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La maison de retraite

La maison de retraite ressemble beaucoup à mon école sauf que c’est silencieux et, à la place des enfants, il y a beaucoup de vieilles personnes très courbées par en avant.

Nous marchons dans un long corridor. Le plancher est propre comme un miroir, on peut se voir dedans mais à l’envers.

Par les portes entrouvertes, je jette un coup d’œil dans les chambres. Elles ressemblent à la mienne, il y a des affiches sur les murs, des poupées sur les armoires et même de gros toutous sur les lits.

Finalement nous arrivons à la chambre de Mademoiselle Luce Lalonde. Je le sais parce que son nom est écrit sur la porte et je peux le lire. Madame Lumbago cogne trois petits coups et après un long silence, la porte s’ouvre.

Luce Lalonde apparaît en riant. C’est une très très vieille mademoiselle!

À très petits pas, comme au ralenti, elle embrasse Madame Lumbago. Leurs lunettes font cling-cling puis elle se penche vers moi en disant avec sa petite voix de vieille demoiselle :

— Ho là là! La belle grande fille! Aimerais-tu manger un peu de sucre à la crème?

Je mange en vitesse mon sucre à la crème, bien meilleur que celui de Madame Lumbago, mais je ne le dis pas... Pendant que les deux amies papotent, moi, je fais ma bonne grande fille. Je m’installe sur le lit entre deux oursons.

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Je replonge dans mes livres et je me retrouve perdue dans les caves au fond d’un vieux château. Partout des murs rapetissent, des portes secrètes tournent sur elles-mêmes et de l’or brille dans le noir.

Soudain, Luce Lalonde se met à rire. Elle se transforme en sorcière et me poursuit sur son balai magique. Je l’entends ricaner :

— Tu sais, de toute façon on n’en sortira pas vivantes!

Moi, je cours de toutes mes forces. Mon cœur va exploser! Je suis coincée au fond d’un tunnel.

— HA! HA! HA!... C’est la vie, ma petite!

Avec mes ongles je gratte le mur de pierre. Je cherche une issue. Le sol disparaît. Je ne peux m’agripper à rien. Je tombe. Une longue chute qui n’en finit pas. Je crie! Aucun son ne sort de ma bouche. Je tombe toujours dans le noir. La sorcière tourne et virevolte en riant autour de moi. Toute en sueur, je prends une grande respiration et je crie :

— AU SECOURS!

Madame Lumbago et Luce Lalonde sursautent sur leurs chaises. Elles me regardent et se mettent à rire... Je suis tout étourdie, des larmes me montent aux yeux. Je ne sais même pas si je ris ou si je pleure. Madame Lumbago me serre dans ses bras et je dis :

— Je suis fatiguée, je veux retourner à la maison.

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Sur le trottoir devant la maison, je demande à Madame Lumbago si je peux regarder mes livres toute seule chez moi. J’ai la clé de la porte accrochée au cou. Elle hésite un peu, comme une vraie grand-mère, puis elle me donne les recommandations que je connais par cœur :

— Tu barres bien la porte, tu ne réponds pas au téléphone, s’il y a un problème, tu montes! Je te prépare une surprise pour le souper.

J’aime bien les surprises de Madame Lumbago : du steak, des patates, des petits pois. En attendant, j’entre chez moi et je ferme la porte. Il n’y a pas un bruit dans la maison. Je fais le tour de toutes les pièces. Je regarde dans les garde-robes et sous les lits. Il n’y a pas de pirates, pas de sorcières ni rien qui peut m’effrayer. J’enlève mes souliers et mes bas. Je me glisse dans mon lit et j’ouvre mes livres.

Le voyage continue. Je dérive en pleine mer sur mon lit qui tangue. Le plafond craque, j’entends le cui-cui de Monsieur Lumbago qui commence à se bercer en haut.