hocha obligeamment la tête, leva le pouce pour signifier que c’était enregistré et se dirigea vers le comptoir.

– Tout va bien ? demanda Stewart. Vous étiez très pressé. On aurait dit que vous aviez vu un fantôme.

McCoy acquiesça.

– Ça va. J’ai cru que je tenais quelque chose, j’ai voulu battre le fer pendant qu’il était chaud.

– Ça concerne Donny ?

– Donny et pas mal d’autres choses, mais je ne sais plus trop quoi en penser, maintenant. Il est possible que je me sois complètement ridiculisé. Ce ne sera pas la première fois.

Les pintes arrivèrent. Jackie les disposa avec soin sur les sous-bocks, essuya la table, vida le cendrier. Il ne manquait plus qu’il lèche le cul de Stewart, il était clair qu’il attendait un pourboire. McCoy et Stewart attendirent qu’il soit parti.

– Où êtes-vous allé ? demanda Stewart. Vous êtes parti comme un dératé.

– Je suis allé voir ce Lindsay à l’hôpital, au Royal. Je n’arrive toujours pas à déterminer s’il est lié ou non à la disparition de Donny. Il a tout expliqué, mais je continue de penser qu’il y a quelque chose de pas net chez lui.

– Vous croyez qu’il sait ce qui est arrivé à Donny ?

– Je ne sais pas. En général, j’arrive assez bien à voir si les gens mentent, mais ce type est particulier. Je pense qu’il dit la vérité, c’est probablement juste un drôle de zèbre. Il me faudrait des éléments pour pousser plus loin l’enquête sur lui, et je ne sais pas du tout où les trouver.

Il leva les yeux vers Stewart.

– Désolé, mon vieux, ça ne vous aide pas beaucoup, hein ?

Stewart tenta un sourire.

– Vous faites ce que vous pouvez. Je n’en demande pas plus.

Il leva sa pinte, et McCoy trinqua avec lui.

– Qu’est-ce que vous faites, ce soir ? demanda Stewart. Steve doit passer me prendre, on va à un match de boxe. Ça vous tente ?

– Stevie ? Mon Stevie ?

Stewart gloussa.

– Oui. Il me fait bosser comme dénicheur de talents, on doit voir un poids-moyen à Kelvin Hall, je crois. Il m’a promis de m’inviter à dîner après pour me remercier. Dans un restaurant indien. Je n’ai jamais mangé indien. Ça devrait être amusant, venez avec nous.

McCoy secoua la tête.

– La boxe, c’est pas vraiment ma tasse de thé.

– Ça, c’est parce qu’il ne supporte pas la vue du sang.

Ils levèrent les yeux. C’était Stevie Cooper. Avec son jean, son blouson rouge et sa banane blonde, comme d’habitude.

– Ça change pas, hein ? poursuivit-il. C’était déjà comme ça quand on était gamins.

– C’est vrai, dit McCoy. Ça me fout les jetons. J’en vois assez comme ça au boulot. Je préfère éviter d’en voir plus si je peux.

Cooper s’assit à côté de Stewart. Il venait de prendre les cigarettes de McCoy quand Jackie réapparut.

– Une autre tournée, messieurs ? Pour vous aussi, monsieur ?

Cooper répondit que oui, il prendrait une pinte. Jackie fit presque une courbette et disparut.

– On ne peut vraiment pas vous convaincre, Harry ? demanda Stewart.

McCoy secoua la tête.

– Pas cette fois. J’ai de la vaisselle sale qui m’attend chez moi dans l’évier. J’ai une vie passionnante.

Stewart se leva.

– Bon. Je monte chercher ma veste dans ma chambre, j’en ai pour cinq minutes.

Cooper et McCoy regardèrent Stewart se faufiler à travers la salle et fourrer un billet dans la main de Jackie. Un gros billet, à en juger par le sourire sur le visage aux taches de rousseur.

– Je ne vous savais pas si copains, dit McCoy.

Cooper prit les allumettes sur la table, alluma une cigarette.

– Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas sur moi, McCoy, je te le dis tout le temps. Je suis un homme mystérieux.

– Qu’est-ce qui te rend de si bonne humeur ? demanda McCoy tandis que Jackie posait les verres.

– Disons que tout se goupille bien.

Il but une grande gorgée de bière, essuya la mousse sur sa bouche.

– Qu’est-ce que tu vas faire ce soir, pauvre couillon ? Viens avec nous, je paye même l’indien.

McCoy secoua la tête.

– Je vais rentrer. Faut que j’essaie de démêler cette affaire d’attentats avant que Murray me retire l’affaire.

– À propos, dit Cooper en baissant la voix et en se penchant en avant. J’ai parlé à mon oncle.

– Et ?

– Et il dit qu’ils vont attendre, qu’ils vont enquêter. Par égard pour moi.

– Super. Je vais le dire à Faulds.

– Attention, hein, il n’est pas tiré d’affaire, loin de là. Dis-lui bien ça. Il est toujours dans leur collimateur.

McCoy acquiesça.

– T’as vu Billy ?

Cooper secoua la tête.

– C’est bien la dernière personne que j’ai envie de voir, cette petite salope. Il aura ce qu’il mérite.

McCoy était sur le point de lui demander ce qu’il entendait par là quand Stewart réapparut, un imperméable sur le bras.

– Prêt ? dit-il.

Cooper se leva, termina le whisky de McCoy.

– N’oublie pas Jumbo, dit-il. Une nuit en cellule.

McCoy acquiesça, et Cooper et Stewart partirent.

McCoy resta là un moment, termina sa pinte, en commanda une autre. Regarda les allées et venues dans le bar. Une femme séduisante à peu près de son âge arriva, s’assit seule à une table. Pendant quelques instants, il envisagea de lui faire apporter un verre, de tenter sa chance. Mais le cœur n’y était pas. Impossible de se débarrasser de cette drôle de sensation qu’il avait dans le ventre. Cette sensation, c’était généralement le pressentiment que quelque chose de grave allait arriver. Quelque chose de grave qu’il était incapable d’empêcher.