44

McCoy ne s’était jamais senti aussi inutile ni aussi frustré de sa vie. Ils avaient fait tout ce qu’ils avaient pu. À Pitt Street, on continuait d’appeler les magasins d’alcools et les bars, on n’était même pas à la moitié de la liste. Meiklejohn n’avait aucune nouvelle des garçons ou de leurs parents. Selon le Dr Basu, Lindsay était toujours K.-O. et le resterait jusqu’en fin d’après-midi. Ils étaient donc là, coincés au commissariat, condamnés à surveiller l’horloge en attendant midi. Il ne restait plus qu’une demi-heure, et ils étaient totalement impuissants. McCoy sortit la bouteille de Pepto-Bismol de son tiroir, en but quelques gorgées. Aucun effet.

Bien qu’il se soit levé à cinq heures, il n’était pas fatigué. Il était comme tous les autres, vigilant, à cran, et fumait comme un pompier. Il éteignit sa cigarette dans le cendrier plein sur son bureau, il avait besoin de s’occuper, de penser à autre chose. Il vit Wattie entrant dans la salle, une bouteille d’Irn-Bru dans une main, un paquet de chips dans l’autre. Il se leva et alla jusqu’à son bureau, approcha une chaise et s’assit en face de lui.

– Tu as reparlé à Patsy Hearne ? lui demanda-t-il.

Wattie acquiesça.

– Je viens de le voir.

Il dévissa le bouchon de sa bouteille, but une longue gorgée, puis :

– Exactement la même version que l’autre jour, il n’en a pas bougé. La dernière fois qu’ils ont vu Jamsie Dixon, c’est à la fête foraine, quand ils lui ont donné l’argent.

– Qu’est-ce que tu vas faire, alors, maintenant ?

Wattie soupira. Ouvrit ses chips. Les tendit à McCoy. Celui-ci plongea sa main dans le paquet, en prit une poignée et les fourra dans sa bouche.

– Aucune idée. Je suis coincé. Vous êtes sûr que vous en avez assez pris ?

– Tu manges trop, dit McCoy en mâchant. Il faut que tu informes Murray.

– Je sais. Mais je vais laisser passer midi. Si rien ne se passe, il sera peut-être de bonne humeur, il sera indulgent. Sinon, il va m’encadrer. Des idées ?

Que pouvait-il lui dire ? Que c’était Billy qui avait tué Jamsie Dixon mais qu’il n’en avait aucune preuve, que c’était simplement une info de Cooper ?

Il secoua la tête.

– On trouvera.

– Va falloir se magner. Au fait, Mary va retourner travailler. Elle commence la semaine prochaine.

– C’est bien. Elle doit être contente.

– Oui. Elle dansait presque dans le salon quand elle me l’a annoncé. Je crois que Duggie est en train de faire une dent. Il est tout rouge, et il n’arrête pas de grogner et de me mordiller la main. Vous croyez que c’est ça…

– Vous deux ! Ramenez-vous !

Ils se retournèrent. Murray se trouvait devant son bureau et les montrait du doigt. Il rentra à l’intérieur.

– Merde, qu’est-ce qu’il veut encore ? dit Wattie tandis qu’ils se levaient.

– On ne va pas tarder à le savoir, dit McCoy.

Murray était en chemise et en cravate, les manches retroussées sur ses bras épais. La chemise semblait luxueuse. Vivre avec Phyllis Gilroy le changeait, c’était manifeste. Pour la pipe, en revanche, elle n’avait rien pu faire. Il devait venir d’en fumer une, le petit bureau puait le Newton’s Golf Flake. Ils s’assirent et attendirent qu’il termine sa conversation téléphonique. Il raccrocha, les regarda.

– C’était Pitt Street. On a passé près des trois quarts des appels. Certains magasins commencent à poser des questions, la presse sera bientôt sur le coup.

Tous levèrent les yeux vers l’horloge murale. Midi moins dix. L’estomac de McCoy se serra à nouveau. Il s’efforça de ne pas penser aux innocents qui vaquaient à leurs affaires et seraient morts dans dix minutes.

– Vous êtes avec nous ?

Murray le regardait. Il acquiesça.

– Watson, j’aimerais que votre Mary nous rende un service. Demandez-lui si elle peut se renseigner discrètement pour savoir si le Record a reçu d’autres communiqués des Fils des 51 ou je ne sais quel autre nom à la con.

Wattie acquiesça. Murray le dévisagea.

– Tout de suite, abruti !

Wattie se leva et sortit précipitamment. Murray secoua la tête.

– Je n’arrive pas à savoir si ce garçon est idiot ou pas.

– Il ne l’est pas, dit McCoy. Mais il pense que vous le pensez, alors il perd ses moyens.

– Bon Dieu, c’est un commissariat, ici, pas un hôpital psychiatrique. Il faut qu’il se ressaisisse. C’est un adulte, un père de famille, ce n’est plus un ado. Comment avance-t-il sur Jamsie Dixon, d’ailleurs ?

– Pas très bien, mais tout le monde piétinerait. C’est un gangster qui en a éliminé un autre. Les chances qu’on trouve quelque chose d’utile sont minces, vous le savez comme moi. Écoutez, je lui donnerai un coup de main quand cette histoire de bombe sera terminée. Je crois qu’il ne dort pas plus de trois heures par nuit avec le bébé. Je me souviens comment c’était. J’ai été un zombie pendant six mois.

– Comme vous voudrez. Mais d’une manière ou d’une autre, il nous faut un résultat.

McCoy leva les yeux vers l’horloge. Midi moins une. La grande aiguille avança d’un cran et arriva sur le douze. Il regarda Murray. À quoi s’attendait-il, à entendre une explosion au loin ? Il n’y en eut pas, rien d’autre que le tic-tac de l’horloge et les invectives d’un ivrogne à l’accueil.

– Ça y est, c’est midi, dit-il.

Murray acquiesça, tapota son stylo à plume sur son bureau.

– Toute cette histoire n’était peut-être qu’une fausse alerte, dit McCoy avec une conviction exagérée.

– Espérons-le. On va vite le savoir. J’ai oublié de vous demander. Qu’est-ce que Lindsay a voulu dire sur Donny Stewart ? Il devait faire partie des Morts d’avril ?

– Je n’en sais pas plus que vous. Il était déjà à moitié dans les vapes à ce moment-là, il a peut-être dit n’importe quoi. Une quantité pareille de morphine, ça…

Le téléphone de Murray sonnait. Tous deux le regardèrent un instant. Murray décrocha. Écouta. McCoy l’observa, il ne lui fallut que quelques secondes pour comprendre, à son air, que Lindsay n’avait pas dit n’importe quoi.

Une autre bombe avait explosé.