Elle vit un homme, sans doute, qui courait, ou du moins qui venait de courir, car en réalité maintenant cet homme freinait. Et, de cet homme, elle interrogeait clairement l’attitude mais aussi l’ambition, mélange improbable d’arraisonnement et d’élan mal contrôlé qui l’eût amené soit à percuter l’animal, soit à l’enfourcher d’un bond à l’extrémité de la croupe, derrière elle, par quelque atypique figure de l’enlèvement où le ravisseur, à pied, se fût emparé au passage de sa proie et des moyens de l’emporter.
Toutefois, si chez elle ces sensations mêlées, contradictoires, furent un instant lisibles, elles s’effacèrent sitôt nées pour laisser place à l’expression d’une cavalière qui, ayant stoppé en douceur son cheval, considérait de toute sa hauteur un piéton essouflé. Lequel, selon toute apparence, avait quelque chose à lui dire. Et, si quelqu’un alors en fût venu à passer – mais tout était désert et paraissait devoir le rester, tant la scène, telle quelle, semblait se suffire à elle-même, voire réclamer pour elle-même le droit à l’autosuffisance –, ce quelqu’un n’eût vu qu’une cavalière, à l’arrêt, s’apprêtant à converser avec un promeneur, également à l’arrêt, et même d’une certaine façon comme s’y apprêtant depuis toujours, et composant avec le promeneur arrêté un petit tableau vivant, instantané qui n’eût comporté ni avant ni après mais auquel son saisissant naturel eût conféré une forme d’évidence et d’éternité, la cavalière de tout temps ayant posé ce même regard civilement interrogatif sur le promeneur, le promeneur depuis toujours ayant cherché, les lèvres prêtes à s’ouvrir pour laisser passer les mots convenables, à légender ce qui pouvait aussi bien constituer une vignette, image d’Epinal intitulée la Rencontre en forêt mais dont l’éditeur eût voulu moderniser l’aspect et compléter le sens en l’ornant de quelque amorce de dialogue propre à séduire l’acheteur potentiel et à combler sa curiosité.
On sait la difficulté de dire plusieurs choses qui arrivent ensemble, quand l’image, prétend-on, peut rendre tout. Mais ce qui reste à dire ne se verra point, ou sera peu visible, tel le visage de la cavalière. Louis, qui pourrait mieux l’appréhender, maintenant, en même temps que les fragments d’uniforme, n’en tire qu’une sensation vague. Le calme, il est vrai, semble l’y disputer ou plutôt s’y marier à l’énergie. Mais nulle couleur d’yeux ni de cheveux. Tout au plus la certitude que grande est la bouche au bas de ce beau visage, et d’une parfaite netteté son impeccable dessin. Assurance, également, que ses bribes d’uniforme rattachent la jeune femme à quelque chose comme l’ONF et probablement à l’ONF soi-même, organisme qui gère toute forêt en France. C’est, pour l’instant, à peu près tout et cependant ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel ne se voit pas.
L’essentiel est que, imprécise encore, quoique impérieuse, la beauté de la jeune femme, à savoir l’idée qu’il s’en fait, pourrait emporter Louis comme il souhaite d’ailleurs qu’elle l’emporte. Car voilà Louis saisi. C’est son tour. C’est à lui que ça arrive. Il le sait.
Il est saisi mais non pas emporté. L’idée de sa fille perdue le hante. L’espoir qu’elle lui soit rendue avec l’aide de la jeune femme, et singulièrement de son cheval, se combine à l’espoir d’une ouverture plus grande en direction de la jeune femme. Et il ne suffit plus que d’un mot, peut-être, pour que la jeune femme l’invite à monter à cheval, en croupe, et l’aide à rechercher sa fille.
Mais ce ne sera pas un mot. Ce sera une phrase, puis une autre. Elle butera contre une troisième. A quatre il s’arrêtera, autant que se peut à plat il aura mis les choses. Et la jeune femme accepte, mais ce n’est pas une jeune femme. Non qu’elle soit vieille. Mais femme, point tout à fait. C’est encore une vision.
Louis a de la chance. Elle parle. L’idéal, selon elle, serait que Louis la guide. Mieux vaut, en la circonstance, parler d’autre chose. Mais non de sa voix. Il est trop tôt. Louis n’entend que les mots, le sens des mots.
Vous allez monter derrière moi, dit-elle.
Louis s’élance, il est sportif, Louis de toute façon n’a pas peur, n’a aucune autre peur que celle qui le ronge, indicible, irrecevable, même, soumise à une censure autrement sévère que celle qui frappe l’idée qu’avec cette femme, dans sa présente condition, il pourrait advenir quelque chose. Il s’élève, jambes écartées en V, pose les mains sur la croupe, sent le poil, le suint, d’un mouvement de bras se rejette en arrière. Il n’a pas pris assez d’élan.
Attendez, dit-il.
En effet, dit, comment dire, l’agent technique forestier, puisque à l’évidence c’en est un, en effet, dit-elle. Vous auriez dû attendre. C’est moi qui vais descendre. Ensuite vous monterez, le pied à l’étrier. Vous passerez de la selle à la croupe. Je monterai à mon tour. Calmez-vous.