McCoy était assis par terre parmi la mer de photos et de bouts de papier. Il avait commencé près de la porte et progressait vers le fond de la pièce. Il n’avait dû se lever et sortir que deux fois. La première lorsqu’il était tombé sur une photo d’une main avec deux doigts coupés, et la seconde après en avoir ramassé une d’un Noir dont on plongeait la tête dans ce qui ressemblait à un seau de latrines.
Il n’avait toujours rien trouvé qui concerne Donny Stewart. La plupart des photos semblaient anciennes, elles avaient été prises dans des pays étrangers. Il choisit un carton, commença à le fouiller. S’arrêta. En sortit la photo d’un jeune homme, du même âge que les élèves officiers. Il était assis sur un gros canapé, celui du salon du rez-de-chaussée, apparemment. Il riait, torse nu, une bouteille de bière à la main. McCoy continua de fouiller. Une autre photo, le même jeune homme, mais cette fois étendu sur un tapis devant une cheminée. C’était le rez-de-chaussée de la maison, c’était sûr, McCoy reconnaissait le miroir et les tableaux au mur. Le jeune homme avait l’air sans connaissance. McCoy poursuivit ses recherches. S’arrêta. Jura entre ses dents.
Cette fois, le jeune homme était nu, entièrement attaché avec des cordes. Il était allongé sur un sol de pierre, et il ne dormait pas, il était bel et bien conscient. Il criait. McCoy regarda au dos de la photo.
N.H. Avril 1973
Était-ce l’un des élèves ? Il fallait qu’il pose la question à Meiklejohn. Il se leva, s’aperçut qu’il avait un morceau de papier collé à sa chaussure. Il le décolla. Le papier semblait vieux, il était brunâtre, l’encre était un peu effacée. Une partie avait été mouillée à un moment donné, les mots étaient indistincts.
15 avril 1945
[…] au-delà des mots. J’ai vu des choses que je ne pensais pas possibles sur cette terre. L’odeur des excréments humains était […] J’ai vu l’enfer à l’ombre des pins […]
Et cet après-midi-là […] capturé un jeune soldat, un blond aux yeux bleus […] assez costauds, ils se sont relayés avec des couteaux, et il a crié Vater! Hilf mir!
McCoy leva les yeux vers les lettres peintes en rouge sur le mur. Les baissa à nouveau.
Et il criait et […] tout le monde a tourné la tête, sauf moi, j’ai regardé. Et tout à coup j’ai su quelle était ma…
Il ne put déchiffrer le reste. Il réfléchit. Que s’était-il passé en avril 45 pendant la guerre ? Les choses devaient commencer à se calmer à cette époque. Il posa le papier sur la pile des photos qu’il avait isolées et alla téléphoner à Meiklejohn. Pourquoi tout semblait-il tourner autour d’avril ? Était-ce alors que tout avait commencé ? En avril 1945 ? Il avait l’impression de devoir résoudre une énigme en n’ayant que la moitié des informations nécessaires. Il espérait vraiment que Wattie avait réussi à trouver quelqu’un. Quelqu’un qui serait capable de comprendre tout ça.
– Vous avez quelqu’un dont les initiales sont N. H. ? demanda McCoy.
– Laissez-moi réfléchir, dit Meiklejohn.
McCoy attendit, fit tomber sa cendre dans un vase. Il se voyait dans le miroir fixé au-dessus de la cheminée. Il n’avait pas belle allure. Il avait l’air vieux. Fatigué. Il entendit Meiklejohn remuer des papiers à l’autre bout de la ligne, puis reprendre le combiné.
– J’ai vérifié. J’en ai deux. Neil Harrison et Norman Hall. Pourquoi ?
– Aucun n’a disparu ?
– Non. J’ai vu Norman Hall l’autre jour, d’ailleurs, il est devenu laveur de vitres. Quant à Neil Harrison, il est parti s’installer à Londres.
– Qui vous a dit qu’il était à Londres ?
– Crawford. Il m’a dit qu’il l’avait croisé à Glasgow Central en arrivant de Greenock. Il était avec sa valise, il s’apprêtait à prendre le train. Il en avait marre de Glasgow et de son père, apparemment.
Crawford. Cette petite ordure. McCoy était fixé, à présent.
– Vous vous rappelez à quel moment il est parti ?
– Oui. En avril dernier. Je m’en souviens parce qu’il s’était inscrit pour le voyage à Aldershot et qu’il est parti la semaine d’avant. Il a fallu changer les billets. Une corvée.
Avril encore, songea McCoy. Un événement annuel, peut-être ?
– Vous pouvez regarder dans vos dossiers et me dire s’il y a eu d’autres disparitions en avril ? Y compris dans l’armée régulière, je voudrais savoir si d’autres jeunes ont disparu d’une base écossaise en avril.
– Uniquement en avril ? Pourquoi ?
– Uniquement en avril. Je ne pense pas qu’ils aient simplement disparu. Je pense qu’il leur est peut-être arrivé quelque chose, quelque chose de grave.
– Merde. Je m’y mets tout de suite.
Meiklejohn raccrocha, et McCoy appela aussitôt le commissariat. On lui passa Murray.
– Bravo pour l’Andros Bar, dit celui-ci. Vous avez sauvé de nombreuses vies. Cette bombe était plus de deux fois plus puissante que l’autre. Comment avez-vous su ?
– On a eu de la chance. Beaucoup de chance.
– Mais qu’est-ce que vous foutez, là-bas ? Watson appelle l’université toutes les cinq minutes.
– On a besoin d’un expert. Vous avez trouvé quelqu’un ?
– Il ne devrait plus tarder. C’est un prof spécialisé dans l’histoire militaire du vingtième siècle, apparemment. Il donnait un cours sur Suez quand on est allés le chercher.
– Super. J’ai besoin d’autre chose, Murray. Il faut qu’on fouille à fond cette maison et son terrain. Il va nous falloir des gars de l’Argyll and Bute, et des gars de Glasgow.
– Pourquoi ? Qu’est-ce qu’on cherche ?
– Des cadavres. Il y a de bonnes chances pour qu’il y en ait plusieurs. Je mets ce prof au boulot et je rentre au commissariat, je vous expliquerai tout.
McCoy entendit Murray expirer, il imaginait la fumée de sa pipe.
– Vous êtes sûr de vous, McCoy ? C’est risqué, ce genre d’opération.
McCoy regarda la photo de Neil Harrison en train de crier.
– Oui, je suis sûr de moi. Envoyez les équipes dès que possible. Et envoyez Wattie pour l’organisation. Il a été bon pour les recherches d’Alice Kelly dans le parc, l’année dernière.
Murray accepta, et McCoy raccrocha. Il s’assit dans l’un des fauteuils. Il avait besoin de rester seul un moment. Pour essayer de comprendre ce qui se passait. Il y avait un tableau sur le mur d’en face. Le colonel Angus Lindsay. Un moustachu en uniforme de cérémonie regardant au loin. Il avait l’air dur, froid. Il avait une badine sous le bras.
Vater! Hilf mir!