La campagne électorale des législatives s’ouvre le 13 février 1967. Bien que le chef de la majorité sortante, le Premier ministre Georges Pompidou, conduise les opérations, le général de Gaulle ne demeure nullement indifférent. Il intervient une première fois le 9 février 1967, avant même le début de la campagne, dénonçant les formations politiques partisanes qui s’opposent à lui. Le 4 mars suivant, dans une allocution télévisuelle très courte, prononcée la veille du scrutin, il durcit l’enjeu, à son habitude. Un court extrait montre qu’il utilise une vieille antienne, de moins en moins performante : « Au contraire, tous les espoirs sont permis à la nation si notre Ve République l’emporte. Car, alors, elle prendra le départ pour une étape nouvelle de notre marche en avant. Alors, l’action qu’elle mène à l’intérieur pour le progrès dans tous les domaines sera, sans nul doute, renforcée par la confiance des citoyens et élargie ensuite par l’adhésion d’un nombre grandissant de ceux qui, jusqu’à présent, se sont tenus à son égard éloignés ou incertains. Alors, elle aura encore plus de poids et de crédit à l’extérieur, pour accomplir la mission de notre pays, pour aider l’Europe tout entière à s’unir et à s’organiser et pour travailler à la paix du monde. »
Victoire bien courte aux législatives de mars 1967
De Gaulle veille ainsi soigneusement au résultat de l’élection tout en se tenant à l’écart du débat électoral, conformément à son statut prééminent de président élu par tous les Français.
Georges Pompidou entend faire participer tous ses ministres au combat électoral. Il les tance et leur pose, en exemple, sa propre décision d’y aller dans le Cantal, malgré sa réserve pour la politique politicienne. Puis, à court d’arguments, il demande au Général d’intervenir. De Gaulle trouve normal qu’un politique se « coltine » le suffrage populaire. Maurice Couve de Murville, Pierre Messmer, Edmond Michelet, Louis Joxe, Christian Fouchet, tous doivent se plier à cette discipline démocratique. Seul, Jean-Marcel Jeanneney refuse d’affronter Pierre Mendès France à Grenoble. Durant la campagne, montrant l’exemple, Georges Pompidou paie de sa personne, allant se mesurer à Mendès France dans le Dauphiné et à François Mitterrand sur sa terre nivernaise.
La campagne législative se focalise sur quelques thématiques : lutte contre le pouvoir personnel et l’injustice sociale pour la gauche, défense des institutions, de la croissance économique et de l’indépendance nationale pour les gaullistes. Cependant, les animateurs du Comité d’action pour la Ve République s’avèrent plutôt des hommes de l’ombre que des personnalités flamboyantes. Leur réputation n’est pas si favorable dans l’opinion, en raison, paradoxalement, d’une faible notoriété et, parfois, de rumeurs ténébreuses. Et ce n’est pas les outrager que de citer leurs noms : Jacques Foccart, Pierre Juillet, Roger Frey, Jacques Baumel et même Olivier Guichard (dont la carrière publique n’a pas vraiment débuté). Heureusement, de grands sportifs, champions olympiques, à l’image immaculée et rayonnante, comme le skieur Jean-Claude Killy et le coureur de demi-fond Michel Jazy, soutiennent le Premier ministre sortant.
Valéry Giscard d’Estaing, qui a d’abord refusé de constituer un comité de liaison de la majorité, se contentant d’un accord de désistement au second tour, doit finir par céder sous la pression de Georges Pompidou. Une candidature unique est finalement obtenue dès le premier tour entre l’UNR et les RI.
Au soir du 5 mars 1967, la majorité sortante est en droit d’être satisfaite, rassemblant 38,45 % des suffrages. Elle devance largement le PC (22,51 %) et la FGDS (18,9 %). Quant au Centre, il obtient 14,09 % des voix, en léger tassement par rapport au score de Jean Lecanuet à la présidentielle. La surprise du scrutin constitue, à l’évidence, la remontée du Parti communiste. Rassemblées, les forces de gauche constituent un ensemble menaçant, avec 41,4 % des voix. Si les reports s’effectuent loyalement entre socialistes et communistes, la majorité sortante peut se trouver en difficulté, même en considérant que les règles du scrutin majoritaire favorisent le candidat arrivé en tête. Cette hypothèse se vérifie au second tour, le 12 mars : avec plus de 46 % des voix, l’alliance socialo-communiste n’obtient que cent quatre-vingt-quatorze sièges (dont cent vingt et un pour la FGDS et soixante-treize pour le PC). Avec le renfort des quarante-quatre républicains indépendants, les gaullistes dépassent de justesse la majorité : deux cent quarante-quatre députés sur quatre cent quatre-vingt-sept sièges. Il faut attendre le résultat de Wallis et Futuna, au petit matin du 13 mars 1967, pour être tout à fait sûr de la plus courte majorité qui soit : une seule voix. Cependant, le ralliement de quelques non inscrits et de certains centristes permet de constituer une majorité arithmétique plus nette, malgré la menace constituée par la fidélité parfois hésitante de certains républicains indépendants. Quant aux centristes du Centre démocrate, ils doivent se contenter de quarante et un sièges.
La majorité doit néanmoins avaler quelques couleuvres, en particulier la défaite de Maurice Couve de Murville dans le VIIe arrondissement de Paris, mais également celles d’André Malraux, de Jean Charbonnel, d’Alexandre Sanguinetti et de Pierre Messmer. Des nouvelles que Georges Pompidou accueille avec sérénité. Ne dit-on pas que de Gaulle aurait songé à son ministre des Affaires étrangères pour le remplacer ?
Quant aux causes de ce succès très relatif, elles peuvent, pour partie, s’expliquer par une raison de technique électorale, avec la mise en œuvre de l’exigence d’obtention de 10 % des inscrits au premier tour pour se maintenir au second. Mais trois autres facteurs paraissent avoir été déterminants :
– la victoire annoncée des gaullistes au soir du premier tour a démobilisé une partie de leurs électeurs ;
– de nombreux électeurs centristes ont préféré voter pour la gauche unie plutôt que de porter leurs suffrages sur leurs propres candidats, condamnés à la défaite. Cette attitude a surtout joué en faveur des postulants socialistes, beaucoup moins au profit des communistes ;
– enfin, le report des voix s’est effectué sans perte au profit du candidat de gauche le mieux placé, une attitude facilitée par le retrait d’une quinzaine de candidats communistes pourtant arrivés en tête au premier tour.
Globalement, la majorité qui gouverne le pays est réelle mais fragile. Le président de la République dirige la France depuis neuf ans et le Premier ministre conduit la politique de la nation depuis cinq ans. Il existe, à l’évidence, un effet d’usure.
Le quatrième gouvernement Pompidou
Le gouvernement n’est formé que le 6 avril 1967, avec un mois de décalage, en raison de l’étroitesse de la majorité. Une loi interdit en effet aux députés devenus ministres de voter durant un mois.
Le général de Gaulle n’ose pas remplacer Georges Pompidou par Maurice Couve de Murville, parce que le suffrage universel l’a désavoué. Mais, dans le même temps, il n’en tire pas toutes les leçons. Et exige, affirmant sa primauté, le maintien des ministres battus à leurs fonctions ministérielles : Couve de Murville aux Affaires étrangères, André Malraux à la Culture, Pierre Messmer aux Armées. Quant à l’ancien garde des Sceaux de 1959, Edmond Michelet, lui aussi vaincu dans les urnes, il est promu ministre d’État, en charge de la Fonction publique. Plusieurs titulaires changent de fonctions : Christian Fouchet à l’Intérieur, Alain Peyrefitte à l’Éducation nationale, Louis Joxe à la Justice mais aussi Roger Frey aux Relations avec le Parlement, Raymond Marcellin au Plan et à l’Aménagement du Territoire (un Républicain indépendant, choisi pour sa médiocre relation avec Giscard d’Estaing). Enfin, Jean Foyer quitte le gouvernement. Christian Fouchet, Alain Peyrefitte et Louis Joxe vont devoir affronter, aux premières loges, la crise de mai-juin 1968.
Les autres ministres demeurent en place. Toutefois, de nouveaux visages font leur apparition : Olivier Guichard à l’Industrie, Yves Guéna aux PTT, Georges Gorse à l’Information. Au total, sur les vingt-neuf ministres et secrétaires d’État du quatrième gouvernement Pompidou, il n’y a que six « bizuths » : Jean Chamant, Henri Duvillard, Yves Guéna, Jacques Chirac, Georges Gorse et Maurice Schumann (ministre d’État en charge de la recherche scientifique et des Questions atomiques et spatiales). Dans les trois domaines régaliens des Affaires étrangères, des Forces armées et des Questions atomiques, de Gaulle a fait nommer trois proches d’une absolue fidélité. Quant aux pompidoliens, ils ne sont pas si nombreux, mais deux fidèles du Premier ministre sont nommés secrétaires d’État : Jacques Chirac et André Bettencourt.
De Gaulle surveille la manœuvre : il donne son accord à la demande de légiférer par ordonnance (article 38 de la Constitution) en matière sociale (plein emploi, participation des salariés, équilibre de la Sécurité sociale, adaptation des entreprises industrielles) jusqu’au 31 octobre 1967. Il entend ainsi contraindre les Giscardiens à demeurer fidèles à la majorité, malgré leur faible adhésion à sa politique étrangère. Valéry Giscard d’Estaing ne vient-il pas d’adhérer au Comité d’action pour les États-Unis d’Europe de Jean Monnet, affirmant ainsi des convictions presque hérétiques pour les gaullistes ? Accessoirement, une telle procédure évite les effets d’une guérilla que pourraient conduire les centristes du Centre démocrate et du PDM (Progrès et Démocratie moderne). Le ministre de l’Équipement, Edgard Pisani, opposé à l’usage abusif, de son point de vue, de l’article 38, donne sa démission.
De Gaulle soutient Georges Pompidou dans sa démarche de novembre 1967, visant à mieux contrôler le parti gaulliste, en fusionnant l’UNR et l’UDT dans un nouvel ensemble, l’UD-Ve République (Union des démocrates pour la Ve République), devenue l’UDR (Union des Démocrates pour la République) dès l’année suivante.
Prémices de crise
En maintenant à leurs fonctions ministérielles des hommes désavoués par le suffrage universel, l’exécutif envoie un message clair au Parlement. Il n’entend nullement se soumettre à la volonté de quatre cent quatre-vingt-sept députés qui ne représentent chacun que leur circonscription !
Quant à l’utilisation des ordonnances, elle renforce l’hostilité de l’opposition, en particulier des centristes, privant le parlement de son rôle habituel. Il était pourtant aisé au Premier ministre d’argumenter de la proximité du désarmement douanier total fixé au 1er juillet 1968 pour démontrer l’urgence de réformes sociales proprement françaises. Il ne le fait point. Aussi, la motion de censure du 20 mai 1967 n’échoue-t-elle que de huit voix, recueillant deux cent trente-six suffrages. Seuls quatre non-inscrits et trois centristes du PDM se sont abstenus. Deux nouvelles motions de censure sont repoussées en juin.
Les cantonales du mois de septembre 1967 confirment les résultats serrés de la législative, démontrant les progrès de l’opposition. La gauche parlementaire est devenue nettement majoritaire, rassemblant 53,5 % des voix contre 43,9 % pour la droite.
Les initiatives hardies du Général en politique étrangère, il faut bien en convenir, déclenchent des réactions d’incompréhension dans la population. Leur cumul conduit à un rejet certain de ces attitudes donneuses de leçons, dont les résultats concrets semblent bien minces. L’année 1966 a enregistré, il est vrai, beaucoup de gestes négatifs : retrait de l’Otan, voyage bien peu fructueux en URSS, discours par trop antiaméricain de Phnom Pen. Quant à l’année 1967, son bilan n’apparaît guère meilleur : insolent voyage québécois s’achevant par une crise diplomatique avec le Canada, visite sans guère de résultats en Pologne, embargo sur les armes à destination d’Israël doublé d’un discours aux relents incertains, rejet, pour la seconde fois, de la candidature anglaise au Marché commun.
Beaucoup de Français voient, dans ces initiatives quelque peu désordonnées, l’effet d’un trop long exercice du pouvoir exécutif – voire, plus prosaïquement la conséquence d’un certain dérèglement dû à l’âge. Aussi, la popularité du Général se retrouve-t-elle au plus bas dans la communauté juive, chez les partisans de l’atlantisme, chez les centristes qui veulent une Europe plus intégrée incluant la Grande-Bretagne, chez les anticommunistes que l’ouverture à l’Est indispose (et que l’invasion de la Tchécoslovaquie, l’année suivante, achèvera de retourner). Le seul aspect positif de la situation concerne la mise en place, sans heurts, de la Commission européenne unique confiée au Belge Jean Rey, début juillet 1967. Le 10 juillet 1967, de Gaulle, dans une allocution radiotélévisée, cherche à démontrer la cohérence de sa politique étrangère autour de deux idées clé, avec un grand aplomb : le refus des deux blocs et la liberté des peuples à disposer librement d’eux-mêmes. Effectivement, la méfiance à l’endroit des États-Unis et de l’URSS apparaît dominante, évitant une trop large distorsion.
Il faut bien le reconnaître, les signes prémonitoires d’un soulèvement étudiant ne sont guère évidents. Les analystes trouveront a posteriori bien des explications à un épisode qu’ils n’avaient nullement prévu.
Sur le plan politique, Georges Pompidou s’efforce d’élargir son assise en se rapprochant, avec difficulté, des centristes de René Pleven et Jacques Duhamel. Mais il sait également museler l’UNR en deux temps : en remplaçant le secrétaire général unique, Jacques Baumel, par une direction collégiale en juin, puis, fin octobre 1967, en faisant nommer un patron unique, l’un de ses fidèles, Robert Poujade. Quant à Valéry Giscard d’Estaing, il ne retient plus ses traits contre la gestion économique de Michel Debré. Enfin, l’opposition ne demeure point inactive, en parvenant à un programme commun de gouvernement en début d’année 1968.
L’économie française continue de se bien porter, contrairement à certaines affirmations trop rapides. En 1967, le taux de croissance s’établit à 4,9 %, une performance très légèrement inférieure à celle de l’année précédente. Le chômage s’est certes accru – les demandes d’emploi non satisfaites, corrigées des variations saisonnières, s’établissent à deux cent cinquante mille contre cent soixante mille à la fin de l’année 1966 – mais demeure à un niveau bien faible. Seule la balance commerciale s’est dégradée, tangentant l’équilibre, comme en 1966. Certes, le volume des grèves s’est accru fortement, avec quatre millions de journées de travail perdues, mais ce pic social est loin d’atteindre les sommets de la grève des mineurs de 1963 (six millions). Quant à l’agitation agricole, elle concerne surtout la Bretagne. Enfin, les comptes de la Sécurité sociale sont rétablis.
Globalement, les mesures de relance (plan du 24 janvier 1968) adoptées par le ministre Michel Debré permettent de penser que l’année 1968 sera plus favorable que la précédente. Il n’y a vraiment qu’une inquiétude, celle concernant l’évolution du pouvoir d’achat des bas salaires. Elle va expliquer les revendications considérables, en ce domaine, des syndicats, en mai 1968. La réévaluation annuelle du Smig demeure trop modeste depuis des années.
Il ne faut pas exagérer non plus l’influence du fameux article « La France s’ennuie » écrit par Pierre Viansson-Ponté dans Le Monde du 15 mars 1968. Ce brillant exercice journalistique ne peut circonvenir que ses lecteurs, quelques centaines de milliers de Français, dont fort peu de jeunes, à l’exception des étudiants de Sciences Po.
De même, Michel Crozier, avec sa « société bloquée », n’est guère lu au-delà de cercles intellectuels relativement étroits. Mais ce qu’il révèle est réel, au sein des familles à la discipline encore bien rigide comme dans les entreprises, où la hiérarchie la plus raide sert d’unique système organisationnel. Sans doute l’excès de bureaucratie est-il dénoncé, y compris dans le proche entourage du président de la République, par exemple par un homme comme Jean-Marcel Jeanneney. Ne constitue-t-il pas un facteur paralysant qui bloque la réforme et l’évolution ? Quant aux griefs adressés au tout-puissant ministère des Finances (qui a récupéré l’Économie), ils ne datent pas de 1968. Ses initiatives tentaculaires découragent les Français. Plus fondamentalement, l’exode rural, accéléré par la concentration des terres, a des conséquences évidentes sur les mentalités et, donc, les comportements. On est plus patriote en cette campagne française, peuplée de monuments aux morts aux listes interminables, que dans les villes, alors que la progression du bien-être encourage le développement de l’individualisme dans toutes les classes de la société.
Il existe aussi des bouffées d’oxygène comme le vote de la loi Neuwirth (19 décembre 1967) qui autorise la pilule contraceptive, sans grand enthousiasme d’ailleurs du général de Gaulle.
Quelques signaux plus brutaux altèrent le début de l’année 1968, comme cette grève spontanée à l’usine de Caen de la Saviem (Renault poids lourds) en janvier, qui voit un début de convergence entre étudiants et ouvriers.
Une autre évolution, très spectaculaire, est celle du nombre des étudiants. Ils étaient soixante-quinze mille en 1944 lorsque le Général s’est imposé en France libérée, deux cent mille lorsqu’il est devenu président du Conseil en 1958 et, en cette année 1968, ils dépassent cinq cent mille. En moins d’un quart de siècle, la population universitaire a été multipliée par plus de six. Le monde des enseignants du supérieur a suivi une progression similaire, avec la création du corps intermédiaire des maîtres assistants qui assument des tâches ingrates aux horaires allongés. Ce véritable prolétariat de l’enseignement supérieur est prêt à récuser un système qu’il juge abusif. C’est bien, semble-t-il, au sein de l’université que la contestation prend racine.
Pourtant, les ministres successifs de l’Éducation nationale, Christian Fouchet et, à partir de 1967, Alain Peyrefitte sont des personnalités compétentes et bienveillantes. Christian Fouchet s’est efforcé d’ouvrir des passerelles entre le monde de l’université et celui de l’entreprise. Alain Peyrefitte n’a plus à la bouche que les mots de sélection et d’orientation, non sans quelque raison. Il est, en effet, parfaitement conscient que l’accroissement exponentiel du nombre des étudiants provoque un afflux absurde vers des disciplines nouvelles sans grands débouchés, comme la sociologie et la psychologie. Mais aussi que les filières traditionnelles des sciences humaines (lettres, droit, histoire), largement surdimensionnées, ne sont plus aptes à offrir des perspectives suffisantes de carrière, hors le professorat. Le projet, qui protège l’existence du baccalauréat tout en ne garantissant plus l’accès automatique à l’université, pèse comme une épée de Damoclès sur le régime en ce début d’année 1968. Comment ne pas être estomaqué en constatant que la Ve République, celle qui a facilité le plus le développement du monde estudiantin, va manquer chuter sur une révolte de jeunes gens qui lui doivent beaucoup ? Même s’il ne s’agit pas, à l’évidence, de la majorité des étudiants…
Dès 1965, à Antony, quelques signes prémonitoires ne peuvent échapper à l’observateur attentif. Après s’être engagés dans un mouvement de grève pour protester contre des loyers jugés trop élevés, des étudiants se battent pour obtenir le libre accès aux logements universitaires réservés aux filles, et vice-versa. Les étudiants finissent par obtenir gain de cause en 1967. L’agitation se déplace à Nanterre, nouvelle faculté de lettres regroupant quinze mille étudiants. Les abords lamentables de l’université sont dénoncés par les étudiants, tout comme les médiocres perspectives d’emploi au sortir des études. Et, là aussi, la liberté sexuelle est réclamée, puis conquise à la suite d’une grève. Dès lors, les violences, plus ou moins sporadiques, ne cessent guère à Nanterre. Les mouvements les plus offensifs demeurent toutefois très minoritaires : la maoïste Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes, les trotskistes Jeunesses communistes révolutionnaires, sans oublier quelques comités contre la guerre au Vietnam.