D’après les déclarations de Ross, la maison de Lindsay semblait l’endroit le plus probable où les garçons pouvaient se cacher. À l’écart, sûre, pas trop loin de Glasgow. Une planque parfaite. C’était là-bas qu’ils avaient appris les techniques de terrain, ils devaient bien connaître les lieux. Voilà pourquoi McCoy et Faulds se trouvaient à l’arrière d’une voiture de patrouille, gyrophare et sirène allumés, roulant en direction de Gourock, où ils devaient prendre le ferry pour se rendre à Dunoon.
McCoy avait répété à Murray et à Wattie les propos de Ross, dont il était sûr, avait-il insisté, qu’il disait la vérité. Murray avait juré et râlé, mais pour McCoy ça tenait debout. Cette idée de structure par cellules lui semblait excellente, elle correspondait tout à fait à l’esprit d’un militaire intelligent. Ils avaient envoyé un groupe fouiller la caserne au cas où Meiklejohn mentirait et où Donny Stewart ou les autres s’y cacheraient.
Wattie devait interroger Ross à nouveau. Lui apporter des vêtements propres, un thé, quelque chose à manger, et voir s’il pouvait tirer davantage de lui en se montrant gentil. Un rapide examen des dossiers de Meiklejohn avait révélé que les garçons disparus étaient tous du même genre que Thomas Ross et Paul Watt. En situation d’échec scolaire, enfants uniques, père absent, des rêveurs en quête de quelque chose qui changerait leur vie. Lindsay les avait soigneusement choisis. McCoy avait conseillé à Wattie de jouer le grand frère que Ross n’avait pas eu, de se comporter en copain.
La nouvelle selon laquelle Ross n’était pas seul, le fait qu’il y ait encore quatre poseurs de bombes dans la nature – dont Crawford –, avait provoqué une accélération générale de l’enquête. Le temps étant compté, tout était fait à une vitesse redoublée. La voiture dans laquelle ils se trouvaient était conduite par Colin Nish, le meilleur chauffeur du commissariat, il avait suivi une formation spéciale en Angleterre. L’idée avait paru bonne sur le moment, mais à présent McCoy n’était plus si sûr. La vitesse à laquelle Nish roulait – il slalomait entre les files, empruntait parfois l’autre côté de la route – rendait McCoy légèrement nauséeux. S’il continuait ainsi, ils avaient de bonnes chances de mourir dans un accident avant d’arriver à destination. Pendant ce temps, Murray était retourné à Pitt Street pour informer ses supérieurs à propos des quatre poseurs de bombes et leur demander toutes les ressources nécessaires. McCoy ne l’enviait pas.
– C’est de la folie, fit Faulds en s’accrochant à la banquette. On ne devrait pas lui demander de ralentir ?
– Je ne crois pas qu’il puisse, dit McCoy en grimaçant tandis qu’ils dérapaient dans un virage et que la Clyde et Dumbarton Rock apparaissaient. Il va falloir lui faire confiance.
Non content de rouler à une vitesse vertigineuse, Nish tenait le récepteur radio près de sa bouche et s’efforçait de se faire entendre malgré le bruit du moteur et le crissement des pneus.
– On arrive à Port Glasgow, monsieur, cria-t-il dans l’appareil.
Il se tut pour écouter la réponse.
– D’accord, bien reçu.
Il raccrocha le récepteur. Il se retourna vers McCoy et lui cria à l’oreille :
– Changement de plan. Un bateau de la police nous attend à Greenock, près du quai des douanes. Vous connaissez ?
McCoy acquiesça. Nish passa la cinquième, doubla une MG.
– On y sera dans cinq minutes.
– Merde, fit Faulds. On se croirait dans un James Bond, putain.
– C’est la faute de Murray, dit McCoy. Je voulais qu’on envoie les locaux, mais il n’a rien voulu savoir. Il a dit qu’ils étaient cons comme des malles.
– Il doit avoir raison. Merde ! Qu’est-ce qu’il nous fait, là ?
Nish traversa deux voies, s’engagea au frein à main sur la route menant au quai des douanes et s’arrêta d’une manière effrayante tout près du bord.
– Voilà, messieurs, dit-il. C’est là que vous descendez.
Ils montèrent à bord de la vedette de la police. C’était une sorte de hors-bord peint en bleu, avec un minuscule pare-brise pour toute protection contre les éléments. Un jeune type en uniforme de la police fluviale leur serra la main, leur dit qu’il s’appelait Archie Clegg. Puis il enfonça l’accélérateur, et le bateau bondit, l’avant sortit de l’eau, et ils partirent.
En général, McCoy n’aimait pas les bateaux, mais celui-là lui plaisait bien. Le fait qu’il rebondisse sur l’eau l’empêchait de trop rouler, on n’avait pas envie de vomir. Il était assis à côté de Clegg, Faulds était recroquevillé derrière, plus pâle que jamais.
– Pas la peine d’aller jusqu’à Dunoon, cria McCoy. Vous pouvez nous emmener en haut de Loch Striven ? Nous déposer près de Glenstriven ?
Clegg acquiesça.
– Pas de problème. On y sera dans un quart d’heure.
McCoy resta à côté de lui durant tout le trajet, il profita de la vitesse et de la sensation des embruns soulevés par la poupe. Ils passèrent devant Gourock, McCoy aperçut les gros navires amarrés au quai du Holy Loch. Il ne vit cependant aucun sous-marin. Il pensa à Donny Stewart. Il ignorait ce qui lui était arrivé, mais il avait un mauvais pressentiment. Il s’interrogea à nouveau sur la signification des Morts d’avril. Lorsqu’il se retourna, Faulds était penché par-dessus le bord et s’essuyait la bouche avec un mouchoir bleu clair. Il leva les yeux vers McCoy, l’air si misérable que McCoy ne put s’empêcher de rire.
– Ça a l’air d’aller pour toi, enfoiré, dit Faulds. Je suis en train de crever, moi, ici.
Clegg ralentit, décrivit une boucle et accosta à Glenstriven. Ils sautèrent sur la petite jetée et partirent à pied en direction du village.
– La maison est à une dizaine de minutes, dit McCoy.
Faulds hocha la tête, le teint toujours un peu vert.
– Au moins, on est sur la terre ferme.
La route étroite était bordée de haies. Le silence régnait, on n’entendait que le chant des oiseaux et, de temps en temps, de faibles meuglements de vaches. On distinguait les montagnes de l’autre côté du loch, les cimes encore saupoudrées de neige. Le soleil avait percé à travers les nuages, il leur chauffait les épaules. On avait du mal à croire qu’ils étaient dans un endroit aussi magnifique pour empêcher un fou de faire sauter Glasgow.
– Tu aimes la campagne ? demanda Faulds.
– Non, dit McCoy. Et toi ?
Faulds secoua la tête.
– J’ai passé toute ma vie à Glasgow et à Belfast. Je suis un citadin. Toute cette nature me rend nerveux. Un jour ou deux, je peux tenir le coup, mais…
– Merde ! J’ai oublié de te dire au milieu de la panique. Cooper a parlé à son oncle.
– Et ? dit Faulds, sur ses gardes.
– Et les gars de Belfast vont calmer le jeu pendant un moment, ils vont réétudier ce qui s’est passé. Tu es à l’abri pour quelque temps.
Faulds s’arrêta.
– C’est vrai ?
McCoy acquiesça.
– Alléluia, dit Faulds.
McCoy pointa le doigt vers la maison au milieu des bois.
– C’est là. C’est Knockland.
Ils trouvèrent deux agents en uniforme près du portail à leur arrivée. Des hommes de la police de l’Argyll and Bute. Le plus grand s’avança.
– Danny Finch, dit-il. On est là pour vous aider.
McCoy le salua de la tête et lui serra la main. Il lui donnait une vingtaine d’années. L’autre s’appelait Jackson. Il faisait encore plus jeune.
– Très bien, dit McCoy. Allons-y.
– Il y a un problème, dit Finch. Le portail est cadenassé. On a sonné à l’interphone, mais personne ne répond.
McCoy entendit Faulds grommeler « putain » entre ses dents.
– Qu’est-ce que vous avez comme matériel avec vous ? demanda McCoy. Un coupe-boulon ? Ça devrait suffire.
Finch eut au moins la correction de rougir.
– Non, dit-il. Personne ne nous a dit qu’il nous fallait un coupe-boulon.
McCoy résista à la tentation de crier : « Et comment vous croyiez qu’on allait entrer, bande d’abrutis ? » et s’efforça de rester calme.
– L’endroit le plus proche où on peut en trouver un, c’est au commissariat de Greenock, dit Finch. Il y en a pour à peu près deux heures.
McCoy sortit son paquet de Regal, l’ouvrit, y prit une cigarette et l’alluma. Il se donnait du temps pour se calmer. Tout à coup, une idée.
– Vous êtes en voiture ?
Finch acquiesça, montra une Cortina bleu marine un peu plus loin sur la route.
– Allons-y, dit McCoy.
Puis, se tournant vers Faulds :
– Je reviens dans une demi-heure.