McCoy et Faulds se tenaient dans le salon principal. Ils avaient les yeux rivés sur le téléphone, ils attendaient qu’il sonne. McCoy faisait tomber la cendre de sa cigarette dans sa paume. Ne parvenant pas à déterminer si les petits bols éparpillés dans la pièce étaient des cendriers ou de précieuses antiquités, il avait choisi l’option la plus sûre. Il alla jusqu’à la cheminée, y vida sa cendre, tira une dernière bouffée et y jeta également son mégot. Soudain, un détail le frappa.
– Où est passé Tommy ? demanda-t-il.
– Il a dû aller faire un tour, dit Faulds. Son sac est toujours là.
– Qu’est-ce qu’ils foutent ? Ils auraient dû rappeler à l’heure qu’il est.
– Tu leur as donné le numéro ?
– Non, Hughie, je me suis dit que j’allais les laisser essayer de le deviner. Qu’est-ce que tu…
– Vous cherchez bien quelque chose, tous les deux ?
C’était Tommy. Il se tenait à l’entrée de la pièce. McCoy acquiesça.
– On cherche un jeune qui a disparu. On pense qu’il est blessé, ou pire.
Tommy réfléchit un instant, sembla approuver.
– Apportez-moi mon sac, dit-il avant de repartir vers l’escalier et de commencer à le gravir.
Il s’arrêta au milieu, se retourna :
– Les deux flics, ils sont pas là, hein ?
McCoy secoua la tête.
– Ils sont dehors, ils fouillent à nouveau le terrain. Tommy, t’as pigé qu’on était de la police, hein ?
– Oui. Mais vous, vous portez des costards, pas des uniformes. Ça veut dire que vous êtes des chefs, alors j’espère que vous êtes pas complètement idiots.
– Merci, dit McCoy, ne sachant trop si c’était une insulte ou un compliment.
Tommy hocha la tête et reprit son chemin.
Faulds regarda McCoy. McCoy haussa les épaules, ramassa le sac et suivit Tommy.
Au premier étage de la maison, il y avait des couloirs et des chambres, de la moquette partout. Aux murs, des bois de cerf, des photos de paysages des Highlands. Par les fenêtres, on voyait le vert des feuillages se balancer doucement au gré du vent. Tommy les emmena dans un couloir vers le fond de la maison et s’arrêta au bout.
McCoy posa le sac, il pesait une tonne. Il regarda le mur, regarda Faulds, regarda Tommy. Il ne comprenait pas ce qu’ils faisaient là.
– Tommy ? Pourquoi tu…
– J’aurais jamais cru que j’aiderais les flics un jour, mais là, y a un truc qui colle pas.
Il tapa le long du mur, même McCoy remarqua les bruits différents. Il fouilla à l’intérieur de son sac, en sortit un tournevis long et fin, le fit courir sur le mur. La pointe déchira facilement le papier peint, elle semblait suivre un sillon. Tommy continua, traça un grand rectangle sur le mur. Il recula, l’air triomphant.
– J’ai regardé de dehors, dit-il. Il y a la place d’une pièce, mais pas de fenêtres. Au début, j’ai pensé que ça pouvait être une espèce de coffre-fort, mais c’est trop grand. C’est bien une pièce.
McCoy le regarda, éberlué, arracher le rectangle prédécoupé. Il se détacha facilement, ce n’était qu’un fin panneau de lamelles de bois recouvert de papier peint à fleurs. Derrière, se trouvait une porte.
– Ben merde, fit Faulds.
– Petit malin, souffla Tommy entre ses dents. C’est un militaire, le proprio, vous dites ?
McCoy confirma de la tête.
– Ça se comprend mieux, alors, dit Tommy en montrant la serrure de la porte. C’est une serrure Mersey.
– Qu’est-ce que c’est que ce machin ? demanda Faulds.
– Une serrure militaire, expliqua Tommy. Ça sert à sécuriser les armureries. C’est pas le genre de serrure qu’on met sur une porte de chambre – en fait, je n’en ai jamais vu ailleurs que sur une base militaire. Pour utiliser ça, faut vraiment vouloir que personne n’entre.
– Merde, dit McCoy. Mais je comprends pas. Comment ça se fait que tu en saches autant sur la question ?
Tommy eut l’air un peu penaud.
– Disons que je travaille pas tout le temps sur les manèges. Je donne juste un coup de main à Patsy entre deux boulots.
McCoy passa devant lui, cogna à coups de poing contre la porte. Cria.
– Donny ! T’es là ?
Il écouta. Pas de réponse. Il réessaya.
– Stop ! dit Tommy en le poussant sur le côté.
Il examina la porte de haut en bas. Il tapota doucement là où McCoy avait cogné, puis recula et regarda à nouveau la porte. Il grommela un nouveau « petit malin » avant d’en tapoter méthodiquement toute la surface.
– C’est bien ce qui m’a semblé, dit-il au bout d’un moment, en se tournant vers McCoy et Faulds. Le bois ne fait que deux ou trois centimètres d’épaisseur, c’est un doublage. La porte est derrière. Et apparemment, elle est en métal.
– Merde, dit McCoy. Il ne veut vraiment pas qu’on entre, hein ? Qu’est-ce qu’on va faire ? On n’arrivera jamais à ouvrir ça. Il faut qu’on fasse venir des techniciens de Glasgow, ça va prendre des heures.
– Pas forcément, dit Tommy. Vous êtes d’accord pour ne répéter à personne comment on a ouvert cette porte ?
McCoy acquiesça.
– Les deux autres ne vont pas créer de problèmes ?
McCoy croisa les doigts sur sa poitrine.
– Sur la tombe de ma mère.
Tommy le dévisagea.
– L’honneur, c’est important pour moi, je ne prends pas ce genre de phrase à la légère. T’es pareil ?
McCoy acquiesça. Inutile d’informer Tommy que sa mère était toujours vivante et que son sens de l’honneur s’était fait la malle il y avait belle lurette.
– Bon, fit Tommy en plongeant la main dans sa poche pour en retirer un ensemble de tiges métalliques réunies sur un anneau. Voyons voir ça.
Assis par terre dans le couloir, McCoy et Faulds regardaient Tommy travailler. Il était sur cette serrure depuis une vingtaine de minutes. Pour autant que McCoy puisse en juger, forcer une serrure semblait consister à y insérer une tige, à la secouer dans tous les sens puis à jurer. Il ignorait ce qu’il pouvait y avoir dans cette pièce, dans quel état pouvait être Donny, s’il serait encore vivant ou non, mais il était sûr d’une chose : si Lindsay s’était donné tout ce mal pour les empêcher d’entrer, ce qu’il planquait là-dedans promettait d’être glauque.
– T’en es où, Tommy ? demanda-t-il.
– Ça avance. Mais ces serrures, c’est l’enfer, ça prend un temps fou pour…
Il s’interrompit. Fit tourner sa tige. Il y eut un léger déclic. Un sourire illumina le visage de Tommy.
– Et voilà, dit-il. À vous de jouer.
McCoy et Faulds se levèrent. Ils attendirent que Tommy ramasse ses affaires, les range dans son sac et s’écarte.
McCoy s’avança et poussa la porte.