théâtre des variétés
La Mariée de Poissy,
vaudeville en un acte,
par MM. Grangé, d'Ennery et La Rounat297
Poissy est un endroit connu par son marché aux bœufs et par son congrès historique. Mais nous n'avons pas l'intention de faire la chronique de ce bourg célèbre. Poissy est tout bonnement le lieu où se passe l'action de ce vaudeville, qui aurait pu, nous devons l'avouer avec franchise, se passer tout aussi bien autre part, et s'appeler alors La Mariée de Nanterre, ou d'Argenteuil. Ce qui justifie le nom de Poissy, c'est la profession de l'épouseur de la pièce, qui s'intitule M. Sauvageon, commerçant en bêtes bovines. Sauvageon est fiancé à Mlle Véronique, fille de M. Cabillot, qui aspire à la dignité de conseiller municipal de cette ville, illustre dans les fastes de la boucherie.
Mlle Véronique, comme le roquet de Mme Desjardins298, est un peu sur sa bouche ; mais Rousseau ne haïssait pas les femmes gourmandes, et M. Sauvageon n'est pas plus difficile que Rousseau ; il aime cette fiancée de bon appétit, qui avale avec tant d'aisance une partie du repas de noce.
Au dessert, à travers les fusées et le bombardement des bouteilles de vin de Champagne arrive de Paris une nuée de polkeuses, chaloupeuses et autres chorégraphes de Mabille et du Château-Rouge299. Le Sauvageon, un peu chaud de vin, prend pour sa fiancée une de ces jeunes filles dont les traits ont beaucoup de rapports avec ceux de sa future Mme Sauvageon, mais qui ne lui ressemble guère sous le rapport de l'élocution.
Le marchand de bêtes à cornes est extrêmement surpris des progrès rapides faits en un instant par la chaste Véronique, et il se donne au diable pour savoir qui peut en avoir tant appris à sa femme. Angélina, c'est le nom de la vierge de la Boule-Rouge300, est le produit d'une des fredaines du père Cabillot, qui, comme tout le monde, a été un gaillard dans son temps. De là cette ressemblance extraordinaire pour deux étrangères, naturelle pour deux sœurs. Tout s'éclaircit, après une foule de cascades très drôles. Sauvageon, rassuré, achève son mariage avec Mlle Véronique ; Mlle Angélina, ornée d'une petite dot, épouse M. Frédéric, un de ses instructeurs en langage égrillard et en grammaire échevelée.
Tout cela est vif, bouffon et amusant. Mlle Delorme s'est fait applaudir dans son rôle double de Véronique et d'Angélina, car les deux personnages, qu'on a soin de ne pas faire trouver ensemble sur la scène, sont joués par la même actrice, ce qui donne à la méprise de Sauvageon une vraisemblance qui manque souvent dans les pièces ménechmes301.
297 Création le 6 mars 1850. Eugène Grangé (1810-1887) et Adolphe d'Ennery ou Dennery (1811-1899) sont depuis longtemps dans la carrière vaudevillesque ; Charles de La Rounat (1819-1884) vient seulement d'y entrer ; également critique, il dirigea l'Odéon de 1856 à 1867.
298 Personnage du « Roman chez la portière » de Monnier (voir l'article p. 31).
299 Deux bals populaires en vogue, le premier ancien (ouvert en 1813, actuelle avenue Montaigne) mais récemment rénové et agrandi, le second ouvert en 1845 dans le quartier Barbès (actuelle rue de Clignancourt).
300 Cabaret qui existait encore au milieu du XXe siècle ; Doisneau photographia certains de ses artistes.
301 Les Ménechmes (les jumeaux) est une comédie de l'auteur grec Ménandre, souvent imitée par la suite. Joséphine Delorme, née Chevalier, vient de débuter aux Variétés en 1849.