Retiré à Colombey-les-deux-Églises en 1953, Charles de Gaulle retrouve famille et plaisir d’écrire. L’aîné, Philippe, poursuit sa carrière d’officier supérieur dans la marine. Il a désormais quatre fils. Quant à sa fille Élisabeth, qui a épousé Alain de Boissieu (ancien de la division Leclerc, lieutenant-colonel en 1953) et qui aura une petite Anne en 1959, elle apporte son concours à son père. C’est elle qui dactylographie le manuscrit des Mémoires de guerre. N’est-elle pas la seule à pouvoir le relire ? Un ouvrage dont les droits sont intégralement reversés à la Fondation Anne de Gaulle. « On ne fait pas d’argent avec l’histoire de France », commente majestueusement le Général. Se privant de cette ressource (le premier tome paraît en 1954), le couple ne dispose que de revenus plutôt modestes, ceux correspondant à une retraite militaire. Malgré les radiateurs, la maison n’est pas aisée à chauffer et le Général s’échine à entretenir les cheminées. Chaque jour il se promène dans le parc ou dans la forêt domaniale voisine des Dhuits.
Yvonne partage son temps entre la taille des arbres fruitiers, les semis du potager, la récolte des fruits, le tricotage et… la télévision. Des voyages égaient cette vie assez monacale, en particulier par deux fois en 1953, avec un premier périple inoubliable dans les possessions françaises d’Afrique, puis un second, dans celles de l’océan Indien. En 1956, c’est aux Antilles françaises, en Guyane, à Tahiti, aux Nouvelles-Hébrides et en Nouvelle-Calédonie que le couple se rend. Yvonne de Gaulle ne participe pas au dernier voyage saharien de mars 1957. Le Général a jugé le périple trop dangereux pour elle, en dépit de ses vives protestations.
Bénéficiant de l’œil attentif de son gendre, de Gaulle confie ses Mémoires à Plon, la maison de Marcel Jullian, abandonnant Berger-Levrault qu’il juge trop modeste, pour éditer une œuvre aussi décisive. La gloire est immédiate, dès le premier tome intitulé L’Appel, 1940-1942, vendu à cent mille exemplaires le premier mois, et justement dédicacé « À ma femme sans qui rien de tout cela n’aurait été possible ».
Les trente et un volumes
Les trente et un volumes originels de l’opus gaullien, environ onze mille pages, comprennent pour l’essentiel les trois volumes des Mémoires de guerre et deux tomes des Mémoires d’espoir. Ces cinq volumes illustrent plus que tous les autres son talent d’écrivain. Une disposition et une dextérité rares chez les grands hommes politiques, y compris Churchill, dont les Mémoires de guerre valent mieux par le récit que par le style.
Jean Lacouture voit, dans la manière d’écrire du Général et l’opulence du phrasé, l’influence de Chateaubriand, voire de Bossuet, mais le goût du trait lui rappelle également La Bruyère et Vauvenargues.
Trois volumes composent les Mémoires de guerre : L’Appel, L’Unité et Le Salut ; et deux pour les Mémoires d’espoir : Le Renouveau, 1958-1962, publié peu avant sa mort, et L’Effort, 1962, posthume, à peine esquissé et comportant deux chapitres relus par le Général. Ces Mémoires d’espoir sont rédigés après son retrait de la vie politique. Outre les ouvrages publiés avant la guerre, le Général a rassemblé cinq volumes de Discours et Messages (de 1940 à 1969) et douze volumes de Lettres, notes et carnets (de 1905 à 1970). Viennent ensuite s’ajouter deux autres volumes publiés sous les titres Compléments 1924-1970 et Articles et Écrits 1906-1936.
L’ensemble représente mille cinq cents pages dans l’édition de la Pléiade, parue en l’an 2000. Sans doute ne songe-t-il pas écrire l’Histoire, conscient d’être à fois juge et partie, mais il est suffisamment préoccupé de l’impact de son œuvre pour en lire des extraits à ses proches. À son cher Jacques Vendroux, préfacier préféré, bien sûr, mais aussi à André Malraux et à Edmond Michelet.