Ne sachant plus quel chemin prendre, ni dans quel sens l’emprunter, Louis conçut de s’arrêter. On s’installa, ayant couché devant soi des fougères point trop hautes, en retrait du sentier, au pied d’un chêne dont il fallut aplanir l’entour. D’autres fougères, sur d’éventuelles aspérités qu’eût masquées la litière, furent, une fois coupées, disposées à plat, où l’on put s’asseoir sans risque.
Louis, adossé au tronc, ouvrit son sac, avec sa fille au côté dans la même position. Leurs jambes figuraient deux angles entre quoi l’on disposa boîtes en plastique, paquets de chips et bouteille d’eau. Tous deux jouissaient donc de trois angles, où l’on répartit les minces provisions. Celles-ci bientôt permutèrent pour finalement se fixer sur leur aire d’attraction naturelle : entre les jambes de Pauline échouèrent les chips, entre celles de Louis le taboulé ; la bouteille d’eau occupa l’angle du centre, où son niveau baissait suite aux lampées de Pauline, qui chaque fois la remettait en place. Soucieuse de partage s’agissant de la boisson, elle tirait fierté de son attitude solidaire, rebouchant bien la bouteille après usage, la glissant sous le lit de fougères pour la garder au frais.
Louis, bientôt, ne mangeait plus, observait sa fille, insistait pour qu’elle reprît du taboulé. Puis il n’insistait plus, se laissait aller contre le tronc, s’essayait à se sentir bien. Plus tard, sa fille se rapprochait, annulait l’angle du milieu, puis celui que formaient ses jambes ; gagnant l’angle de Louis, elle s’y logeait, dos contre son ventre : Louis se sentait bien. A peine plus tard encore, comme tous deux s’assoupissaient, Louis sursautait : sa fille se levait, dans la direction qu’il jugeait d’une jonquille. Un roncier en interdisait l’accès, qui le fit se lever pour la lui cueillir. Pauline, le remerciant, lui demanda de poursuivre dans cette voie, afin que l’on constituât un début d’herbier.
Ainsi, Louis se penchait souvent et, envisageant les choses au niveau de l’herbe, avisant telle mousse, évitant telle racine affleurante, s’intéressait avec Pauline aux petits secrets du sol, qu’il explorait avec aisance. Ils parcoururent de cette façon moins d’une dizaine de mètres, et, alors qu’un grand roncier les forçait à stopper, ils revinrent sur leurs pas comme on rentre de voyage.
Louis, qui se tenait maintenant droit, sans plus considérer la litière, le regard toutefois plein, encore, de ses nuances, retrouvait face à lui la rengaine des arbustes puis, levant les yeux, l’identique motif des grands arbres ; et, considérant l’attitude de sa fille, toujours attentive au sol, il regrettait l’insouciance et le confort de leur exploration commune, avec laquelle, pour l’instant, il s’interdisait de renouer. Ses soucis de nouveau le travaillaient.
A défaut de reprendre la route, et pour trouver l’apaisement, Louis complotait maintenant une vraie sieste, dont Pauline eût également tiré profit. On regagna le tronc, et, adossée contre Louis, Pauline, à force de douces caresses, voulut bien se rendormir. Louis aussi. Un bon moment, même. Mais, quand il s’éveilla, la sensation le surprit de ne plus éprouver le poids de sa fille contre son ventre : Pauline, qui n’était plus là, entre ses jambes, n’était pas non plus en vue. Comme le tronc où il s’adossait eût pu l’occulter, et comme Louis bâillait, mal éveillé encore, il reporta de se lever et appela.
Le nom de sa fille sonna, sans écho, dans le taillis où partout se hissaient les fougères, si hautes et resserrées qu’elles interdisaient qu’assis on vît rien ni personne. Louis se leva, avisa le décor de troncs qui hachait l’espace, ne vit pas sa fille, appela encore. L’aire qu’ils avaient dégagée pour s’asseoir était étroite, et partout au-delà les fougères hissaient haut leurs frondes. Rien ne bougeait alentour. Sur le chemin, tout proche, nulle présence humaine. Louis appela. Silence.