Depuis le départ de Monsieur Lumbago, la vie continue. Nous ne l’oublions pas et nous pensons souvent à lui. Nous le voyons tous les jours sur les photos accrochées aux murs. Madame Lumbago n’en parle pas, mais je sais qu’elle y pense souvent. Je l’ai même surprise plusieurs fois, agenouillée devant un petit Jésus en plâtre.
Elle fait des prières, et, des fois, moi aussi je prie pour tout le monde que j’aime. Mais c’est difficile, parce que je n’arrête pas de penser à autre chose et en plus, ça donne mal aux genoux.
Madame Lumbago a maintenant beaucoup plus de temps libre... alors j’en profite pour l’occuper et pour lui montrer des jeux.
Elle dit qu’elle redevient comme une jeune fille. Elle sourit de plus en plus souvent et j’aime ça quand elle est heureuse. Alors je ne veux pas la contredire. Je ne lui dis pas que c’est difficile d’être une vraie jeune fille. Ça fait tellement longtemps qu’elle ne doit plus s’en souvenir! Elle ne se rappelle pas qu’il faut endurer les mémèrages de tout le monde dans la cour d’école, qu’il faut s’ennuyer de ses parents débordés, qu’il faut manger ses croûtes de pain, qu’il ne faut pas passer ses fins de semaine devant la télévision ni acheter tout ce qu’ils annoncent et je pourrais continuer comme ça jusqu’à la fin du monde.
À part ça, Madame Lumbago et moi, nous sommes devenues très studieuses. Nous étudions tous les soirs avec mes cahiers d’école. Comme j’apprends beaucoup plus vite qu’elle, je suis devenue son professeur officiel.
Nous savons maintenant presque lire et écrire parfaitement et nous laissons dans la maison plein de petits papiers avec des messages écrits dessus. Même que certains soirs, nous ne nous parlons presque pas. Nous nous écrivons tout ce que nous voulons nous dire :
— Merci, madame Lumbago, pour le bon souper.
— Veux-tu encore du dessert?
— Non merci, je n’ai plus faim, et vous?
— Je suis bourrée, bourrée. Je vais faire la vaisselle pour digérer!
— O.K., moi, je balaye le plancher.
Nous appelons ça le jeu des conversations muettes. La première de nous deux qui parle perd un point. Moi, je gagne toujours, parce que Madame Lumbago dit qu’elle a tellement besoin de parler qu’elle ne peut pas s’en empêcher et c’est drôle.