théâtre des variétés
Les Folies d'Espagne
Danseurs espagnols
Un frisson de tambour de basque, un babil de castagnettes nous attirent aux Variétés. Que les ombres de Marcel et de Vestris nous le pardonnent : mais la moindre cachucha, le plus léger zaleo453 nous fait tourner la cervelle comme à ce brave employé du télégraphe des Folies d'Espagne que nous avons beaucoup de peine à trouver ridicule.
Nous avons fait à la poursuite des mantilles, des basquines, des guitares et des panderos le même voyage que ce brave homme ennuyé des gestes épileptiques de l'ancien télégraphe de Montmartre454 : seulement nous nous sommes gardé de prendre Tourcoing pour Grenade, et nul maître de ballet facétieux ne nous a dupé.
Cette farce des Folies d'Espagne, attribuée drolatiquement au señor Hernandez de la Miranda, est véritablement très drôle, et Mlle E. Baudin y porte le costume espagnol à nous faire illusion, à nous qui avons passé bien des soirées au Prado de Madrid, à la Cristina de Séville, à l'Alameda de Grenade, à la Glorietta de Valence, à la Rambla de Barcelone455 : on ne saurait mieux manier l'éventail et draper la dentelle noire sur une jupe rose ou bleue.
La señora Cristina Mendez est l'étoile de la troupe : après la Dolorès, la Petra Camara, l'Adela Guerrero, la Pepa Oliva, la Concepcion Ruiz456, elle a trouvé une nouvelle manière d'être charmante : elle est blonde et rose ; elle a des yeux bleus, une physionomie virginale, et, avec tout cela, le diable de la danse au corps. Lorsqu'elle a jeté sa mantille et qu'elle apparaît étincelante au milieu d'un scintillement de paillettes, l'ange se transforme en feu follet, et c'est une rapidité à donner le vertige, un tourbillon à éblouir ! Elle est si vive, si preste, si agile : elle se cambre avec tant de souplesse ; elle voltige avec tant de légèreté, que les lorgnettes ont peine à la suivre. Elle a dansé ainsi La Perle de Cadix, L'Andalouse et une séguidille, très bien secondée par son partenaire, A. Martinez, qui vaut presque Camprubí457.
453 Ou jaleo, pas de danse andalou popularisé en France en 1837 par les sœurs Noblet. Marcel (?-1759), maître de ballet de Louis XV, et Auguste Vestris (1760-1842), célèbre pour sa virtuosité, sont deux figures maîtresses de la danse de la fin de l'Ancien Régime.
454 Gautier voyait ce télégraphe mécanique désaffecté depuis sa fenêtre lorsqu'il habitait rue de Navarin. Pandero : tambour de basque, en espagnol.
455 Gautier cite les promenades célèbres de chacune de ces villes, vues par lui en 1840. Émilie Baudin a débuté au Gymnase quelques années plus tôt. La pièce qu'elle reprend est un vaudeville de Lubize, créé au Gymnase le 2 juin 1853.
456 Danseuses espagnoles dont Gautier a fait l'éloge, dès les années 1830 pour Dolorès Serral (voir p. 51-53), récemment pour les autres. Courbet a peint Adela Guerrero en 1851, et Chassériau Petra Camara dansant en 1854 (voir le texte suivant).
457 Le partenaire de Dolorès en 1834-1837.