SŒUR AGNESE ET VITTORIO
Les espoirs d’abord nourris dans l’obscurité, puis confiés à la brume persistante du matin, se sont dissous dès que les rayons du soleil ont restitué au jour toute sa clarté. Devant eux, des kilomètres de voie ferrée et aucune trace des enfants, à perte de vue.
La sœur s’arrête pour reprendre son souffle et attendre Vittorio, qui la rejoint en boitant ostensiblement.
« Si ça se trouve, ils ont déjà fait demi-tour, peut-être sur la route, lui dit-elle.
— Non, ça n’aurait aucun sens. S’ils avaient changé d’idée, ils seraient rentrés en longeant la voie, c’est le chemin le plus court, et le seul qu’ils connaissent.
— Mais dans ce cas, comment est-ce possible qu’on ne les voie toujours pas ? »
Vittorio regarde autour de lui et hoche la tête, l’air renfrogné.
« Ils ont probablement marché toute la nuit et maintenant, ils ont dû s’installer pour bivouaquer. Cachés Dieu sait où », répond-il en se remettant en mouvement.
Ces trois inconscients ont erré pendant tout ce temps sur les voies, songe-t-il. Il n’a pas vu la moindre trace menant aux enfants et ne réussit pas à trouver d’autre explication. L’obscurité, la fatigue, un train trop rapide… son esprit élabore à un rythme effréné toutes les combinaisons catastrophiques possibles. Il se précipite le cœur serré vers le moindre tas de haillons, chaque signe de bivouac le contraint à un détour qui fait perdre un temps précieux. Et puis cette sœur n’est d’aucune utilité, elle a un pas de militaire, mais ne fait qu’implorer la Sainte Vierge. C’est exaspérant.
« Toutes ces prières et aucune réponse. Il ne vous vient jamais le moindre doute, l’idée que l’être que vous implorez puisse ne pas exister ?
— Et vous, vous avez eu des doutes sur l’existence de votre père uniquement parce qu’il ne vous répondait pas au téléphone ? »
Ce n’est pas la rapidité de la réponse qui réduit Vittorio au silence, mais une interrogation : peut-on faire arrêter une religieuse insolente, ou bien en tant qu’employée d’un État étranger, elle doit être considérée comme étant hors juridiction ?
« Pourquoi justement lui, Sainte Mère ? se demande pour sa part sœur Agnese. Il se pourrait que les enfants soient tombés malades, ou qu’ils soient blessés. Comme compagnon de voyage, un médecin aurait été plus utile que ce militaire arrogant. Je le prends comme le signe que tu accèdes à ma prière de faire retomber sur moi tous les malheurs qui pourraient arriver à Vanda. Merci, Mère miséricordieuse, j’accepte le supplice. »
« Ça suffit avec ce murmure continuel ! » explose Vittorio.