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McCoy ne s’attendait pas à ce qu’on lui réponde et encore moins à ce que ce soit elle. On entendit des bruits de pas, un claquement de verrou, et la porte s’ouvrit pour révéler Margo Lindsay. Elle portait une ample combinaison de pompiste, sa célèbre chevelure auburn était attachée en une queue-de-cheval peu serrée. Elle tenait une bouteille de vin rouge à moitié vide dans une main et un verre en cristal dans l’autre.

– Je vous connais, dit-elle, légèrement chancelante. McCoy.

– C’est ça, dit-il.

Elle leva la bouteille, en versa une bonne rasade dans le verre et le vida. S’essuya la bouche.

– L’une des dernières de la cave de mon père. Château Marquis de Terme 1952. Au début, ce vieil enfoiré en avait six caisses. Cette bouteille et deux autres, c’est tout ce qui reste.

Elle le dévisagea.

– Qu’est-ce que vous faites ici, d’abord ?

– J’ai besoin de jeter un coup d’œil dans la maison.

Elle sourit.

– Vous avez un mandat ?

Puis, levant la main :

– En fait, ça m’est égal. Ça fait des années que je n’ai pas parlé à mon ordure de frère.

Elle s’inclina :

– Je vous en prie.

Elle sortit en bousculant McCoy et s’engagea dans la longue allée en zigzaguant.

– C’est Margo Lindsay ? demanda Faulds tandis qu’ils la regardaient boire une nouvelle lampée de vin tout en marchant.

– Ouais, confirma McCoy.

Il se tourna vers les deux agents en uniforme :

– Vous deux, fouillez le terrain. Toutes les dépendances, les garages, les granges, etc.

Finch acquiesça, et les deux agents se dirigèrent vers l’arrière de la maison.

– Je ne savais pas qu’ils étaient de la même famille, dit Faulds.

– Elle vit dans une ferme, une communauté, pas très loin d’ici, dit McCoy. Avec une bande de hippies.

Il poussa la porte, et ils entrèrent. Il ignorait à quoi il imaginait que ressemblerait la maison de Lindsay, à une caserne, peut-être, mais on en était loin. Une moquette bleu clair recouvrait le sol du hall, des scènes de chasse et des paysages ornaient les murs, un énorme miroir doré était fixé sur l’un d’eux. De l’autre côté, il y avait une table sur laquelle était posé un livre pareil à un registre de réservation pour restaurant.

McCoy regarda la couverture. VISITEURS y était écrit en lettres dorées. Il ne put s’empêcher de tourner quelques pages.

Merci pour ce fabuleux week-end !

Duff et Diana, août 1924

 

Brendan Behan 21/02/54

 

Deux truites ! Boothby, septembre 1965

 

Etc., etc. McCoy connaissait certaines de ces personnes. Les autres semblaient constituer une liste sans fin de sirs, de lords et de ladies. Il referma le livre. Au-dessus de la table, un ensemble de photos encadrées. Des parties de pêche. Des gens en tenue blanche de tennis. D’autres nageant dans le loch.

Ils traversèrent le hall jusqu’à une porte. L’ouvrirent.

– Merde, fit Faulds. C’est quelque chose.

Il n’exagérait pas. La salle au haut plafond qui s’étendait devant eux était d’un luxe spectaculaire. Papier peint à motifs, moquette vert clair parsemée de tapis orientaux, des canapés entourant une table basse où étaient disposés des livres et des bibelots japonisants. Il y avait des lampadaires partout, des toiles aux murs, des fauteuils aux coussins brodés. Une énorme fenêtre au fond de la pièce offrait une vue sur le loch et sur les montagnes à l’arrière-plan.

Tommy apparut et s’assit dans l’un des fauteuils face à la vue. Il avait l’air ravi.

– Si tu vois ou entends quoi que ce soit, appelle-nous, d’accord ? lui dit McCoy.

Tommy acquiesça en s’enfonçant plus profondément dans le confort du velours.

Faulds et McCoy parcoururent le reste de la maison. Il était facile d’oublier ce qu’on était venu faire ici et d’admirer simplement les lieux.

– Comment on fait pour habiter dans un endroit pareil ? dit Faulds tandis qu’ils se trouvaient dans une bibliothèque avec des livres à la couverture dorée occupant toute la longueur des murs, des bureaux, une échelle en ébène montée sur glissière.

– C’est facile, dit McCoy. Il suffit de naître dans la bonne famille.

La pièce voisine était la chambre de Lindsay. Une autre fenêtre donnant sur la baie. Ornant les murs, des tableaux montrant des hommes à l’air sévère et des femmes très belles. Sur le sol, près d’un canapé, une rangée de bottes et de chaussures bien cirées. McCoy s’assit sur le lit à baldaquin.

– Je crois qu’on fait fausse route, dit-il. Je vois mal Lindsay laisser une bande d’adolescents de Glasgow faire les fous ici.

– C’est sûr. Mais il y a peut-être un dortoir, quelque chose comme ça ? Ils devaient bien coucher quelque part quand ils venaient pour le week-end.

– T’as raison, dit McCoy en se relevant. Quelles sont les chances pour que ces deux clowns le trouvent ?

– Elles sont minces. Allons jeter un coup d’œil.

Ils laissèrent Tommy sommeiller dans son fauteuil et ressortirent au soleil. Il y avait un chemin de gravier sur le côté de la maison. Il menait forcément quelque part. Ils s’y engagèrent.

– J’ai réfléchi à ce que Ross a dit, sur la structure par cellules, commença McCoy. On a cru que cette maison était la planque idéale, mais si ce qu’a dit Ross est vrai, il est plus probable qu’ils se soient séparés. Lindsay ne tolérerait pas qu’ils restent ensemble. Ils sont sûrement à Glasgow dans différents appartements ou pensions, pas ici à attendre qu’on les trouve.

– Sans doute. Mais dans ce cas, comment on les trouve ? On n’a aucune chance.

– On devrait peut-être rentrer à Glasgow et appeler tous les…

Un coup de sifflet. Puis un autre.

– Merde alors, dit Faulds. Les boy-scouts ont dû découvrir quelque chose.

Il ne se trompait pas. Les deux agents avaient découvert le dortoir. C’était une longue cabane en rondins, avec de petites fenêtres percées sur le côté, un toit de tuiles noires. À l’intérieur se trouvaient deux rangées de lits de camp, certains défaits. Ceux qui avaient séjourné là semblaient être partis précipitamment. Sur la table, des tasses à moitié pleines de thé. Par terre, un numéro usé de Playbirds. Les casiers étaient ouverts, des affaires de gym roulées en boule en bas de l’un d’eux. Sur un mur, une grande croix de saint André. Sur l’autre, une bannière en tissu portant l’inscription DEFENS.

– Vous avez trouvé quelque chose ? demanda McCoy à Finch.

Finch secoua la tête.

– Cet endroit, c’est tout. Apparemment, c’est inoccupé depuis plusieurs jours. De la nourriture a été jetée à la poubelle, c’est envahi de mouches. La porte était grande ouverte.

McCoy vit Faulds près de la porte, il avait vidé la poubelle sur le sol. Une masse de paquets de chips, d’emballages de bonbons, ce qui ressemblait à un reste de poisson dans du papier journal. Un mouchoir collé par ce que McCoy espéra être de la morve. Faulds n’avait pas l’air de s’en soucier, il farfouillait au milieu de tout ça. Il prit un petit morceau de papier froissé. Le déplia. Regarda McCoy.

– Quoi ? fit celui-ci. Qu’est-ce que c’est ?

Faulds se leva et le rejoignit. Le lui montra. Apparemment, ce n’était qu’un fragment.

 

ros Ba

 

– Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda McCoy.

– Va savoir. Rien, sans doute.

– Ça correspond sûrement à quelque chose, sinon pourquoi le déchirer en petits bouts ?

– Le nom de quelqu’un. Le B est majuscule.

– Un prénom qui finit par « ros » ? dit McCoy en réfléchissant. Carlos ? Non, ça ne marche pas. Merde, on peut y passer la journée.

Il s’assit sur l’un des lits, il vit une basket sous celui d’en face. Il s’aperçut que Finch rôdait autour de lui. Il leva la tête.

– Il y a une friterie à Greenock, dit Finch, chez Coia. Mais les Italiens qui la tenaient ont vendu, ç’a été repris par des Grecs.

McCoy acquiesça, il ne comprenait pas pourquoi Finch lui parlait d’une friterie.

– Ah bon ? dit-il.

– Bref, reprit Finch, il y a un type qui y bosse, il s’appelle Stav. Stavros. Ça pourrait être ça ?

– Stavros Ba… dit Faulds. Ça marche, mais ça paraît peu probable.

– Ba, dit McCoy en se levant. Merde !

– Quoi ? dit Faulds.

– C’est pas du tout un prénom. « Ba », c’est « Bar ». L’Andros Bar.

– Mais ouais, t’as peut-être raison. C’est pas très loin de West Princes Street ni du magasin d’alcools. Un trou, c’est sûr, mais c’est dans Great Western Road. Même secteur. Tu penses que c’est une cible ?

– C’est possible.

Faulds replongea dans la pile de détritus, la parcourut soigneusement, déplia chaque petit morceau de papier. Il releva la tête et la secoua.

– Tant pis, dit McCoy. C’est notre meilleur indice.

Puis, se tournant vers les deux agents en uniforme :

– Lequel des deux court le plus vite ?

– Moi, dit Finch.

– Bon, retournez à la maison. Appelez Stewart Street et demandez Watson ou Murray. Dites-leur ce qu’on a trouvé, faites-les évacuer l’Andros Bar dans Great Western Road, et précisez-leur qu’il y a peut-être déjà une bombe sur place. C’est compris ?

Finch acquiesça.

– Allez-y ! dit McCoy. Foncez !