Chapitre 5
Le processus de la pensée est en majeure partie involontaire, automatique et répétitif chez la plupart des gens. Ce n’est rien d’autre qu’une sorte d’électricité statique mentale qui n’a pas de raison d’être réelle. À proprement parler, ce n’est pas vous qui pensez, c’est seulement la pensée qui se produit. L’énoncé disant « Je pense » implique un acte de volonté. Il implique que vous avez votre mot à dire sur le sujet, qu’il y a un choix à faire de votre part. Mais pour la plupart des gens, ce n’est pas ce qui se passe. « Je pense » est un énoncé qui est aussi faux que « Je digère » ou « Je fais circuler mon sang ». La digestion se produit, la circulation du sang se fait et la pensée se produit aussi.
La petite voix dans la tête a sa vie à elle. La plupart des gens sont à sa merci, ce qui signifie qu’ils sont possédés par la pensée, par le mental. Étant donné que le mental est conditionné par le passé, vous êtes ainsi forcé de le jouer et le rejouer sans cesse. En Orient, on utilise le terme karma pour décrire cette réalité. Lorsque vous êtes identifié à cette voix, vous ne le savez pas, bien entendu. Si vous le saviez, vous ne seriez plus possédé par le mental, puisque vous n’êtes vraiment possédé que lorsque vous prenez l’entité qui vous possède pour ce que vous êtes. Et vous devenez cette entité.
Depuis des milliers d’années, l’humanité est devenue de plus en plus possédée par le mental, ne réussissant plus à reconnaître l’entité qui possède comme n’étant pas le soi. Quand il y a identification complète au mental, un faux sens de soi – l’ego – se met à exister. La densité de l’ego dépend de la mesure selon laquelle vous – la conscience – êtes identifié à votre mental, à votre pensée. La pensée n’est qu’un infime aspect de la totalité de la conscience, de la totalité de ce que vous êtes.
Le degré d’identification au mental diffère d’une personne à l’autre. Certaines personnes jouissent de périodes durant lesquelles elles en sont libérées, si courtes soient-elles, et la paix et la joie de vivre dont elles font l’expérience dans ces moments font que la vie vaut la peine d’être vécue. C’est aussi durant ces moments que la créativité, l’amour et la compassion fleurissent. D’autres personnes sont constamment prises au piège de l’ego. Elles sont aliénées d’elles-mêmes ainsi que des autres et du monde qui les entoure. Lorsque vous les regardez, vous voyez la tension dans leur visage, leur front plissé ou encore l’expression absente et fixe de leur regard. Comme la plus grande partie de leur attention est absorbée par le mental, elles ne vous voient pas vraiment et elles ne vous écoutent pas vraiment. Elles ne sont présentes à aucune situation, leur attention étant tournée soit vers le passé, soit vers le futur, ce qui, bien entendu, n’existe que dans le mental en tant que formes-pensées. Ou bien elles entrent en rapport avec vous par le truchement d’un quelconque rôle qu’elles endossent et ne sont pas elles-mêmes. La plupart des humains sont coupés de leur véritable moi et certains le sont à un point tel que la façon dont ils se comportent et agissent avec les autres est perçue comme « bidon » par presque tout le monde, sauf par ceux qui sont aussi « bidon » et aussi coupés d’eux.
Être coupé de vous, aliéné de vous, signifie que vous ne vous sentez à l’aise dans aucune situation, aucun lieu et avec personne, même pas avec vous-même. Vous tentez toujours de « rentrer au bercail » mais vous ne vous sentez jamais au bercail. Certains des plus grands écrivains du 20e siècle, entre autres Franz Kafka, Albert Camus, T.S. Eliot et James Joyce ont très bien reconnu l’aliénation comme étant le dilemme universel de l’existence humaine. C’est probablement parce qu’ils l’ont profondément ressentie en eux qu’ils ont été capables de si bien l’exprimer dans leurs œuvres. Ils ne proposent cependant aucune solution. Leur rôle est de refléter la situation difficile de l’humain afin que nous puissions la voir plus clairement. En effet, voir clairement cette situation est le premier pas permettant de la dépasser.
En plus de la dimension de la pensée, il y a une autre dimension à l’ego, celle de l’émotion, qui n’est pas tout à fait distincte de la première. Ceci ne veut pas dire, bien entendu, que toutes les pensées et toutes les émotions sont le fruit de l’ego. Celles-ci deviennent ego seulement lorsque vous vous identifiez à elles et qu’elles prennent totalement possession de vous, c’est-à-dire lorsqu’elles deviennent le « je ».
L’organisme physique, votre corps, est doté de sa propre intelligence, comme l’organisme de tout autre forme de vie. Et cette intelligence réagit à ce que votre mental dit. Elle réagit à vos pensées. Par conséquent, l’émotion est la réaction du corps à votre mental. L’intelligence du corps est, bien entendu, une partie indissociable de l’intelligence universelle, une de ses innombrables manifestations. Elle donne une cohésion temporaire aux atomes et molécules qui constituent votre organisme physique. Elle est le principe organisateur sous-tendant le fonctionnement de tous les organes du corps, de la conversion de l’oxygène et des aliments en énergie, du battement du cœur et de la circulation sanguine, du système immunitaire qui protège le corps contre les envahisseurs, de la translation des données sensorielles en pulsions nerveuses envoyées vers le cerveau, où sont décodés et rassemblés de façon cohérente tous les éléments pour produire une image intérieure de la réalité extérieure. Ces fonctions, ainsi que des milliers d’autres qui se produisent simultanément, sont coordonnées à la perfection par cette intelligence. Ce n’est pas vous qui faites fonctionner votre corps, c’est l’intelligence. Celle-ci est également chargée des réactions de l’organisme au milieu environnant.
Ceci est vrai pour de nombreuses formes de vie. C’est la même intelligence qui a manifesté physiquement la plante et la fleur qui vient de la plante, fleur qui ouvre ses pétales le matin pour recevoir les rayons du soleil et qui se ferme le soir venu. C’est la même intelligence qui a créé Gaïa, ce complexe être vivant qu’est la planète Terre.
Cette intelligence confère à l’organisme la capacité instinctive de réagir à toute menace ou défi. Chez les animaux, elle génère des réactions semblables aux émotions humaines : la colère, la peur, le plaisir. On pourrait considérer ces réactions instinctives comme des formes premières d’émotion. Dans certaines situations, les êtres humains ont des réactions instinctives comme les animaux. Face au danger, quand la survie de l’organisme est menacée, le cœur se met à battre plus vite, les muscles se tendent, la respiration s’accélère pour se préparer à la fuite ou à l’attaque. C’est la peur primordiale. Quand nous sommes coincés, une soudaine montée intense d’énergie donne au corps une force qu’il n’avait pas auparavant. C’est la colère primordiale. Ces réactions instinctives sont apparentées aux émotions, mais elles ne sont pas des émotions dans le véritable sens du terme. Voici quelle est la différence fondamentale entre une réaction instinctive et une émotion. Une réaction instinctive est la réaction directe du corps à une situation extérieure quelconque. Une émotion est la réaction du corps à une pensée.
Indirectement, une émotion peut également être une réaction à une situation réelle, mais elle sera une réaction à cette situation perçue à travers le filtre de l’interprétation mentale, à travers le filtre de la pensée. C’est-à-dire qu’elle sera filtrée par les concepts mentaux de bien et de mal, des goûts particuliers, de moi et de mon. Par exemple, il est très probable que vous ne ressentirez aucune émotion si on vous dit que la voiture de quelqu’un a été volée. Par contre, si on vous dit que c’est votre voiture qui a été volée, vous serez probablement énervé. C’est inimaginable à quel point un petit concept mental comme « ma » peut susciter de l’émotion!
Bien que le corps soit intelligent, il ne peut faire la distinction entre une situation réelle et une pensée. Il réagit aux pensées comme s’il s’agissait de la réalité. Il ne sait pas qu’il s’agit simplement d’une pensée. Pour le corps, une pensée véhiculant de l’inquiétude et de la peur signifie « Je suis en danger » et il réagit en conséquence, même si vous êtes étendu dans un lit bien chaud et bien confortable la nuit. Le cœur bat plus vite, les muscles se tendent, la respiration s’accélère. Il y a une intensification de l’énergie. Mais comme le danger n’est qu’une fiction du mental, cette énergie n’a pas d’exutoire. Elle est en partie renvoyée vers le mental qui la met à contribution pour générer davantage de pensées anxieuses. Le reste de l’énergie devient toxique et interfère avec le bon fonctionnement du corps.
L’ego est non seulement le mental non conscientisé, la petite voix dans la tête qui prétend être vous, mais également les émotions non conscientisées qui sont la réaction du corps à ce que cette voix dit. Nous avons déjà vu le genre de pensée dans lequel cette voix s’engage la plupart du temps et le dysfonctionnement qui est inhérent à la structure des processus de la pensée, peu importe leur contenu. Cette pensée dysfonctionnelle est ce à quoi le corps réagit par des émotions négatives.
La voix dans la tête raconte une histoire à laquelle le corps croit et réagit. Ces réactions sont les émotions. À leur tour, les émotions alimentent en énergie les pensées qui ont en premier lieu engendré l’émotion. Tel est le cercle vicieux des pensées et des émotions non conscientisées, cercle vicieux qui génère la pensée émotionnelle et les mélodrames émotionnels.
La composante émotionnelle de l’ego diffère d’une personne à une autre. Chez certains egos, elle est plus importante que chez d’autres. Les pensées qui déclenchent les réactions émotionnelles dans le corps peuvent parfois arriver si vite que, avant que le mental ait le temps de les verbaliser, le corps a déjà réagi avec une émotion et celle-ci est devenue une réaction. Comme ces pensées existent à un stade préverbal, on pourrait les qualifier de suppositions inconscientes non verbalisées. Elles prennent leur source dans le conditionnement de la personne, en général dans celui de la tendre enfance. L’énoncé « On ne peut pas faire confiance aux gens » est le genre de supposition inconsciente que fait une personne dont les premières relations, c’est-à-dire les relations avec ses parents et ses frères et sœurs, n’ont en rien permis d’inspirer ou de susciter la confiance. Voici quelques autres suppositions inconscientes communes : « Personne ne me respecte ni me m’apprécie. J’ai toujours besoin de me battre pour survivre. Je n’ai jamais assez d’argent. La vie vous laisse toujours tomber. Je ne mérite pas l’abondance. Je ne mérite pas l’amour. » Les suppositions inconscientes créent des émotions dans le corps qui engendrent ensuite une activité mentale et des réactions immédiates. C’est ainsi qu’elles créent votre réalité personnelle.
La voix de l’ego dérange continuellement l’état naturel de bien-être du corps. Presque tous les corps humains subissent une grande quantité de stress et de fatigue. Pas parce qu’ils sont menacés par des facteurs extérieurs, mais à cause du mental. Le corps est rattaché à un ego et ne peut faire autrement que de réagir à tous les schèmes de pensées dysfonctionnelles fabriqués par l’ego. Il s’ensuit ainsi que le flot incessant de pensées compulsives est accompagné d’un flot d’émotions négatives.
Qu’est-ce qu’une émotion négative ? C’est une émotion qui est toxique pour le corps et qui interfère avec l’équilibre et l’harmonie de ce dernier. La peur, l’anxiété, la colère, le ressentiment, la tristesse, la haine, la jalousie, l’envie sont toutes des émotions qui dérangent la circulation de l’énergie dans le corps, qui troublent le cœur, le système immunitaire, la digestion, la production d’hormones, etc. Même le courant médical traditionnel, qui ne sait pratiquement rien du fonctionnement de l’ego, commence à reconnaître le lien entre les états émotionnels négatifs et les maladies physiques. Une émotion qui fait du tort au corps affecte également les gens avec qui vous entrez en rapport et, indirectement, par un processus de réaction en chaîne, d’innombrables autres personnes que vous ne rencontrerez jamais. Il existe un terme générique chapeautant toutes les émotions : le malheur ou la misère.
Alors, est-ce que les émotions positives ont des effets positifs sur le corps ? Est-ce qu’elles renforcent le système immunitaire, revigorent et guérissent le corps ? Oui, effectivement. Mais il faut faire ici une distinction entre les émotions positives générées par l’ego et celles, plus profondes, qui émanent du lien naturel que vous entretenez avec l’Être en vous.
Les émotions positives générées par l’ego contiennent déjà en elles-mêmes leur opposé en qui elles peuvent rapidement se transformer. En voici quelques exemples. Ce que l’ego appelle l’amour est de la possessivité et de la dépendance pouvant basculer vers la haine en l’espace d’une seconde. L’anticipation, qui correspond à une valorisation trop grande d’un événement futur par l’ego, se transforme facilement en son opposé, la déception, lorsque cet événement est passé ou ne comble pas les attentes de l’ego. Les louanges et la reconnaissance vous rendent vivant et heureux une journée, alors que les critiques et l’ignorance des autres vous font sentir abattu et malheureux, le lendemain. Le plaisir d’une soirée folle se transforme en noirceur et gueule de bois le lendemain matin. Il n’y a pas de bien sans mal, de haut sans bas.
Les émotions générées par l’ego proviennent de l’identification du mental aux facteurs externes qui sont, bien entendu, tous instables et sujets au changement à n’importe quel moment. Les émotions profondes ne sont pas des émotions mais plutôt des états de l’Être en nous. Les émotions se situent dans le domaine des opposés, alors que les états de l’Être se situent dans le domaine dénué d’opposés. Même si elles peuvent par contre être étouffées, elles émanent du plus profond de vous sous la forme de joie, d’amour et de paix, autant d’éléments faisant partie de votre véritable nature.
Dans mon premier ouvrage, Le pouvoir du moment présent, je mentionnais une observation du monde de la nature. En effet, après que deux canards se sont pris au bec, ce qui ne dure jamais très longtemps, ils se séparent et nagent dans des directions opposées. Chacun de leur côté, ils se mettent à battre vigoureusement des ailes à quelques reprises pour se débarrasser du surplus d’énergie qui s’est accumulé pendant la bataille. Une fois qu’ils ont fini de battre des ailes, ils se remettent à voguer en paix, comme si rien ne s’était jamais produit.
Si le canard avait un mental humain, il entretiendrait la bataille dans son esprit en pensant, en se racontant des histoires. Voici quelle serait l’histoire de ce canard. « Je n’en reviens pas de ce qu’il vient de faire ! Il s’est approché au point de me frôler ! Il pense que cet étang lui appartient ! Il n’a aucune considération pour mon espace privé. Je ne lui ferai plus jamais confiance. La prochaine fois, il essaiera autre chose pour m’embêter. Je suis sûr qu’il est déjà en train de manigancer quelque chose. Je ne me laisserai pas faire. Je vais lui donner une leçon qu’il n’oubliera pas de sitôt. » Et le mental poursuit sa ronde infernale d’histoires, y pensant et en parlant encore pendant des jours, des mois ou des années plus tard. En ce qui concerne le corps, la bataille n’est pas finie et l’énergie qu’il génère en réaction à toutes ces pensées sont des émotions, qui à leur tour génèrent davantage de pensées. Ceci devient la pensée émotionnelle de l’ego. Vous pouvez facilement vous imaginer à quel point la vie du canard serait problématique s’il avait un mental humain. C’est pourtant ainsi que la plupart des humains vivent en permanence. Aucune situation et événement ne sont jamais vraiment finis pour eux puisque le mental et le « moi et mon histoire » créé par le mental les perpétuent.
Nous sommes une espèce qui s’est éloignée de son chemin et l’a perdu. Chaque chose de la nature, que ce soit une fleur, un arbre ou un animal a une leçon importante à nous apprendre, pour peu que nous nous arrêtions, que nous observions et que nous écoutions. La leçon que le canard peut nous apprendre est la suivante : battons des ailes (laissons tomber l’histoire) et revenons au seul et unique lieu de pouvoir, le présent.
L’incapacité, ou plutôt la non-disposition du mental humain à lâcher le passé est parfaitement illustrée dans l’histoire des deux moines zen, Tanzan et Ekido, qui marchaient sur une route de campagne devenue extrêmement boueuse après des pluies torrentielles. Près d’un village, ils croisèrent une jeune femme qui tentait de traverser la route. La boue était si profonde qu’elle aurait abîmé le kimono de soie qu’elle portait. Tanzan la prit sur ses épaules d’un coup et la transporta de l’autre côté de la route.
Puis les moines reprirent leur route en silence. Cinq heures plus tard, alors qu’ils approchaient du temple où ils allaient loger, Ekido ne put se contenir plus longtemps. « Pourquoi as-tu porté cette femme ? » demanda-t-il. « Nous sommes des moines. Nous ne sommes pas censés faire des choses pareilles. »
« Je me suis délesté de la femme en question il y a des heures, lui répondit Tanzan, mais toi tu la portes encore, il me semble. »
Imaginez maintenant ce que serait la vie pour quelqu’un vivant tout le temps comme Ekido, pour quelqu’un qui ne pourrait ou ne voudrait pas intérieurement se délester de situations et qui accumulerait de plus en plus de « trucs » à l’intérieur. Vous avez le tableau de la façon dont la majorité des gens vivent sur cette planète. Quel lourd fardeau de passé ils traînent avec eux dans leur mental !
Le passé vit en vous par le truchement des souvenirs, qui ne sont pas un problème en soi. En fait, grâce à la mémoire et au souvenir, nous tirons des leçons du passé et des erreurs que nous avons commises. Mais quand les souvenirs, c’est-à-dire les pensées au sujet du passé, prennent totalement possession de vous, ils se transforment en fardeau, en problèmes, et deviennent une partie de ce que vous prenez pour être vous. Votre personnalité, conditionnée par le passé, se transforme en une prison. Vos souvenirs sont imprégnés d’un sentiment de moi et votre histoire devient qui vous vous percevez être. Ce « petit moi » est une illusion qui cache votre véritable identité, la Présence intemporelle et sans forme.
Cependant, votre histoire est non seulement faite de souvenirs mentaux, mais également de souvenirs émotionnels, de vieilles émotions qui sont sans cesse ravivées. Comme c’est le cas du moine qui a porté le fardeau de son ressentiment pendant cinq heures en l’alimentant de ses pensées, la plupart des gens transportent une quantité énorme de bagages inutiles. Aussi bien de nature mentale qu’émotionnelle. Ils se limitent par les récriminations, les regrets, l’hostilité, la culpabilité. Leur processus émotionnel de pensée est devenu leur moi. Et ainsi, ils s’accrochent aux vieilles émotions parce que celles-ci viennent renforcer leur identité.
Puisque la tendance des humains est de perpétuer les vieilles émotions, presque tous les gens portent dans leur champ énergétique une accumulation de vieilles souffrances émotionnelles que j’appelle le « corps de souffrance ».
Mais nous pouvons cependant arrêter de rajouter des émotions au corps de souffrance. Nous pouvons apprendre à briser l’habitude qui nous fait accumuler et perpétuer les vieilles émotions en battant des ailes, métaphoriquement parlant, et en nous retenant mentalement de nous attarder sur le passé, peu importe que l’événement se soit produit hier ou trente ans plus tôt. Nous pouvons apprendre à ne pas maintenir en vie dans notre esprit les situations et les événements, et à ramener continuellement notre attention à l’éternel et pur présent, plutôt que de nous jouer des films. Alors, c’est notre Présence même qui devient notre identité au lieu que ce soit les pensées et les émotions.
Rien de ce qui a pu se passer autrefois ne peut vous empêcher d’être présent maintenant. Et si le passé ne peut vous empêcher d’être présent, quel pouvoir a-t-il donc ?
Toute émotion négative que l’on n’a pas totalement affrontée pour ce qu’elle est dans le moment n’est pas complètement dissoute. Elle laisse un reste de souffrance dans son sillage.
Les enfants, en particulier, trouvent les émotions négatives trop lourdes. Comme ils ne peuvent composer avec elles, ils ont tendance à les réprimer. Quand il n’y a pas d’adulte pleinement conscient pour les aider avec amour et compassion à comprendre comment affronter ces émotions, il est évident que la seule option qui s’offre à eux est de choisir de les réprimer. Malheureusement, ce mécanisme de défense précoce reste habituellement en place quand l’enfant devient un adulte. Les émotions restent vivantes en lui de façon inconsciente et se manifestent indirectement, par exemple, sous forme d’anxiété, de colère, d’éclats de violence, d’humeurs variées ou de maladies physiques. Dans certains cas, les émotions sabotent les relations intimes. La plupart des psychothérapeutes ont eu des clients qui prétendaient au début avoir eu une enfance totalement heureuse et qui plus tard découvraient que c’était absolument le contraire. Il se peut qu’il s’agisse de cas extrêmes, mais personne ne peut passer par l’enfance sans subir de souffrance émotionnelle. Même si vos père et mère étaient illuminés, vous vous trouveriez tout de même à grandir dans un monde largement inconscient.
Les restes de souffrance laissés par des émotions négatives très fortes, auxquelles on n’a pas fait totalement face et qu’on n’a pas acceptées ni laissé aller, se rassemblent et forment un champ énergétique qui vit dans chacune de nos cellules. Ce champ est non seulement composé des souffrances de l’enfance, mais également des émotions douloureuses qui s’y sont rajoutées pendant l’adolescence et la vie adulte, la plupart ayant été créées par la voix de l’ego. C’est la souffrance émotionnelle qui est votre compagne inévitable quand le faux sentiment de soi sert de fondement à votre vie.
Ce champ d’énergie n’est cependant pas uniquement individuel. Il comporte également la souffrance vécue par les innombrables humains au cours de l’histoire de l’humanité : continuelles guerres entre tribus, esclavage, pillage, viol, torture, meurtre et toutes les autres formes de violence. Cette souffrance se perpétue dans la psyché collective de l’humanité, qui s’enrichit chaque jour de nouvelles souffrances quotidiennes, ainsi que les nouvelles du soir à la télévision ou les mélodrames relationnels le prouvent. Le corps de souffrance collectif est probablement doté de l’engramme de l’ADN de chaque être humain, bien que nous ne l’y ayons pas encore découvert.
Chaque nouveau-né venant au monde a déjà un corps de souffrance. Chez certains, ce corps de souffrance est plus dense que chez d’autres. Certains bébés sont heureux la plupart du temps, alors que d’autres semblent être très malheureux. Il est vrai que certains bébés pleurent beaucoup parce qu’on ne leur procure pas assez d’attention ni d’amour. Mais d’autres pleurent sans raison apparente. C’est presque comme s’ils essayaient de rendre leur entourage aussi malheureux qu’eux, chose qu’ils réussissent souvent à faire. Ils sont venus « équipés » d’une bonne dose de souffrance humaine. D’autres encore pleurent souvent parce qu’ils perçoivent les émotions négatives qui émanent de leur père et de leur mère. Cela les fait souffrir et leur corps de souffrance se met à grossir du fait qu’il absorbe l’énergie des corps de souffrance de leurs parents. Quel que soit le cas, à mesure que le corps physique du bébé grandit, il en va de même pour le corps de souffrance.
Un poupon ayant un corps de souffrance réduit ne sera pas plus tard une personne spirituellement plus avancée que quelqu’un qui a un corps de souffrance important. En fait, c’est souvent l’opposé qui se produit. Les gens ayant des corps de souffrance importants ont en général de meilleures chances de s’éveiller spirituellement que ceux qui ont un corps de souffrance plus léger. Même si certains de ces derniers en restent prisonniers, bien d’autres atteignent le point où ils ne peuvent plus vivre avec leur malheur. Leur motivation à s’éveiller devient donc très forte.
Pourquoi le corps du Christ, le visage tordu par l’agonie et le corps saignant par une multitude de blessures, constitue-t-il une image si significative dans l’inconscient collectif de l’humanité ? Des millions de gens, surtout au Moyen-Âge, n’auraient pas ressenti de lien si profond avec cette image comme ils l’ont fait s’ils n’étaient pas entré en résonance particulière en elle, s’ils ne l’avaient pas inconsciemment reconnue comme la représentation extérieure de leur propre réalité intérieure, comme la représentation de leur corps de souffrance. Mais ils n’étaient pas suffisamment conscients pour reconnaître ce corps de souffrance directement en eux. C’était cependant un début. On peut considérer le Christ comme l’humain archétypal incarnant aussi bien la souffrance que la possibilité de transcendance.
Le corps de souffrance est une forme énergétique semi-autonome, une entité faite d’émotions, qui vit dans presque tous les êtres humains. Il a sa propre intelligence primitive, qui ressemble un peu à un animal rusé, dont le principal objectif est la survie. À l’instar de toutes les formes de vie, il a périodiquement besoin de se nourrir, d’absorber de l’énergie fraîche. Et la nourriture qu’il lui faut pour se renflouer est une énergie compatible à la sienne, c’est-à-dire une énergie vibrant à une fréquence semblable à la sienne. Toute expérience émotionnellement douloureuse peut servir de combustible au corps de souffrance. C’est pour cette raison qu’il se repaît de pensées négatives ainsi que des sempiternels mélodrames relationnels. Le corps de souffrance est un drogué du malheur.
Cela peut être tout un choc, quand vous le réalisez pour la première fois, que quelque chose en vous recherche périodiquement la négativité émotionnelle, le malheur. Il vous faut davantage de conscience pour constater cette tendance chez vous plutôt que chez les autres. Une fois que le malheur s’est emparé de vous, non seulement vous ne voulez pas y mettre fin, mais vous voulez que les autres soient aussi malheureux que vous. Vous pourrez ainsi vous nourrir de leurs réactions émotionnelles négatives.
Chez la plupart des gens, le corps de souffrance a des phases latentes et des phases actives. Lorsqu’il est en phase latente, il vous est facile d’oublier que vous transportez un gros et lourd nuage gris ou encore un volcan dormant, selon le champ énergétique particulier de votre corps de souffrance. La durée de latence varie d’une personne à l’autre. Quelques semaines est la période la plus commune. Mais il peut aussi s’agir de quelques jours ou de quelques mois. Il y a de rares cas où le corps de souffrance reste en « hibernation » pendant des années avant de devenir actif. Il aura alors été déclenché par un événement particulier.
Le corps de souffrance sort de sa latence quand il a faim, quand c’est le temps de se « sustenter ». Il peut également réapparaître lors d’une situation précise. Le corps de souffrance prêt à se nourrir peut se servir de l’événement le plus insignifiant comme déclencheur : une chose dite ou faite par quelqu’un, ou même une pensée. Si vous vivez seul et qu’il n’y a personne dans votre entourage, le corps de souffrance s’alimentera à partir de vos pensées. Tout d’un coup, celles-ci deviendront profondément négatives. Vous ne vous êtes probablement pas rendu compte que, juste avant que ce flot de pensées négatives vous assaillent, une vague d’émotion avait envahi votre esprit, sous forme d’une humeur sombre et maussade, d’angoisse ou de colère. Comme toute pensée est énergie, le corps de souffrance s’en nourrit. Par contre, il ne peut se nourrir de n’importe quelle pensée. Il ne faut pas être particulièrement sensible pour remarquer qu’une pensée positive a une résonance totalement différente de celle d’une pensée négative. Il s’agit de la même énergie, mais d’une énergie qui vibre à une autre fréquence. Le corps de souffrance ne peut digérer les pensées positives, seulement les pensées négatives. Pourquoi ? Parce que seulement les pensées négatives sont compatibles avec son champ d’énergie.
Tout ce qui existe est constitué de champs énergétiques sans cesse en mouvement. La chaise sur laquelle vous êtes assis et le livre que vous tenez entre les mains ont l’air massifs et statiques seulement parce que c’est ainsi que vos sens perçoivent leur fréquence vibratoire. Vos sens perçoivent l’incessant mouvement des molécules, des atomes, des électrons et des particules sub-atomiques qui, pris ensemble, forment ce que vous appelez une chaise, un livre, un arbre ou un corps. Ce que nous percevons comme de la matière physique, c’est de l’énergie qui vibre (se déplace) selon une amplitude particulière de fréquences. Les pensées consistent en la même énergie, mais celle-ci vibre à une fréquence plus élevée que la matière. C’est pour cette raison qu’on ne peut ni voir ni toucher les pensées. Ces dernières ont leur propre amplitude : les pensées négatives vibrent à une fréquence plus basse, alors que les pensées positives vibrent à une fréquence plus haute. La fréquence vibratoire du corps de souffrance entre en résonance avec celle des pensées négatives. C’est pour cette raison que seules les pensées négatives peuvent nourrir le corps de souffrance.
Le processus faisant que les pensées créent l’émotion peut s’inverser. C’est-à-dire que c’est le corps de souffrance qui entre en action d’abord. L’émotion émanant du corps de souffrance prend rapidement contrôle de la pensée et, une fois que votre esprit est pris en otage par le corps de souffrance, la pensée devient négative. La voix dans votre tête vous racontera des histoires de tristesse, d’anxiété ou de colère sur vous-même ou sur votre vie, sur d’autres gens, sur le passé et le futur ou sur des événements imaginaires. La voix fera des reproches, accusera, se plaindra, imaginera. Et vous serez totalement identifié à ce que la voix dit. Vous croirez toutes ces pensées tordues. C’est à ce moment-là que la dépendance au malheur s’installe.
Ce n’est pas tant que vous ne pouvez pas interrompre le flot des pensées négatives, mais plutôt que vous ne le voulez pas. La raison à cela est que le corps de souffrance est en train de vivre en vous, prétendant être vous. Pour ce dernier, la souffrance est synonyme de plaisir. Il se repaît avec voracité de toute pensée négative. En fait, l’habituelle voix que vous entendez dans votre tête est maintenant devenue la voix du corps de souffrance. Elle a pris le contrôle du dialogue intérieur. Un cercle vicieux s’installe entre le corps de souffrance et votre pensée. Chacune de vos pensées vient l’alimenter et, à son tour, le corps de souffrance génère davantage de pensées. À un certain point, après quelques heures ou même quelques jours, il est repu et retourne à son état latent, laissant l’organisme vidé et le corps fragilisé et sensible aux maladies. Si vous avez l’impression qu’il s’agit d’un parasite psychique, vous avez tout à fait raison. C’est exactement ce que c’est.
Si d’autres gens se trouvent dans votre entourage, de préférence votre conjoint ou un membre de la famille proche, le corps de souffrance essaiera de les provoquer, « d’appuyer sur leurs boutons » comme on dit, afin de pouvoir se repaître du mélodrame qui s’ensuivra. Les corps de souffrance adorent les relations amoureuses et familiales parce que c’est là où ils vont chercher la plus grande partie de leur combustible. Il est ardu de résister au corps de souffrance d’une personne qui est déterminée à vous faire réagir. Instinctivement, son corps de souffrance connaît vos points les plus faibles et les plus vulnérables. S’il ne réussit pas lors de la première tentative, il remettra ça. C’est de l’émotion pure recherchant davantage d’émotions. Le corps de souffrance de l’autre personne veut faire sortir le vôtre de sa latence pour que les deux corps de souffrance puissent mutuellement s’énergiser.
Bien des relations connaissent des crises violentes et destructives quand les corps de souffrance s’activent. Pour un enfant, la souffrance d’avoir à assister à une telle violence émotionnelle entre ses parents est presque insoutenable. Et pourtant, c’est le lot de millions d’enfants dans le monde entier, le cauchemar de leur existence quotidienne. C’est une des principales façons dont le corps de souffrance humain est transmis d’une génération à l’autre. Après une telle crise, les conjoints se réconcilient et une phase d’accalmie s’installe, selon le degré permis par l’ego.
Une consommation excessive d’alcool viendra souvent réactiver le corps de souffrance, surtout chez les hommes mais aussi chez certaines femmes. Quand une personne est saoule, sa personnalité change complètement à mesure que le corps de souffrance s’empare d’elle. Une personne profondément inconsciente et dont le corps de souffrance se renfloue par de la violence physique dirige souvent cette violence vers son conjoint ou ses enfants. Une fois dégrisée, elle est vraiment désolée et jurera qu’elle ne recommencera plus. Elle le pense vraiment à ce moment-là. La personne qui s’exprime et fait des promesses n’est pas celle qui commet les actes de violence. Alors, vous pouvez être sûr que les actes de violence se répéteront maintes et maintes fois jusqu’à ce que la personne en question devienne présente, reconnaisse le corps de souffrance en elle et refuse dorénavant de s’identifier à lui. Dans certains cas, une thérapie peut aider.
La plupart des corps de souffrance veulent aussi bien infliger de la souffrance qu’en subir. Par contre, certains sont surtout des bourreaux et d’autres, des victimes. Dans un cas comme dans l’autre, ils se nourrissent de violence, physique ou émotionnelle. Les personnes qui pensent être tombées amoureuses l’une de l’autre sont en fin de compte attirées l’une par l’autre parce que leurs corps de souffrance respectifs se complètent. Parfois, les rôles de bourreau et de victime sont déjà clairement établis dès la première rencontre. Certains mariages que l’on pense être conclus au paradis le sont en fait en enfer.
Si vous avez déjà vécu avec un chat, vous saurez que même lorsque le chat semble endormi, il sait encore ce qui se passe autour de lui. Au moindre bruit inhabituel, son oreille se tourne vers le bruit et ses yeux s’entrouvrent. Il en va de même avec les corps de souffrance. À un certain niveau, ils sont encore éveillés, prêts à passer à l’action quand un déclencheur approprié leur passe sous le nez.
Dans les relations intimes, les corps de souffrance sont souvent suffisamment rusés pour mentir jusqu’à ce que les protagonistes vivent ensemble et aient signé un contrat stipulant qu’ils doivent rester avec la personne pour le reste de leurs jours. Vous n’épousez pas seulement votre femme ou votre mari, mais également leur corps de souffrance. Et vice-versa. Cela peut s’avérer tout un choc quand, peut-être pas longtemps après avoir aménagé ensemble ou après la lune de miel, vous découvrez soudainement un jour un changement total de personnalité chez votre conjoint. Il élève la voix, il crie tout en vous accusant, en vous faisant des reproches. Il vous engueule pour un truc relativement banal. Ou bien, il se referme complètement. « Qu’est-ce qui ne va pas ? » demandez-vous. « Rien », répond-il. Mais l’énergie intensément hostile qui émane de lui ou d’elle dit : « Rien ne va ». Quand vous le ou la regardez dans les yeux, vous n’y voyez plus de vie. Un lourd voile semble être tombé. L’être que vous connaissez et aimez en lui ou en elle, et qui auparavant réussissait à briller malgré l’ego, est maintenant totalement masqué. C’est un complet étranger qui semble vous regarder. Dans ses yeux, il y a de la haine, de l’hostilité, de l’amertume ou de la colère. Quand la personne s’adresse à vous, ce n’est pas votre conjoint qui s’exprime, mais son corps de souffrance qui vous parle. Tout ce que la personne vous dit, c’est la version de la réalité du corps de souffrance, une réalité complètement déformée par la peur, l’hostilité, la colère et le désir d’infliger et de subir davantage de souffrance.
Rendu à ce point, vous vous demanderez s’il s’agit du véritable visage de votre conjoint que vous n’aviez jamais vu auparavant et si vous n’avez pas fait une erreur magistrale en le choisissant. Bien entendu, il ne s’agit pas de son véritable visage, juste de son corps de souffrance qui a temporairement pris possession de lui ou d’elle. Il est difficile de trouver un conjoint n’ayant pas de corps de souffrance. Par contre, il est plus sage de choisir quelqu’un dont le corps de souffrance n’est pas trop dense.
Certaines personnes véhiculent des corps de souffrance qui ne sont jamais complètement latents. Même si elles sourient et entretiennent des conversations polies, elles ne sont pas difficiles à repérer. Il ne faut pas être médium pour sentir qu’elles abritent une grande quantité de colère, juste sous la surface. Une énergie furieuse qui n’attend qu’un prétexte pour se manifester, la moindre personne pour blâmer ou confronter, la plus petite chose pour déclencher un état malheureux. Le corps de souffrance de ces personnes est toujours affamé, il n’en a jamais assez. Et ces personnes amplifient le besoin de l’ego de se trouver des ennemis.
Par leur réactivité, des choses relativement insignifiantes prennent des proportions énormes lorsque ces personnes essaient d’attirer les autres dans leur mélodrame et de les faire réagir. Certaines d’entre elles engagent des batailles ou des procès juridiques sans fin et finalement vains contre des organisations ou des individus. D’autres sont consumées par la haine obsédante d’un ex-conjoint. Inconscientes de la souffrance qu’elles portent et par leur réaction, elles projettent la souffrance dans les événements et les situations. À cause d’un manque total de conscience personnelle, elles ne peuvent faire la différence entre un événement et leur réaction à ce dernier. Pour elles, le malheur et la souffrance appartiennent à la situation ou à l’événement. Parce qu’elles sont inconscientes de leur état intérieur, elles ne savent même pas qu’elles sont profondément malheureuses, qu’elles souffrent.
Certaines personnes dotées de tels corps de souffrance denses deviennent souvent des activistes qui se battent pour une cause. Il se peut certes que la cause soit valable et qu’elles réussissent au début à accomplir ce qu’elles veulent. Cependant, l’énergie négative qui émane de ce qu’elles disent et font, ainsi que leur besoin inconscient de se faire des ennemis et de générer le conflit, ont tendance à engendrer une opposition croissante à leur cause. En général, elles finissent par se créer des ennemis au sein même de leur propre organisation parce que, où qu’elles aillent, elles trouvent toujours des raisons pour se sentir mal et que leur corps de souffrance continue de trouver exactement la souffrance qu’il cherche.
Si vous ne connaissiez rien de notre civilisation contemporaine, si vous arriviez d’une autre époque ou d’une autre planète, une des choses qui vous stupéfierait le plus, c’est que des millions de gens paient pour voir des humains se tuer et s’infliger de la souffrance les uns les autres, et qu’ils aiment ça. Les humains appellent cela du divertissement.
Pourquoi les films de violence attirent-ils une telle audience ? Il s’agit là de toute une industrie, qui vient en majeure partie alimenter la dépendance des humains au malheur. De toute évidence, les gens regardent de tels films parce qu’ils veulent se sentir mal. Et qu’est-ce qui, chez les humains, aime se sentir mal mais que l’on appelle bon ? Le corps de souffrance, bien sûr. L’industrie du divertissement y pourvoit pour une grande part. Alors, en plus de la réactivité, de la pensée négative et du mélodrame émotionnel des relations, le corps de souffrance peut aller se sustenter à partir des écrans de télévision et de cinéma. Ce sont des corps de souffrance qui conçoivent et produisent ces films, et des corps de souffrance qui les regardent.
Est-il toujours « mal » de faire voir et de regarder de la violence à la télévision et sur les écrans de cinéma ? Toute cette violence alimente-t-elle le corps de souffrance ? À l’étape évolutive où se trouve l’humanité, la violence n’est pas encore seulement omniprésente mais aussi en augmentation. En effet, la vieille conscience propre à l’ego, amplifiée par le corps de souffrance collectif, doit s’intensifier avant d’inévitablement mourir. Si les films font voir de la violence dans un contexte plus global, s’ils montrent d’où elle vient et quelles en sont les conséquences, s’ils montrent ce qu’elle fait aux victimes ainsi qu’aux bourreaux, s’ils montrent l’inconscient collectif qui la sous-tend et qui est transmis de génération en génération (comme la colère et la haine qui vivent chez les humains sous la forme du corps de souffrance), alors ces films peuvent remplir une fonction vitale pour l’éveil de l’humanité. Ils peuvent servir de miroir dans lequel l’humanité peut observer sa propre folie. Ce qui en vous reconnaît la folie comme étant de la folie (même la vôtre) est sain. C’est la conscience émergente, c’est la fin de la folie.
De tels films existent bien entendu et ne viennent pas sustenter le corps de souffrance. Certains des meilleurs films anti-guerre sont des films qui font voir la réalité de la guerre plutôt que de la glorifier. Le corps de souffrance ne peut se nourrir que de films où la violence est dépeinte comme un comportement humain normal ou même désiré. Des films glorifiant la violence et ayant comme seul but d’engendrer des émotions négatives chez les spectateurs, deviennent ainsi une drogue pour leurs corps de souffrance.
La presse populaire ne vend pas des nouvelles. Elle vend fondamentalement des émotions négatives, de la nourriture pour le corps de souffrance. « Scandale ! » ou « Salauds ! » clament les titres de dix centimètres de haut. La presse populaire britannique excelle dans ce domaine. Elle sait que les émotions négatives font plus vendre de journaux que les nouvelles.
En général, les médias transmettant les nouvelles, télévision y compris, ont tendance à prospérer grâce aux nouvelles négatives. Plus les choses sont graves, plus les présentateurs sont passionnés. Souvent, l’excitation négative est créée par les médias eux-mêmes. Les corps de souffrance adorent ça !
La dimension collective du corps de souffrance comporte d’autres aspects. Les tribus, les nations et les races ont toutes leur corps de souffrance collectif, certains étant plus lourds que d’autres. La plupart des membres composant cette tribu, cette nation ou cette race y prennent part dans une plus ou moins grande mesure.
Presque chaque femme participe au corps de souffrance féminin, qui a tendance à s’activer particulièrement juste avant le moment des règles. Durant cette période, bien des femmes sont envahies par d’intenses émotions négatives.
La suppression du principe féminin, en particulier depuis les derniers 2000 ans, a permis à l’ego de s’approprier une suprématie absolue dans la psyché humaine collective. Même si les femmes ont, bien entendu, des ego, c’est chez l’homme que l’ego peut prendre racine et grandir plus facilement. La raison à cela est que les femmes sont moins identifiées au mental que les hommes. Elles sont plus en contact avec le corps subtil, avec le corps énergétique et l’intelligence de l’organisme d’où les facultés de l’intuition proviennent. La forme féminine est moins rigidement fermée que la forme masculine. Elle fait preuve d’une plus grande ouverture, d’une plus grande sensibilité envers les autres formes de vie. Elle est plus syntonisée sur le monde de la nature.
Si l’équilibre entre les énergies féminine et masculine n’avait pas été détruit sur notre planète, la croissance de l’ego aurait grandement été réduite. Nous n’aurions pas déclaré la guerre à la nature et nous ne nous serions pas autant dissociés de notre être intérieur.
Personne ne connaît le chiffre exact parce qu’on n’a pas tenu compte des faits, mais il semble certain que pendant une période de 300 ans, entre 3 et 5 millions de femmes aient été torturées et tuées par la « Sainte Inquisition », une institution créée par l’Église catholique romaine pour supprimer l’hérésie. Avec l’holocauste juif, ce génocide représente un des plus sombres chapitres de l’histoire humaine. Il suffisait durant cette période qu’une femme aime les animaux, qu’elle marche seule dans les champs ou les bois, ou qu’elle ramasse des plantes médicinales pour qu’on la qualifie de sorcière, qu’on la torture et qu’on la brûle sur le bûcher. À cette époque, on déclara le féminin sacré comme démoniaque et toute une dimension de l’humain disparut en grande partie. D’autres cultures et religions, comme le judaïsme, l’islam et même le bouddhisme supprimèrent la dimension féminine, quoique de façon moins violente. Le statut des femmes fut réduit à la maternité et au fait qu’elles étaient la propriété des hommes. Des mâles niant le principe féminin même en eux régentaient dorénavant le monde, un monde totalement déséquilibré. Le reste, c’est de l’histoire ou plutôt une histoire de fous.
Et qui est responsable de cette peur du principe féminin, que l’on pourrait uniquement décrire comme étant une paranoïa collective aiguë ? On pourrait, bien sûr, dire que ce sont les hommes. Mais alors, pourquoi dans de nombreuses civilisations pré-chrétiennes, comme les civilisations sumérienne, égyptienne et celte, les femmes étaient-elles respectées et le principe féminin révéré au lieu d’être craint ? Qu’est-ce qui a soudainement fait que les hommes se sont sentis menacés par le principe féminin ? C’est l’ego croissant en eux. L’ego savait qu’il pouvait prendre le contrôle total de notre planète seulement par le principe masculin. Alors, pour y arriver, il fallait rendre le principe féminin impuissant.
Avec le temps, l’ego s’est aussi emparé des femmes, bien qu’il ne pourra jamais s’incruster en elles comme il l’a fait chez les hommes.
Actuellement, la suppression du principe féminin est intériorisée, même chez la plupart des femmes. Vu que le féminin sacré est supprimé, il est ressenti par beaucoup de femmes comme une souffrance émotionnelle. En fait, il fait partie intégrante de leur corps de souffrance, avec la souffrance accumulée par les femmes au cours des millénaires avec l’accouchement, le viol, l’esclavage, la torture et la mort violente.
Mais, aujourd’hui, les choses changent rapidement. Puisque beaucoup de gens deviennent de plus en plus conscients, l’ego perd de son emprise sur le mental humain. Étant donné que l’ego a toujours eu moins d’emprise sur les femmes, il perd plus rapidement du terrain chez les femmes que chez les hommes.
Certains pays, dans lesquels de nombreux actes de violence collective ont été subis ou perpétrés, possèdent un corps de souffrance collectif plus lourd que d’autres. C’est pour cette raison que les vieilles nations ont tendance à avoir des corps de souffrance plus chargés. C’est pour cette raison que les nations jeunes, entre autres le Canada ou l’Australie, et les nations qui se sont protégées de la folie de leurs voisins, entre autres la Suisse, ont tendance à avoir un corps de souffrance moins chargé. Il va sans dire que les ressortissants de ces pays ont aussi un corps de souffrance avec lequel ils doivent composer. Si votre sensibilité est bien développée, vous sentirez une lourdeur dans le champ énergétique de certains pays dès que vous mettez le pied sur le sol. Dans d’autres pays, vous pouvez sentir un champ énergétique de violence latente juste sous le vernis de la vie quotidienne. Dans d’autres nations, par exemple au Moyen-Orient, le corps de souffrance collectif est si exacerbé qu’une partie significative de la population se trouve forcée à le manifester sous la forme d’un cycle dément et sans fin de perpétrations et de châtiments. Ainsi, le corps de souffrance se renouvelle continuellement.
Dans les pays où le corps de souffrance est chargé mais plus exacerbé, il y a une tendance chez les gens à essayer de se désensibiliser à la souffrance émotionnelle collective : en Allemagne et au Japon, par le travail, et dans d’autres pays, par la tolérance généralisée à l’alcool (qui peut cependant avoir l’effet opposé de stimuler le corps de souffrance, particulièrement si on le consomme à l’excès). Le corps de souffrance très chargé de la Chine est quelque peu contrebalancé par la pratique généralisée du Taï chi. Étonnamment, ce dernier n’est pas déclaré illégal par les autorités communistes, qui se sentent facilement menacées par tout ce qu’elles ne peuvent contrôler. Des millions de gens pratiquent chaque jour dans les rues et les parcs des villes cette méditation qui calme le mental. Ceci fait une différence considérable dans le champ énergétique collectif et vient quelque peu diminuer le corps de souffrance en réduisant la pensée et en instaurant la présence.
Les pratiques spirituelles qui font appel au corps physique, entre autres le Taï chi, le chi kung et le yoga, sont de plus en plus adoptées dans le monde occidental. Ces pratiques ne créent pas de séparation entre le corps et l’esprit mais servent plutôt à affaiblir le corps de souffrance. Elles jouent un rôle important dans l’éveil global.
Le corps de souffrance collectif racial est prononcé chez les juifs car ils ont subi des persécutions au fil de plusieurs siècles. Il n’est pas surprenant que le corps de souffrance soit également fort chez les autochtones d’Amérique du Nord qui ont été décimés et ont vu leur culture détruite par les colons européens. Chez les noirs américains, il est également très prononcé. Leurs ancêtres ont été violemment déracinés, battus pour être soumis et vendus comme esclaves. L’établissement de la prospérité économique des États-Unis repose sur le labeur de 4,5 millions d’esclaves noirs. En fait, la souffrance infligée aux Amérindiens et aux noirs des États-Unis n’est pas restée confinée à ces deux races, mais elle est devenue partie prenante du corps de souffrance des États-Unis. La règle est immuable : aussi bien la victime que le bourreau finissent par subir les conséquences des actes de violence, de l’oppression et de la brutalité. Pourquoi ? Parce que ce que vous faites aux autres, vous vous le faites à vous-même.
Peu importe quelle proportion de votre corps de souffrance appartient à votre nation ou à votre race, et quelle proportion est personnelle. Dans un cas comme dans l’autre, vous ne pouvez le transcender que si vous prenez la responsabilité de votre état dans l’immédiat. Même si le blâme semble plus que justifié, aussi longtemps que vous blâmerez les autres, vous continuerez à sustenter votre corps de souffrance avec vos pensées et vous resterez prisonnier de l’ego. Il n’y a qu’un seul bourreau sur la planète, l’inconscience humaine. C’est le fait de réaliser cela qui constitue le véritable pardon. Avec le pardon, votre identité de victime se dissout et votre véritable pouvoir émerge, le pouvoir de la présence. Alors, au lieu d’accuser l’obscurité, vous faites surgir la lumière.