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Un retrait progressif

Il faut attendre le 2 juillet 1955 pour que de Gaulle annonce sa retraite politique. Jusqu’à cette date, il se rend régulièrement à Paris et reçoit ses plus proches collaborateurs à La Boisserie. Naturellement l’investiture de son ancien compagnon Pierre Mendès France ne peut le laisser indifférent. D’autant qu’elle intervient un 18 juin et que plusieurs gaullistes ont accepté de participer à son gouvernement : Christian Fouchet, Jacques Chaban-Delmas et même le général Kœnig. D’autres participeront au gouvernement d’Edgar Faure, qui lui succède, notamment Louis Jacquinot et de nouveau Kœnig.

Cependant de Gaulle suit avec beaucoup d’attention la situation militaire en Indochine. Après Raoul Salan qui a su résister au Vietminh, le gouvernement français nomme le général Henri Navarre. Ce dernier commet une lourde erreur en voulant empêcher Giap de pénétrer au Laos. Il fait construire un camp retranché à Diên Biên Phu. Grâce à l’aide logistique chinoise, le camp est progressivement investi par le Vietminh. Les Français ont insuffisamment protégé le terrain d’aviation, le poumon du dispositif. Les casemates et les bunkers, qui n’ont pas été construits en béton, ne peuvent résister aux bombardements. La bataille débute le 13 mars 1954. Il n’échappe pas à de Gaulle qu’à Diên Biên Phu, les perspectives sont désastreuses. Sans doute sent-il, à la veille d’une grande défaite (plus symbolique que militaire), qu’une opportunité s’ouvre à lui. Le 7 avril 1954, il tient une conférence de presse à l’Hôtel Continental dans laquelle il précise clairement : « Dans l’intérêt de la détente internationale, et compte tenu des pertes et des ravages causés à l’Union française, et, d’abord, à l’Indochine, la France doit chercher à faire cesser la guerre. » Le 9 mai, deux jours après l’annonce de la chute du camp retranché de Diên Biên Phu (cinq mille militaires français tués et dix mille prisonniers français dont un sur deux va mourir de mauvais traitements), de Gaulle se rend solennellement à l’Arc de triomphe. Mais le succès populaire est mitigé. Il n’y a guère plus de dix mille personnes à s’être rassemblées pour l’applaudir. Malgré la défaite indochinoise, le temps du recours n’est pas encore venu.

De Gaulle approuve les accords de paix de Genève du 21 juillet 1954 qui partagent le Vietnam en deux, de même que les négociations tunisiennes. Et le rejet de la CED constitue pour lui une excellente nouvelle. Mais il est loin d’être satisfait par l’entrée de l’Allemagne fédérale au sein de l’Otan, par le réarmement allemand (hors nucléaire), par l’organisation d’un référendum sur le statut futur de la Sarre (accords de Paris du 23 octobre 1954).

En 1953, de Gaulle a observé avec mépris la tragicomédie de l’élection de René Coty à la présidence de la République, au treizième tour, le 23 décembre, parce que les parlementaires avaient envie de partir en vacances. Le président André Le Troquer aura faussé le scrutin au huitième tour en annulant des bulletins au nom de Laniel car il existe aussi un sénateur (le frère de Joseph) prénommé René. Mais qui aurait voté pour cet inconnu qui ne s’est pas même présenté ? À l’évidence, personne dans l’intention. C’est indûment que tous les votes Laniel n’ont pas été comptabilisés…

Le 3 juin 1955, il est mis fin au protectorat français en Tunisie. Alors qu’en Algérie la situation se dégrade : massacres d’une dizaine d’Européens à la Toussaint 1954 dans le Constantinois, puis de nouveau et surtout, en août 1955, dans des proportions infiniment plus inquiétantes. C’est un vrai soulèvement touchant plusieurs grandes villes, conduit par le FLN, qui embrase Guelma, Philippeville et Constantine. On compte cent soixante-dix victimes, des Européens et des notables musulmans modérés, pour l’essentiel exécutés dans la mine d’El Halia. De très lourdes répressions suivent ces événements. Le bilan en est effroyable, entre trois et cinq mille Algériens sont tués.

Après le rattachement de la Sarre à l’Allemagne fédérale en octobre 1955, les accords de La Celle-Saint-Cloud du 6 novembre 1955 établissent les conditions de l’indépendance marocaine.

En 1955 et 1956, même si de Gaulle continue de venir assez fréquemment à son bureau parisien, les demandes d’audience s’espacent. Sa haine de Georges Bidault dont la carrière politique s’est développée avec succès entre 1949 et 1952, s’amplifie encore car ce dernier, ferme partisan de l’Algérie française, soutient une tension néfaste à la recherche de toute solution, au contraire de Mendès France avec lequel de Gaulle a toujours maintenu des relations respectueuses – il le rencontre début 1956 – et qui partage l’inquiétude du Général concernant la perspective algérienne.