9

Il n’a pas été facile de se débarrasser de Lanh, mais, pour une fois, Mark s’abstient de la raccompagner jusqu’à la porte en accumulant maladresse et désobligeance. Mieux : il la met en valeur en la présentant d’emblée comme une actrice à part entière de son enquête autour de Markus.

De son côté, qu’elle consente ou non un effort (car il est impossible de se méprendre sur la jalousie de Lanh), Nathalie joue parfaitement le jeu, écoutant la jeune fille avec attention quand Mark lui demande de relater ses découvertes, puis s’adressant autant à elle qu’à lui lorsqu’elle résume les rencontres avec ses contacts. En fait, Mark a même l’agaçante impression que les deux jeunes femmes discutent davantage entre elles qu’avec lui. Finalement, alors qu’il commence à redouter de devoir convier Lanh au dîner « sur le pouce » qu’il concocte mentalement depuis que la photographe est entrée, il est sauvé par un coup de téléphone de Joanna qui s’étonne que la jeune Chinoise ne soit pas déjà chez elle pour son cours d’informatique.

— Je n’ai pas vu passer l’heure, s’excuse Lanh à regret.

— Tu enseignes les subtilités du Net à la grand-mère de Mark ? demande Nathalie.

— Elle lui apprend à hacker, corrige Mark.

Puis il insiste pour que Lanh modère ses investigations tant qu’elle ne voit pas apparaître un lézard sur l’écran de Joanna. Enfin, quand la porte se refermée sur la jeune Chinoise, il appelle le Roi Lézard dans sa forteresse de Cuercos.

La conversation est amicale mais extrêmement brève !

— J’en suis désolé mais je suis pressé, Sidzik, alors va au plus court.

— C’est à propos de l’affaire Crowley...

— Markus Weinmar, donc. Un de tes amis, c’est ça ? Je peux te dire qu’il a déclenché un sacré merdier. Que puis-je faire pour toi ?

— Comme pour la Veuve Noire : sécuriser mes liaisons et celles de ma grand-mère.

— Encore ?

— C’est-à-dire...

— Pour les explications, je te rappellerai. J’aurai peut-être des trucs à t’apprendre. J’expédie un cerbère immédiatement et je jette un œil dès que je peux à ton environnement numérique. Fais gaffe tout de même, cette histoire attire toutes les pointures du Net, aucune procédure de sécurité n’est sûre à 100 %. À plus, Sidzik.

— Euh... le King, c’est fiable ton cerbère ?

Le Roi Lézard a déjà raccroché.


Enfin seuls, pense Mark lorsqu’il repose le combiné, mais Nathalie quitte aussitôt le canapé et s’approche de l’ordinateur.

— Tu peux me montrer le disque du WER ?

— Le... Bien sûr. Je vais te...

La photographe est déjà installée devant le monitor, une main sur le clavier, l’autre sur la souris. Mark soupire :

— Il est connecté.

— Il y a un code ?

— Lanh y a passé tout l’après-midi. Tu n’as qu’à... (Le pointeur de la souris se positionne sur l’icône du lecteur…) cliquer dessus.

C’est déjà fait.

Si Nathalie avait été moins belle, Mark se serait volontiers agacé d’être le dernier à pouvoir se sentir chez lui dans son propre appartement. Au lieu de quoi il lui demande si elle souhaite un thé.

— À cette heure ? (Il n’est pas tout à fait 20 heures). Sers-moi plutôt un... Tu as du Tonic ?

— Je crois, oui.

— Alors, ce sera un gin-to.

Mark reste une seconde hébété. Par gin-to, il suppose que Nathalie entendait un verre de tonic dans quelques centilitres de gin, liquide dont il ne se souvient pas posséder la moindre bouteille.

— Tu t’en sors ? s’enquiert-il par pure forme.

— Très bien.

Elle se retourne et lui consent un sourire qu’il qualifie de complice à défaut d’être prometteur.

— Bon, ben, je vais faire un saut au Chinois du coin. Tu as une marque préférée ? Non, laisse tomber, il n’y aura certainement pas le choix. Je suis de retour dans dix minutes.

Nathalie est de nouveau concentrée sur l’écran. Mark traînasse un peu pour enfiler son blouson, fouille consciencieusement ses poches comme pour s’assurer qu’il a bien ses clefs et son portefeuille, va jusqu’à la porte, s’arrête, pénètre de nouveau dans le salon et fait demi-tour. Il ne se décide qu’après avoir fait jouer la clenche et entrebâillé la porte.

— Il fait traiteur aussi, tu as des contre-indications sur un plat particulier ?

Il entend nettement Nathalie étouffer un rire, mais elle ne se retourne pas, cette fois.

— La cuisine chinoise en général, mais à part ça tu prends ce que tu veux.


Une fois dans la rue, et après avoir accepté de se taper une demi-borne sous une bruine pénétrante pour rallier le Tunisien le plus proche, Mark repense aux renseignements que Nathalie a arrachés à Roland Bessey et à son contact des Affaires Étrangères.

La NSA a localisé plusieurs des sites dans lesquels le réseau de la T&B a malgré lui déversé ses informations ; la plupart appartiennent à des mouvements écologistes, dont Greenpeace n’est pas le moindre, mais certains sont des émanations de services plus ou moins officiels de plusieurs États de l’hémisphère sud. Elle a aussi décelé d’énormes transferts de fonds en provenance de comptes de la multinationale vers des associations humanitaires du monde entier, ainsi qu’une multitude d’ordres de vente d’actions auprès d’agents de change de toutes les grosses places boursières. Mais, à l’instar de la CIA et du FBI, elle est surtout gênée aux entournures par la divulgation de dossiers classés secret-défense concernant des recherches effectuées par plusieurs filiales de la T&B pour le compte de l’armée américaine. Le piratage a été ordonné de façon très sélective et, si nombre d’informations détournées sont faciles à pister, celles que la NSA considère comme nuisibles sont intraçables. Les différentes pièces de chaque dossier s’empilent en couches désordonnées en provenance de tous les serveurs de la planète. Certaines s’accompagnent même de publicités pour des pizzas livrables à toute heure ou pour des massages spéciaux, garantis sans virus.

Globalement, la NSA estime que le coup a été préparé pendant plusieurs mois et qu’il est le fruit d’un travail collectif minutieusement orchestré. À condition d’être efficacement compilée, sa liste d’organisations suspectes aurait à peine tenu dans un CD-ROM ; parmi elles figurent plusieurs conglomérats industriels et autant de services spéciaux européens et asiatiques.

Le ministère de l’Intérieur français, Matignon, l’Élysée et leurs homologues européens, sont quant à eux extrêmement embarrassés par un certain nombre de gigaoctets ayant atterri dans leurs boîtes mails. Ces milliards de bits concernent une trentaine de programmes de recherche entrepris par la T&B et commandités par divers départements du gouvernement des États-Unis. Si certains de ces programmes sont dûment connus des États européens, d’autres leur sont totalement étrangers et présentent des aspects justifiant une indignation très officielle, sinon une franche réprobation.

Au moins trois laboratoires développent des bactéries anaérobies capables d’engorger n’importe quel puits de pétrole en moins de cinq jours, par simple décomposition des boues de forage. Le pire est que le cartel T&B a sans doute subi une attaque de ce genre deux ans plus tôt et qu’il cherche simplement à rétablir l’équilibre de la terreur.

Une cellule de crise a été constituée à l’échelle de la Communauté, elle a pour mission de déterminer en moins de soixante-douze heures la fiabilité des renseignements collectés et de soumettre une proposition diplomatiquement acceptable quant à l’attitude que les gouvernements européens doivent adopter vis-à-vis de la Maison-Blanche. Étant entendu qu’on s’attend à ce que la NSA ou la CIA découvre les destinataires de la fuite d’une minute à l’autre.

Le Roi Lézard a parlé d’un sacré merdier. Il est en dessous de la vérité. Une chose est en tout cas certaine : des deux côtés de l’Atlantique Nord, on n’a rien de plus pressé que de trouver un bouc émissaire. Markus Weinmar et, au-dessus de lui, le WER sont les parfaits porteurs de péchés. L’affolement de Salinger se comprend – cela peut même justifier l’existence de plusieurs enquêtes lancées en parallèle. Tout grand service d’information érige la paranoïa en mode de vie, et le WER ne fait pas exception à la règle. Mais cela ne fait pas vraiment progresser Mark.


En revenant, trempé et glacé jusqu’aux os, la bouteille de gin et le sachet de barquettes aluminium dans les bras (sac dont les anses ont craqué au bout de cent mètres et qu’il a dû tenir par en dessous alors que le couscous est brûlant) et le moral au ras de la Seine, il trouve Nathalie assise en tailleur sur le canapé, les pieds nus, le téléphone sur la moquette à côté d’elle, un vieil album de photos qu’elle épluche page à page sur les genoux. Son unique album, celui qui regroupe les rares clichés de ses parents, jeunes forcément, et de ses grands-parents alors qu’eux aussi n’avaient pas atteint son âge actuel. Il est à moins de deux doigts de la renvoyer à son atelier, ses sous-secrétaires d’État, ses barbouzes ou à n’importe quoi qui se trouve le plus loin possible de chez lui, Fred Cailloux inclus. Surtout Fred Cailloux.

La jeune femme doit le sentir, car elle lui décoche un sourire à faire frémir un castrat, pose délicatement l’album sur l’accoudoir, fait un détour par la salle de bains comme si elle la pratiquait depuis dix ans et en revient avec une serviette de toilette qu’elle lui tend tout en le débarrassant de la bouteille et du sachet avec ses barquettes alu et son couscous désormais tiédasse. Puis, tandis qu’il se demande ce qu’il doit faire de la serviette alors qu’il a un superbe sèche-cheveux dans ladite salle de bains, elle disparaît dans la cuisine pour – au bruit – transvaser les barquettes dans un plat adéquat, réchauffer sans vergogne le couscous au micro-ondes, décapsuler une canette de Tonic prise dans le frigo et mélanger celui-ci au gin dans deux verres empruntés au lave-vaisselle et rincés à la hâte. Malgré son hébétude, Mark juge, à son absence totale d’hésitation et au nouveau record du monde qu’elle vient d’établir dans la catégorie « réception à l’improviste », que Nathalie a profité de son absence pour se livrer à une visite exhaustive de tout l’appartement.

Quand elle revient dans le salon, les deux verres remplis à ras bord dans une main et un assortiment de noix exotiques dans l’autre, Mark a jeté la serviette sur un siège, s’est écroulé dans le canapé et a définitivement renoncé à se sécher.

— J’ai fait comme chez moi, avoue-t-elle sans gêne.

— Tu as eu raison, ment-il sans trop blêmir.

Elle lui place un verre entre les mains et s’assoit à côté de lui, de biais, les pieds sur le cuir du canapé, les genoux quasiment sous son menton, la jupe couvrant ses jambes jusqu’aux chevilles. Elle lève son verre et le cogne contre le sien.

— Tchin !

— Euh... tchin.

Mark n’ose même pas se demander ce qu’il doit faire de l’alcool contenu dans son verre. Il trempe les lèvres dedans, bien décidé à le faire durer le plus longtemps possible, et juge le mélange, comme le pourcentage, acceptables. Il l’est sûrement, à condition de s’en tenir là, ou pour quelqu’un pratiquant l’apéro de façon au moins hebdomadaire. Ce soir, Mark en boit deux avant qu’ils passent à table et un après qu’ils ont fini de manger. Nathalie en ingurgite entre deux et trois fois plus, mais sa tolérance à l’alcool est largement supérieure. Très largement.

Au début, ils devisent de choses et d’autres, un peu de Markus, un peu de Fred, un rien de journalisme, deux doigts de photographie et un zeste d’astronomie. Puis ils parlent d’eux, du moins Mark parle de lui. Non qu’elle le pousse vraiment, mais Fred lui en a suffisamment dit pour qu’elle pose les bonnes questions, comme on dépoussière un grenier rempli de malles et d’objets hétéroclites dont on sait ce qu’on peut y trouver. De réponses évasives et réticentes en précisions ou en corrections, Mark, qui déteste s’exhiber et qui ne le fait jamais, se déverse avec une facilité déconcertante. Il se surprend même à raconter des bribes de sa vie qu’il ne savait pas avoir en mémoire. Nathalie a une capacité d’écoute extraordinaire.

— Et toi ? tente-t-il une bonne dizaine de fois sans obtenir plus qu’un propos général qui dévie rapidement vers une nouvelle question le concernant.

Elle sourit en lui touchant le bras d’une main, elle rit en s’appuyant sur lui, elle lui fait des clins d’œil largement complices, elle cale ses pieds sous sa cuisse, mais à aucun moment il n’a la sensation qu’elle fait appel à sa libido. C’est juste que, entre amis, il y a des gestes qu’on peut se permettre sans arrière-pensée. Par moments, il se souvient de ce qu’il a ressenti lorsqu’elle a ouvert la porte de son atelier – à quand cela remonte-t-il ? – et il trouve cela irréel. À d’autres, il se demande si... mais non, pas maintenant, pas là, une autre fois peut-être, ou jamais. Pourquoi pas jamais ?

Puis, subitement, elle ramasse ses romaines et les lace sur ses mollets avec une dextérité étonnante.

— Ah, Mark ! Ça a été une soirée super sympa. Un peu (elle lui adresse un nouveau clin d’œil) arrosée, mais ça fait du bien !

— Tu t’en vas ?

— Ben... dans l’état où nous sommes et vu le boulot qui nous attend, ça me paraît vachement raisonnable.

Beaucoup de choses en une seule phrase. Mark n’a qu’une idée très vague du « boulot qui les attend » et une conscience relative de son propre état, mais Nathalie lui semble de nouveau parfaitement désirable et il n’a tout à coup pas envie de se contenter d’une promesse, car « raisonnable » en est indubitablement une.

— Tu veux que je te raccompagne ?

Elle pouffe.

— Je suis en voiture.

Il est dépité et cela se voit. Pourtant il rate complètement sa tentative de se mettre sur pieds et renonce à toute forme d’insistance.

Elle place le châle sur ses épaules et se dirige vers la porte.

— Bon sang ! J’allais oublier. Fred a appelé. Il a vu je ne sais plus qui, mais c’est un ponte de la neuro.

— Cassel ?

— C’est ça. Cassel dit qu’il n’est pas impossible de programmer quelqu’un pour qu’il commette jusqu’à des actes qui lui feraient horreur en temps normal, mais que ça nécessite plusieurs mois d’isolement, une pharmacopée pas facile à dénicher, un matériel complexe, le suivi permanent d’un des douze spécialistes mondiaux de ce genre de manip et que cela serait visible, en tout cas pour un psy, sur les bandes vidéo.

Mark ne dessoûle pas, mais son esprit retrouve beaucoup de sa clarté.

— Il veut dire que ce genre de manip se pratique ?

— À titre expérimental, du moins. Sous Staline, l’URSS a fait beaucoup de recherches dans le domaine et l’armée américaine n’est pas en reste : la guerre du Vietnam a été un vaste laboratoire d’expérimentation sur le sujet. Bref, Cassel ne peut pas garantir que les techniques et les compétences n’aient pas évolué au point de rendre possible une programmation indétectable, mais il en doute et, surtout, il pense qu’il y avait mille façons infiniment moins onéreuses de réussir le coup de Dallas. En clair, quels que soient les achoppements techniques, il dit que, de toute façon, c’est un non-sens économique, de temps comme d’argent.

Mark trouve la force de se lever sans retomber dans le canapé.

— Reste la piste de l’imitateur.

Pendant que Mark contourne la table basse pour s’approcher de Nathalie, celle-ci refait deux pas dans le salon. Elle se place si près de lui qu’il aurait pu sentir le gin dans son haleine, s’il n’en avait été lui-même imbibé.

— Je crains que les difficultés techniques, sans être du même ordre que celles de la programmation, soient tout aussi rédhibitoires, Mark. Seul un synthétiseur vocal peut contrefaire une voix à ce point. Rien, dans l’enregistrement, ne laisse supposer que le terroriste était équipé d’un tel système. La qualité audio, le mouvement des lèvres, la localisation du son... Par ailleurs, imagine le temps que prendrait la formation d’un acteur pour l’amener à une telle perfection gestuelle. Cela me fait autant de mal qu’à toi, mais le type qui a décérébré Crowley est bel et bien Markus Weinmar. Ce qu’il faut découvrir, c’est pourquoi.

Mark baisse la tête ; l’alcool aidant, il n’a plus envie de lutter contre l’évidence. Nathalie la lui relève en posant une main sous son menton, puis sur sa joue.

— Nous devons remonter jusqu’à l’organisation qui lui a fourni la logistique et qui se sert de lui.

Elle s’avance encore de dix centimètres et tout son corps est contre le sien, mais il n’a aucune envie de la serrer contre lui. Il est abattu.

— Quand vas-tu à Berlin ?

— Demain.

— Tu veux que je t’accompagne ? Non... disons plutôt que je ne veux pas rester ici alors que je ne sers à rien. Alors ce serait sympa si...

— D’accord, s’empresse-t-il. (Après une seconde, il ajoute :) Merci.

Elle lui pose un baiser sur les lèvres, se sépare de lui, marche jusqu’à la porte, l’ouvre et se retourne avant de sortir.

— Tout le plaisir est pour moi.


Couché, les yeux fermés, Mark a l’impression que la pièce chavire autour de lui. À deux reprises, il manque se précipiter aux toilettes pour se libérer de l’alcool que son foie ne supporte pas, mais l’effort lui semble trop important. Il s’endort quelques secondes après avoir pensé qu’il allait être malade toute la nuit.

À 4 heures et des brouettes, c’est le téléphone qui le réveille en même temps qu’un mal de cheveux à s’en taper le crâne sur le mur.

— Sid... zik, hoquète-t-il.

— Weinmar est en Europe. Le FBI l’a pisté de Dallas à Ottawa et Interpol a failli l’intercepter à Londres. Il a tout le monde au train, ton ami, dont pas mal de furieux. Je ne donne pas cher de sa peau. Je te réveille, Sidzik ?

— Le King ?

— Merde, tu es bourré ou quoi ?

— Ça va... (nouveau hoquet) aller.

— Sûr ? Je peux rappeler dans une heure ou deux, si tu veux.

— Non. J’ai la tête en compote et envie de gerber, mais je suis net.

— Drôle de façon d’être net. (Rire). C’est tes oignons, de toute façon. Bast’, je te résume. J’ai refusé de bosser pour la NSA, mais j’ai pas pu dire non au FBI, tu sais pourquoi. Donc je suis sur le coup de la T&B, un petit peu en avance sur tout le monde, mais pas lourd. Je ne sais pas qui est derrière ton pote, mais c’est du très, très, très gros requin. Black Widow ne se serait pas flinguée, je jurerais que c’est son style.

Le mal de tête de Mark passe subitement au second plan. La Veuve Noire reste le pire souvenir de ses enquêtes pour le WER. Avec elle, il a vu sa mort, il a vu celle de sa grand-mère et il a douté de pouvoir un jour rouvrir un ordinateur. Or Black Widow n’était qu’une des deux têtes pensantes de...

— Spyder est de retour ?

— Sais pas. D’instinct, je dirais que non. Question de feeling. Les routines de hack ressemblent à celles de la Veuve, mais elles sont plus froides. D’un autre côté, les cibles font partie du gibier ordinaire de Spyder, pourtant ça manque de furtivité, si tu vois ce que je veux dire. C’est de l’intrusion à coup de pied dans la porte, ça, pas du cambriolage en finesse.

— Trop de bruit ?

— Trop de tout. Qui que ce soit, il s’arrange pour qu’on le prenne en chasse, mais uniquement sur ce qu’il veut bien sacrifier. Par exemple, il ne me faudra guère plus de quelques jours pour retrouver tous les teras qu’il a égaré dans le WEB, probablement jusqu’au plus innocent octet, mais je peux te garantir que personne, mais alors personne ne localisera sa tanière.

— Euh...

— La bécane originelle.

— Je vois.

— Sans te vexer, ça m’étonnerait, Sidzik. C’est une bécane virtuelle. Ou, si tu préfères, il n’y a pas une source, mais plusieurs centaines qui ont constitué une machine sans support matériel dans le web.

— C’est possible ça ?

— Je l’ai eu en mire pendant... allez : six nanosecondes ! Sept ? Et elle s’est volatilisée. Tu sais combien il m’a fallu de temps et de bécanes en réseau pour analyser ces six nanosecondes ? Non, tu t’en fous et t’as bien raison. En tout cas, c’est énorme et ça m’a juste appris que j’avais méga-intérêt à être au poil si je rétablis un jour le contact... Merde !

Le Roi Lézard reste silencieux un long moment. Mark finit par s’en inquiéter :

— Le King ?

— Je vais te laisser, Sidzik. Il y avait un rétro dans la bête.

— Un rétro ?

— Rétrovirus. Je te recontacte. Au fait, tes liaisons et celles de ta grand-mère sont stériles pour l’instant. À plus.

Mark se décide enfin à aller vomir.