théâtre de l'opéra-comique
Le Diable à l'école,
musique de M. H. Boulanger186
Le Diable à l'école a enfin été joué. – Trois ou quatre fois, pour cause d'indisposition ou autre, l'on a changé le spectacle et renvoyé les spectateurs ; jamais l'accouchement d'un petit acte ne fut plus laborieux ; mais l'activité n'est pas ce qui distingue l'Opéra-Comique.
Babylas, jeune diable, assez naïf (pourquoi ce nom de diable pris dans le calendrier187 ?), est la risée de tous les diablotins. On ne saurait imaginer un diable moins déluré et moins spirituel. Le moindre petit clerc d'huissier lui en remontrerait en fait de malice. Jamais il n'a pu rapporter la moindre âme en enfer, tant sa maladresse est grande. Babylas a cependant fait des excursions sur la terre ; mais il a toujours été malheureux et dupé. – Il avait débarrassé une coquette de son mari ; mais la veuve l'accuse, le fait poursuivre comme assassin, et par cette action vertueuse, sauve son âme, que Babylas pensait déjà croquer. Elle pousse la vertu jusqu'à le faire pendre, le pauvre imbécile de diable. Jugez de l'humiliation : revenir en enfer pendu ! – Babylas essaie de prendre sa revanche, promet de rapporter une âme dans un an. – Tout justement, en mettant le pied sur notre globe, il rencontre Stenio, un jeune dissipateur, un débauché, qui vient de perdre tout son argent au jeu. – L'occasion est des meilleures et Babylas en profite ; Stenio lui vend son âme pour deux ans de luxe, de plaisirs et de richesses. – Au bout de deux ans, Babylas se présente chez son créancier et le prévient que l'échéance est arrivée et qu'il soit prêt à livrer son âme à l'heure dite. – Mais Stenio a une jeune Fiamma, sa sœur de lait, qui, le voyant triste et soucieux, lui en demande la raison et propose au diable de la prendre à la place de Stenio. « C'est bien, dit le diable, qui pense que l'âme de Stenio, jeune libertin et impie, finira toujours par lui revenir ; j'accepte le marché. Suis-moi. – Laissez-moi une heure pour faire mes adieux à mon maître. – Non, pas une heure, pas une demi-heure ; tout de suite ! dit Babylas qui se défie des femmes. – Accordez-moi le temps que cette bougie brûlera, dit la Fiammette en lui montrant une bougie aux trois quarts consumée. » – La condition est acceptée. – Mais Fiamma souffle la bougie et la dépose sur un autel de la Vierge où Babylas ne peut l'aller chercher ; – elle épouse Stenio, et Babylas retourne en enfer servir de risée aux diablotins.
M. Boulanger, dans ce petit acte-ballade, a fait preuve de goût et de talent ; il a peut-être prodigué les effets d'orchestre, et ne s'est pas assez occupé de la mélodie ; il a montré trop de science et pas assez de légèreté. L'opéra-comique n'est pas l'opéra ; le duo d'Henri et de Mlle Descot est aussi solennel que le duo de Bertram et d'Alice188 – et Le Diable à l'école est plutôt un conte dans le genre de Boccace ou de La Fontaine qu'une légende prise au sérieux. Les couplets d'Henri sont francs et bien rythmés ; mais, en général, M. Boulanger oublie trop souvent que la musique n'est pas faite pour les musiciens, mais bien pour le public.
186 Henri Boulanger (1815-1900) fut compositeur d'opéras-comiques. Cette « légende » en un acte, sur un livret de Scribe, a été créée le 17 janvier 1842.
187 Babylas est en effet un saint, martyr de l'Église primitive (Antioche, v. 251), fêté le 24 janvier.
188 Dans Robert le Diable, grand opéra de Meyerbeer (1831), acte III, scène 4. Louis-François Henri (1786-1855), basse, a fait toute sa carrière à l'Opéra-Comique. Geneviève Descot (1821- ?), soprano, y a été engagée en 1841.