Avec Madame Lumbago, j’ai écouté à la télévision un reportage en direct sur l’espace intersidéral. On voyait des millions de planètes inhabitées, des galaxies géantes qui flottaient en silence au bout du monde, à des milliards d’années-lumière de la Terre. Et soudain j’ai eu le vertige. Je me suis sentie toute petite, comme un pou sur le dos d’un éléphant.
Je me suis blottie contre Madame Lumbago et elle m’a serrée très fort dans ses bras.
— Mon Dieu Seigneur, ma petite Noémie, il ne faut pas avoir peur. On est tout petit dans l’univers, d’accord, mais en même temps on est très grand. Plus grand qu’un chat, une souris ou une puce!
J’ai regardé autour de moi. Madame Lumbago a raison! Je suis beaucoup plus grande que... que mes poupées. Alors je les ai consolées et ça m’a fait du bien!
Quand je serai vraiment grande, j’écouterai la télé très tard le soir avec Madame Lumbago et elle ne sera plus obligée de m’expliquer les choses. D’ailleurs, je m’aperçois de plus en plus que Madame Lumbago ne connaît pas tout.
L’autre soir il y avait une émission qui expliquait comment on fait des bébés et tout ce qui arrive... Madame Lumbago semblait gênée. Elle répétait toujours :
— Bon, veux-tu qu’on change de poste, Noémie?
— Non, non, c’est très intéressant!
— Y a peut-être une meilleure émission à un autre poste...
— Peut-être, mais moi, je veux savoir...
C’est un sujet qui m’intéressait parce que mes parents m’ont dit qu’ils essayaient de faire un bébé et que ça ne fonctionnait pas. Peut-être qu’ils sont trop débordés!
En tout cas, j’ai compris en écoutant la télé que Madame Lumbago ne connaissait pas grand-chose là-dedans sauf le début et la fin. C’est-à-dire qu’il faut commencer par faire l’amour et qu’il faut accoucher neuf mois plus tard. Entre les deux, elle ne savait pas vraiment ce qui se passait. Elle écoutait la télé en ouvrant de grands yeux et en répétant :
— Eh bien, mon Dieu Seigneur que la nature est bien faite malgré tout!
Moi, je ne voulais pas la contrarier pour ne pas la décourager. Je sais que la nature n’est pas toujours bien faite. Il y a des enfants qui naissent tout croches et sans bras, d’autres qui meurent avant de vivre et d’autres qui vivent toute leur vie comme des morts. Je le sais parce que j’ai déjà visité un hôpital avec ma garderie et en sortant, on était tous très contents d’avoir une bonne santé. Moi, mes cheveux frisent un peu trop à mon goût, mais finalement ce n’est pas très grave comme infirmité.
Des fois j’écoute la télé avec Madame Lumbago et avec son mari qui se berce. Sa berçante fait cui-cui sur le plancher, le canari chante dans sa cage et le chat ronronne sur mes genoux. Ces fois-là, je suis tellement heureuse que j’oublie tout, même le trésor. Je ne sais même plus ce qui se passe à la télé. On pourrait l’éteindre et rester comme ça, tous ensemble, immobiles comme des galaxies, et flotter dans le salon jusqu’à la fin du monde.