41

McCoy sortit de la chambre de Lindsay et alla au poste des infirmières. Il réfléchissait à toute vitesse. Il savait qu’un attentat était imminent, et la seule personne capable de lui en indiquer le lieu était dans les vapes. Une infirmière était en train de remplir un formulaire sur un porte-bloc lorsqu’il arriva. Il lui montra sa carte.

– Lindsay, dit-il. Il faut me prévenir dès qu’il se réveille. Appelez Stewart Street, demandez à me parler, je suis l’inspecteur McCoy. Si je ne suis pas là, demandez Watson ou Murray. D’accord ?

L’infirmière acquiesça, l’air apeuré.

– Je vais faire venir deux policiers en uniforme, aussi. Ils vont monter la garde devant sa porte. Personne ne doit entrer à l’exception du personnel médical. Si des visiteurs se présentent, appelez-moi. D’accord ?

Elle acquiesça à nouveau.

– Qu’est-ce qu’il a fait ? demanda-t-elle. Ce n’est qu’un vieux monsieur.

– C’est beaucoup plus que ça, croyez-moi. Qui était en service quand il a été agressé ?

– Ellen Teirney. Elle est en bas, à la cantine.

McCoy la remercia et repartit vers l’escalier.

 

La cantine du personnel était une longue salle sans fenêtre au sous-sol. Des néons éclairaient de longues tables autour desquelles étaient serrées des infirmières en uniforme. Les médecins, stéthoscope autour du cou, étaient assis à une autre table, les brancardiers baraqués à une autre encore. Les conversations faisaient un brouhaha, ça sentait le bacon en train de cuire et le pain grillé, une radio jouait « Waterloo ». McCoy demanda à un brancardier de lui montrer Ellen du doigt, et il désigna une infirmière assise dans l’un des fauteuils entourant une petite table basse au fond de la salle. Elle était jeune, ses cheveux blonds essayaient de s’échapper de sa coiffe. Elle dormait à poings fermés.

McCoy n’avait pas le temps d’attendre. Il lui secoua doucement le bras, et elle se réveilla en sursaut, cligna des yeux deux ou trois fois, se redressa.

– Ellen ? Je suis l’inspecteur McCoy. Je peux vous parler au sujet de cette nuit ?

Elle acquiesça, l’air un peu abruti. Il s’assit dans le fauteuil voisin. Celui-ci puait tellement le tabac qu’on n’avait même pas besoin de fumer, il suffisait de s’y asseoir et d’inhaler.

– Désolée, j’ai dû m’endormir, dit-elle. Je voulais boire un thé avant de rentrer.

– Pas étonnant après cette nuit. Vous pouvez me raconter ce qui s’est passé ?

Elle prit sa tasse, y trempa ses lèvres et grimaça.

– C’est glacé, dit-elle. J’ai dû dormir plus longtemps que je ne croyais.

McCoy hocha la tête, pressé qu’elle en vienne aux faits.

– Je suis donc allée voir M. Lindsay vers deux heures du matin. On doit passer voir tous les patients toutes les deux heures. Bref, j’ai ouvert la porte, et la première chose que j’ai vue c’est qu’il était à moitié sorti du lit. Au début, j’ai cru qu’il avait voulu se lever pour aller aux toilettes et qu’il était tombé, mais ensuite je me suis aperçue qu’il y avait deux hommes dans la pièce.

– Vous pouvez les décrire ?

– Pas vraiment. Il faisait sombre, il n’y avait que la lumière de la veilleuse. Ils m’ont bousculée et ils se sont enfuis. Je n’ai pas vu leur visage mais c’étaient deux costauds. Je crois que l’un des deux avait un blouson rouge.

McCoy s’enfonça un peu plus dans l’accablement. Ce devaient être Cooper et Stewart.

– Ils ont dit quelque chose ?

– L’un a dit à l’autre : « On se tire », et c’est tout.

– Il avait quel genre d’accent ?

– L’accent de Glasgow. Il parlait comme vous et moi.

– Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?

Elle bâilla.

– Pardon. J’ai fait sonner l’alarme et j’ai essayé de remettre M. Lindsay dans son lit. La sœur est arrivée, je lui ai dit ce qui s’était passé, et elle est retournée au poste pour appeler la police. Moi, j’ai attendu que le médecin vienne s’occuper de ce pauvre M. Lindsay.

McCoy acquiesça. Il fallait qu’il pose la question.

– Vous pensez que vous pourriez les reconnaître ?

Elle secoua la tête.

– Très bien. Merci pour ces renseignements.

McCoy la laissa assise là. Ses yeux commençaient déjà à se refermer. Il y avait de bonnes chances pour qu’elle se rendorme en cinq minutes.

Il reprit le couloir en direction de l’ascenseur. Il allait tuer Cooper et Stewart. Il voyait très bien la scène. Tous les deux vont boire des verres après la boxe. Stewart dit à Cooper qu’il y a quelqu’un qui sait peut-être des choses à propos de son fils. Cooper joue les durs, dit à Stewart qu’il peut régler ça, suggère qu’ils aillent le faire parler à coups de poing. Ils boivent d’autres verres, puis ils décident d’y aller. Il n’avait pas mesuré le désespoir de Stewart. Il était surpris qu’il participe à une opération aussi stupide que celle-là. Mais bon, les gens étaient prêts à tout quand il s’agissait de leurs enfants.

Il appela l’ascenseur. Au moins, l’infirmière n’était pas capable de les identifier, c’était la seule bonne chose dans tout ce merdier. Merdier que McCoy avait créé. Il n’aurait pas dû parler de Lindsay à Stewart, il aurait dû fermer sa gueule. L’ascenseur arriva, et il y monta. Appuya sur le rez-de-chaussée. Il consulta sa montre. Il n’était encore que six heures et demie. La journée allait être longue.