Le petit Grégory n’avait pas résisté aux assauts répétés de l’évêque.
Mickey venait d’avertir Shaw, alors qu’il était sur le point de retourner à la cabane pour la grande séance en réseau qui avait nécessité plusieurs mois d’organisation acharnée.
Ce porc ! pensa Shaw, il n’a pas pu se retenir. Il risquait réellement de tout compromettre avec ses manies morbides. Certes, Shaw avait apprécié sa compagnie durant quelques soirées mémorables. L’évêque avait développé, lors de leurs séances avec les garçons, une liturgie du sexe dont le plaisir était le seul sacrement.
Mais, depuis quelque temps, il franchissait les limites acceptables et les conséquences de ses égarements fragilisaient tout le système.
Il fallait agir !
Mickey avait assuré qu’il ne lui faudrait pas plus de soixante-douze heures pour trouver un remplaçant au blondinet fragile et obéissant.
C’était le temps impérativement nécessaire pour affronter la complexité de la situation et trouver une solution. Pour couronner le tout, James l’avait prévenu de la visite de deux membres de la police criminelle. Il devait se préparer à les recevoir, à son retour, car ils avaient assuré qu’ils reviendraient.
Tant pis pour la virée à Paris avec Karen ! Qu’elle y aille en compagnie de sa nouvelle amie, sa psy arrogante. Débarrassé d’elles, il pourrait s’employer à désamorcer les petites bombes qui s’accumulaient depuis quelques jours et qui le perturbaient plus qu’il ne l’admettait.
Shaw rappela Mickey pour lui donner ses ordres : quitter la cabane et ne laisser que « Le Moine » pour surveiller les enfants. Les autres « employés » recevaient l’ordre de se disperser et de se loger provisoirement dans de petits hôtels du Canton de Vaud. Ils seraient contactés d’ici deux ou trois jours avec des instructions précises. Quant à Mickey, il l’attendait de pied ferme à « Houston », avec l’évêque.
*
Alors que Karen et Gil filaient vers Paris en TGV pour un week-end d’amour et de liberté, confortablement installées en première classe dans un train relativement peu occupé, se demandant toujours quelle mouche avait piqué Shaw pour le faire renoncer à son projet d’escapade avec Karen, Jana et le juge d’instruction, en présence d’importantes personnalités politiques, judiciaires et de la police de Genève, donnaient une conférence de presse attendue sur l’assassinat d’Oleg Kounev.
Le déchaînement et l’avidité des journalistes auguraient une couverture médiatique écœurante. Le nombre de questions et l’insistance morbide du monde de la presse ne trouvaient que peu d’aliments à se mettre sous la dent, l’instruction et la police ne faisant état que de maigres résultats.
Jana essayait de toutes ses forces de survoler la scène, se focalisant sur les derniers événements, cherchant à trouver un fil d’Ariane dans cette diversité d’informations, consciente du temps nécessaire pour contrôler, croiser, vérifier, formaliser et avancer, pas à pas, dans le labyrinthe d’éléments connus autour de la mort d’Oleg Kounev dont la photo serait, dès demain, à la une de l’information.
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Bercy grondait d’une clameur nerveuse, à l’instar d’une armée sur un champ de bataille, dans l’attente de l’affrontement.
Vingt mille supporters scandaient le nom de Tyson, dans l’espoir qu’il reprenne son titre à Riddick Bowe. Après des années d’errance, le come-back désespéré du boxeur de « Catskill » devait marquer la fin de l’enfer et de l’opprobre. Le titre suprême n’effacerait certes pas les scandales, mais lui offrirait une gloire réparatrice, un coup de projecteur sur sa face burinée par les tumultes de la vie.
Pour Gil, c’était une première.
Elle découvrait l’atmosphère surchauffée d’un championnat du monde « poids lourd », reine des catégories, paraît-il, et promenait autour d’elle un regard d’enfant curieux et légèrement anxieux, alors que Karen, le poing levé vers le ring, flottait dans une ambiance de bonheur, enchantée de retrouver l’ambiance électrique des grands rendez-vous qu’elle avait connus autrefois à Las Vegas, Atlantic City ou encore au Madison Square Garden de New York, avec son père.
Sous le regard protecteur de ses hommes de coin, le challenger tournait entre les cordes tel un lion en cage, affamé. Mike Tyson : 57 combats, 50 victoires dont 44 par K.-O., 5 défaites et 2 sans décision. Seule la victoire pouvait sceller cet ultime retour et, dans le regard de l’ex-champion, une lueur brillait, comme un espoir trop longtemps retenu et qui émerge soudain de l’ombre.
Lorsque le gong retentit, alors que Tyson se précipitait sur son adversaire, Gil saisit la main de Karen.
La foule hurlait.
Riddick Bowe, les poings levés, affrontait les gauches-droites qui défiaient sa garde. « Iron » Mike avançait sans répit, la tête en avant, lâchant ses directs percutants dont l’impact résonnait comme une sentence. Bowe courba l’échine, au centre du ring, muselé par son adversaire, puis recula lentement dans les cordes, le souffle coupé, malgré ses coudes flanqués au corps. Le champion en titre n’avait toujours pas délivré le moindre direct, étouffé par la rage et la puissance du challenger. Un crochet au foie arracha une grimace à Bowe qui baissa sa garde. Profitant de l’ouverture, Tyson enchaîna avec un large crochet qui explosa l’arcade sourcilière de son adversaire, l’envoyant au tapis. S’assurant que Tyson restait dans un coin neutre, l’arbitre compta. Le public scandait le nom du héros et reprenait, en chœur, le décompte, comme une chorale dans une cathédrale. Bowe prit son temps, mais finit par se relever, chancelant, offrant son corps et sa gloire, désormais vacillante, aux poings d’acier de Tyson. Celui-ci traversa le ring et fondit sur lui comme un fauve sur sa proie. Riddick Bowe n’était plus qu’un pantin sans défense. Un uppercut brisa son menton et il s’écroula comme un sac dans une gerbe de sang et de sueur pour ne plus se relever.
Le public hurlait de plaisir. La rencontre avait duré deux minutes quarante-cinq. Tyson était le nouveau champion du monde des poids lourds. Il levait les bras, haut dans la nuit de Bercy. Les siens se précipitèrent sur lui pour le porter en triomphe, le ring fut envahi par les journalistes, les photographes, les managers, les VIP arrogants et quelques énergumènes étranges qui profitèrent du désordre ambiant pour toucher du doigt, eux aussi, les étoiles invisibles qui flottaient juste au-dessus du ring.
Karen sursautait et couvrait le visage de Gil de mille baisers. La salle entière était en transe et Gil ressentit une émotion puissante, esthétique et virile. Le désir glissa dans ses veines et la chaleur envahit son ventre. Elle s’empara des lèvres de Karen qui lui rendit son baiser, jouant avec sa langue, au milieu de la foule en délire qui acclamait son champion.
*
Elles firent l’amour toute la nuit dans la chambre à l’ambiance intime de la rue de Tournon, ne quittant l’hôtel que pour une brève visite, le lendemain, au Musée du Sénat, situé à cent mètres, et qui proposait une petite rétrospective « Tiepolo » dont le Tout-Paris faisait ses délices.
Libérée de la présence de son père, Karen se livrait, insatiable, permettant à Gil de se découvrir une sensualité inattendue, inconnue et inexplorée. Les lèvres fines de Karen formaient des « je t’aime » muets, accompagnés de caresses qui provoquaient chez Gil des vagues de frissons sans fin.
Alors qu’elles dînaient pour la seconde fois dans la pénombre de leur chambre où flottaient des odeurs de parfum et de sueur juxtaposées, Gil expliqua à Karen qu’elle souhaitait organiser, dès leur retour à Genève, une séance d’hypnose pour pénétrer le secret de son enfance et découvrir les raisons de sa mutité. Karen acquiesça, soumise, consentante et confiante.