Le maintien de Georges Pompidou au poste de Premier ministre pour conduire la bataille des législatives ne préfigure nullement la suite. De Gaulle ne peut que juger dangereuse et non conforme à la Constitution cette forme de dyarchie qui a pu s’installer entre eux durant la seconde quinzaine du mois de mai. Aussi tranche-t-il, in fine, pour confier le nouveau gouvernement à un homme dont l’ambition personnelle ne saurait être suspectée, Maurice Couve de Murville, nommé le 10 juillet.
De Gaulle n’est pas si convaincu que cela de la solidité de Georges Pompidou : il l’a trouvé trop flexible en accordant la réouverture de la Sorbonne, trop généreux lors de la grande négociation avec les syndicats. Et, surtout, il y a cette grande ambition de la participation que son Premier ministre rejette totalement. Et qui, pour de Gaulle, est essentielle. De son point de vue, la crise de 1968 exige un profond changement de société, d’abord dans le monde du travail.
Georges Pompidou lui-même est las et inquiet. Dans son ouvrage Pour rétablir une vérité, il s’interroge sur la nécessité d’interrompre sa carrière politique pour se faire mieux désirer des Français. Car il ne lui échappe nullement qu’il est le mieux placé pour succéder au Général.
La nomination d’un nouveau Premier ministre se révèle plus délicate que prévu. Pompidou qui, malgré son incontestable victoire politique, désirait partir, revient sur sa décision. Mais il est trop tard. De Gaulle a nommé Maurice Couve de Murville ! Si Georges Pompidou estime, dans son ouvrage Pour rétablir une vérité, que de Gaulle a prémédité son éviction, rien n’est moins sûr, car lui-même a beaucoup hésité à poursuivre avant de changer d’opinion… À coup sûr, de Gaulle n’est pas mécontent de conserver la maîtrise ses affaires, d’autant que les relations avec Georges Pompidou sont devenues plus que médiocres.
Lors du déjeuner donné à Matignon à ses ministres et secrétaires d’État du gouvernement sortant, Georges Pompidou s’entend dire par André Malraux, portant un toast : « Monsieur le député du Cantal, je bois à votre destin ! » Une forme de compensation qui touche beaucoup le Premier ministre sortant.
Maurice Couve de Murville, né à Reims dans une famille de la bourgeoisie protestante, réussit à vingt-trois ans le concours de l’inspection des Finances. Une carrière brillante le conduit à assumer de lourdes responsabilités sous le régime de Vichy (Commission d’armistice de Wiesbaden, direction des Finances extérieures et des changes, c’est-à-dire de toutes les transactions financières avec l’Allemagne), qu’il quitte en mars 1943 pour rejoindre le général Henri Giraud à Alger. D’abord fidèle à Henri Giraud, il parvient, grâce à ses compétences nullement concurrencées, à devenir le commissaire aux Finances du CFLN. Rallié à de Gaulle, il fait son entrée au GPRF en 1945. Sa remarquable carrière diplomatique le place idéalement pour occuper le poste de ministre des Affaires étrangères au retour du Général, en juin 1958. Il y demeure jusqu’au 10 juillet 1968.
Maurice Couve de Murville n’éprouve aucune difficulté à former un gouvernement, guère différent du précédent. Le Général ne lui impose que René Capitant à la Justice et Jean-Marcel Jeanneney, ministre d’État sans affectation, en charge des réformes de fond qu’entend conduire l’Élysée. Ensemble, ils conviennent de promouvoir le brillant et habile intellectuel Edgar Faure à l’Éducation nationale, domaine ô combien délicat où des révisions rapides s’imposent. Conscient, en raison de son bref passage à l’Économie et aux Finances, des dommages que les accords de Grenelle causent à de nombreuses entreprises privées mais aussi à la trésorerie de l’État, Maurice Couve de Murville confie cette fonction délicate (il faudra augmenter les impôts directs sans procéder à une dévaluation que de Gaulle rejette absolument) à un pompidolien pur jus, François-Xavier Ortoli, ancien directeur de cabinet du précédent Premier ministre.
Roger Frey et Pierre Messmer font leur grand retour aux Relations avec le Parlement et aux Armées, alors que Jean Chamant et Henri Duvillard prennent en mains les Transports et les Anciens combattants.
Avec dix-neuf ministres contre dix-sept, le nouveau gouvernement se distingue surtout par un doublement du nombre des secrétaires d’État (douze contre cinq). Jacques Chirac y conserve l’Économie et les Finances. Indication précieuse des priorités du régime, les Affaires étrangères maintenues à Michel Debré sont renforcées par deux secrétaires d’État, Yvon Bourges et Jean de Lipkowski, alors que les Affaires sociales bénéficient d’un traitement identique avec Marie-Madeleine Dienesch et Pierre Dumas. Le gouvernement demeure férocement masculin puisqu’une seule femme y figure. Il faut attendre le mois de juin 1974 et le premier gouvernement Jacques Chirac pour voir tripler le nombre des figures féminines.
Quant à Georges Pompidou, il demeure en place dans le jeu politique national en se portant à la présidence du groupe UDR à l’Assemblée nationale.