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Chapitre 1 —

Le ballon et le joueur

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Emma restait là. Debout. Sans un mot, elle admirait les vagues qui venaient mourir sur le rivage. Puis, elle porta son attention sur l’horizon ainsi que sur l’infini de l’océan. Le sable, blanc immaculé, chatouillait ses orteils tandis qu’elle permettait aux rayons du soleil de caresser sa peau, dans ce ciel sans nuages. Une légère brise faisait danser ses longs cheveux bruns qu’elle laissait libres sur ses épaules. Un souvenir de son enfance lui revint en mémoire. Il s’agissait de son premier voyage à la mer, qu’elle avait fait avec sa famille. Elle esquissa un sourire. Heureuse. À cet instant précis, Emma aurait pu affirmer, sans l’ombre d’un doute, qu’elle avait atteint l’apogée du bonheur. Une béatitude qui l’avait boudée ces dernières semaines.

— Étais-tu au courant que le phénomène des marées est dû à la force gravitationnelle entre la Terre et la Lune ? Cette réaction tend à faire rapprocher les deux planètes, mais elle est compensée par l’attraction centrifuge...

Malgré elle, Emma laissa échapper un grand soupir d’exaspération. L’instant si précieux n’avait duré que quelques secondes. Sans le vouloir ni encore le savoir, Alice l’avait gâché. Emma lui lança un regard qui paraissait lui dire d’aller voir ailleurs, mais heureusement, la jeune femme ne semblait pas l’avoir remarqué. Elle se sentait déjà même coupable de l’avoir fait.

Emma fit un effort et la gratifia de son plus beau sourire. Sa raison lui dictait d’être gentille, car elles devaient passer trois jours ensemble. S’ajoutaient aussi Charlotte et Elvie pour leur séjour dans cet hôtel du New Jersey. Alice était encore pour elle une pure inconnue et, à force d’avoir observé la jeune femme, elle avait remarqué qu’elle ressentait un besoin immense de combler les silences qui perduraient.

— Je l’ignorais. Je te remercie pour l’information, répondit-elle.

Elle passa distraitement son doigt dans le sable pour y tracer un cœur transpercé par une flèche.

— Tu savais que le nombre de poissons...

— Ça ira, Alice. Je ne crois pas qu’Emma ait très envie d’écouter ça, coupa sèchement Charlotte.

Emma n’avait pas entendu sa meilleure amie arriver. Alice parut vexée par sa remarque, mais ne dit rien. Elle préféra s’excuser et partir se promener dans la direction opposée par laquelle son amie était arrivée.

— Je pense que tu l’as blessée, chuchota Emma.

— Ce n’est pas de ma faute à moi si elle parle beaucoup trop. Je ne suis pas non plus responsable de la manière dont elle reçoit ce que j’ai à lui exprimer, répondit Charlotte en s’assoyant près d’elle.

— Tu devrais aller t’excuser et lui demander de revenir.

— Et puis quoi encore ? Il faut imposer des limites à Alice. Sinon, nous aurons droit à l’encyclopédie au complet et, je t’assure, tu ne veux pas ça.

Emma soupira de nouveau, mais ne trouva rien à répliquer. C’était un être obstiné et elle savait qu’insister ne servirait à rien. C’était ce même défaut qui lui avait permis de se rendre où elle était parvenue maintenant sur le plan professionnel. Elle était une fonceuse.

Charlotte sortit ses verres fumés de son grand sac fourre-tout et les posa sur son nez. Elle mit également la main sur son agenda personnel pour vérifier l’horaire des prochains jours.

— Où est Elvie ?

— Elle est encore au téléphone avec son petit copain. Ils sont tellement accros l’un de l’autre que je me demande pourquoi il l’a laissée venir ici sans lui, répondit Charlotte en joignant son index et son majeur ensemble pour expliquer la fusion qu’ils vivaient tous les deux, appuyant aussi la thèse de la dépendance affective dans ce jeune couple.

— C’est certain que, toi, tu ne peux pas comprendre ce qu’est l’amour !

— Ah non ! Ne recommence pas avec ça. Je n’ai pas envie de t’entendre me chanter la même chanson. Tu ne répètes que la même rengaine, coupa Charlotte, et elle reprit : tu es contente d’être avec nous ?

Emma, qui fixait toujours un point imaginaire à l’horizon, se retourna vers son amie et lui sourit.

— Le moment était choisi à merveille. Je suis entre deux contrats. Comment as-tu réussi à faire avaler à ta patronne que j’étais indispensable pour toi ? Je croyais que tu te débrouillais assez bien en anglais depuis que tu suivais tes leçons avec Monsieur Wilson.

— J’ai véritablement besoin de toi. Mon anglais n’est pas assez bon pour les entrevues, alors, il est nécessaire que tu m’assistes si je trébuche dans la langue de Shakespeare. Et puis, les cours privés avec Monsieur Wilson sont super. Il me dit que je devrais avoir beaucoup plus confiance en moi.

Emma éclata de rire.

— Toi ? Manquer d’assurance ? Tsss... C’est assez ridicule quand on te connaît.

Charlotte Riopel écrivait pour Style Magazine depuis au moins deux ans. Profession qu’elle avait choisie depuis l’adolescence. Elle avait une admiration sans bornes pour Anna Wintour, la célèbre rédactrice en chef de Vogue. Elle travaillait fort pour gravir les échelons et savait pertinemment que la vie ne lui ferait pas de cadeaux par la simple pensée magique, alors, elle se donnait corps et âme pour son emploi.

Emma et elle s’étaient rencontrées à l’université. Elles avaient été colocataires pendant leur scolarité. Charlotte avait fait des études en communication, tandis qu’Emma était en traduction. Malgré leurs personnalités qui étaient complètement à l’opposé l’une de l’autre, elles avaient développé une belle et franche amitié durable.

— Comment ça va avec Monsieur Wilson, est-ce que tu l’aimes bien ?

— Il est vraiment extraordinaire. Il sait être patient avec moi, c’est peu dire ! Merci de me l’avoir recommandé. Je l’adore.

Charlotte resserra sa queue de cheval et réajusta sa camisole bleue. Elle observait un groupe d’hommes qui jouaient au volley-ball de plage un peu plus loin. C’était plus fort qu’elle, ses yeux étaient attirés instinctivement vers eux. Alice revenait déjà vers elles, tandis qu’Emma se leva et prit la parole.

— Tu as le plan pour les trois prochains jours ?

— Pas en détail. J’ai le mien, pour mes entrevues. Nous avons chacune nos propres horaires. Je vérifierai pour le tien. Candice devrait arriver en début de soirée et, fie-toi à moi, elle va se faire un plaisir de nous dicter quoi faire. Toi incluse.

Candice Rose était l’éditrice, la rédactrice en chef et la fondatrice de Style Magazine. La patronne de Charlotte, Elvie et Alice. Et celle qui signait le chèque du contrat d’Emma. Personne ambitieuse et calculatrice, elle gérait la revue d’une main de maître. Elle s’était bâti une solide réputation et sa publication avait rapidement acquis de la notoriété avec les années et s’était fait une place au soleil.

Emma la trouvait froide et autoritaire, mais elle se montrait très professionnelle. Elle savait, par contre, qu’elle était une très grande inspiration pour sa meilleure amie : Candice Rose avait magistralement réussi.

— Pourquoi elle n’a pas pris le même avion que nous ? demanda curieusement Emma.

— Pourquoi s’abaisserait-elle à notre niveau ? ironisa Charlotte en jetant une poignée de sable sur les pieds de sa copine.

— Candice avait un rendez-vous important ce matin. Elle a pris un autre vol, répliqua Alice.

Charlotte fit une grimace à Alice.

— Ma réponse était bien plus amusante, espèce de rabat-joie.

Alice sortit la langue pour lui retourner une mimique. Emma fit dos à l’océan, faisant face à Charlotte.

— J’ai faim. On trouve un petit restaurant sympathique...

Emma n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’elle sentit une douleur à l’échine et fit quelques pas forcés vers son amie, tentant par la même occasion de garder son équilibre et de ne pas tomber. Quelque chose venait de lui percuter l’arrière de la tête. Charlotte étouffait l’envie de rire qui montait dans sa gorge. Elle se leva, attrapa le ballon de volley-ball blanc qui avait frappé Emma et observa un homme, presque trop beau pour être vrai, s’approcher de leur petit groupe. Il ne portait qu’un pantalon de plage crème. Son torse nu était musclé et bruni par le soleil.

— Je suis tellement désolé ! Sincèrement, je m’excuse ! dit-il en anglais.

Emma se retourna, se frottant toujours l’arrière de la tête, visiblement fâchée. Elle sourit bêtement en voyant l’assaillant qui s’était adressé à elle. Elle prit un moment pour détailler son visage qu’elle trouva particulièrement symétrique et très attirant. Il lui rappelait vaguement un acteur d’une série pour adolescentes à la mode. Elle fut troublée par ses grands yeux verts, expressifs, voire séducteurs, sous deux sourcils bien fournis. Ses cheveux, châtain foncé, tombaient à la base de son cou, pêle-mêle, et il avait une légère barbe de deux ou trois jours qui encerclait son sourire blanc, presque parfait.

— Ce... ça va... bredouilla Emma qui sentait ses joues devenir rouges comme le jour où sa jupe s’était relevée en passant sur une bouche d’aération, dans une rue bondée de New York.

Il s’approcha d’Emma jusqu’à se trouver à quelques centimètres seulement d’elle. Il lui présenta la main pour serrer la sienne.

— Ian Mark, dit-il

— Emma Tyler, répondit-elle en la serrant.

Elle n’arrivait pas à la retirer, constatant qu’il la tenait plus longtemps que le veulent les convenances. Il lui fit un grand sourire.

— Je ne visais pas vraiment votre tête, vous savez, dit-il en attrapant le ballon que Charlotte lui avait lancé.

— J’imagine que non...

— Salut Ian, moi, c’est Charlotte Riopel, et elle, c’est Alice Chayer.

Ian sourit aux deux jeunes femmes avant de leur serrer la main, chacune à leur tour, mais se dépêcha de reporter son attention sur Emma qui continuait de le dévisager. Elle n’arrivait pas à détourner le regard. Ian reprit la parole en s’adressant à Emma, ignorant les deux autres.

— Ce soir, mon ami Ryan joue au Ocean Bar. C’est à quelques minutes à pied d’ici. Vous pourriez venir ? J’en profiterais pour vous payer un verre et ainsi m’excuser de vous avoir frappée avec ce ballon. Vous êtes bien sûr toutes invitées, ajouta-t-il.

— Je ne sais pas à quoi va ressembler notre soirée, mais ce n’est pas exclu, répondit-elle en cessant de se frotter l’arrière de la tête.

Ian sourit et jeta un dernier coup d’œil à Emma. Il lui fit un clin d’œil, ce qui la fit rougir de nouveau.

— Je serais plus qu’honorée de vous croiser, Miss Emma Tyler.

Puis, il se retourna vers ses amis qui semblaient l’attendre impatiemment, lui et son ballon. Emma le suivit du regard. Son cœur battait à tout rompre. L’homme lui plaisait. Elle avait l’impression que c’était réciproque. Un coup de foudre ? Elle ne savait pas si cela était possible, mais elle était consciente qu’elle aimerait bien le revoir. Il était séduisant, certes, mais c’était plus que ça. Elle était séduite par la vibration qu’il dégageait. Sous son regard, elle s’était sentie vivante. Cela faisait déjà plusieurs mois que ça ne lui était pas arrivé.

— Tu as vu l’apollon ? C’est certain que je ne lui ferais pas mal ! Et le corps qu’il a... ouf ! s’exclama Charlotte en donnant un coup de coude dans les côtes d’Emma.

— C’est bon, n’en dis pas plus. Pour toi, les hommes sont comme des pièces de viande.

— C’est là tout le plaisir, mon amie !

***

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Emma regardait son propre reflet que lui renvoyait le miroir de la minuscule salle de bain. Elle avait opté, après de longues minutes d’hésitation, pour une charmante robe soleil blanche avec de gros motifs de fleurs roses. Sa peau avait légèrement rougi, résultat de l’absence de crème solaire lors du dîner sur la terrasse du restaurant de l’hôtel. Son maquillage était doux et discret. Un mince trait au crayon noir soulignait son regard vert profond. Ses yeux étaient la seule ressemblance physique qu’elle tenait de sa mère et dont elle était fière. Une ligne un peu plus large avait été tracée au-dessus de son œil pour mettre en valeur le contour, qu’elle trouvait trop petit. Elle avait aussi appliqué un peu de mascara sur ses grands cils. Elle avait choisi un baume rose pâle et lustré pour ses lèvres parce que ça lui rappelait la couleur préférée de sa grand-mère. Elle laissa aussi ses cheveux bruns détachés.

— Est-ce que tu viens ? lui cria Charlotte qui attendait de l’autre côté de la porte fermée.

— Je suis prête ! répliqua Emma en ajustant sa tenue une dernière fois.

Elle ouvrit la porte et fit face à sa meilleure amie qui portait une paire de leggings noirs sous une tunique rouge vif très ample. Charlotte avait aussi choisi un maquillage discret. Elle avait tout de même donné un style brumeux et mystérieux à ses yeux noisette en y appliquant du fard noir. Ses cheveux châtains étaient défaits. Emma lui avait toujours trouvé un air de femme fatale. Elle lui enviait cette confiance qu’elle avait lorsqu’elle abordait le sexe opposé. Elle attirait les hommes, comme d’autres collectionnent les timbres. Ils étaient fous d’elle et, dès qu’elle entrait quelque part, c’était sur elle que les regards se posaient. Elle suscitait de l’admiration pour certaines femmes, tandis que d’autres la craignaient. Elle dégageait un magnétisme incroyable, et Emma devait avouer qu’elle l’admirait pour cela. Même si elle était très jolie, elle ne possédait pas l’assurance de sa meilleure amie. Contrairement à Charlotte, elle n’avait pas le loisir de choisir l’homme avec qui elle repartirait à la fin de la soirée.

C’est pour cette raison qu’elle avait trouvé étrange que Ian lui accorde autant d’attention. Elle était même persuadée que c’était sa culpabilité de l’avoir blessée avec son ballon qui avait entraîné l’invitation.

— Wow ! Tu es tout simplement superbe ! s’écria Charlotte en faisant tournoyer son amie avec sa main.

— Pas autant que toi !

Charlotte lui fit un clin d’œil et se mit à pivoter sur elle-même à son tour. Elle faisait ce mouvement depuis l’enfance. Sa tante, qui la gardait après l’école jusqu’au retour de ses parents, lui permettait de jouer dans sa garde-robe pour « faire des défilés de mode ». Elle s’amusait toujours à tournoyer sur elle-même pour imiter les mannequins de podium.

— Elvie et Alice ne viennent pas. J’avais pensé laisser une note à Candice à la réception pour l’inviter, cependant je ne l’imagine pas dans un bar de plage avec son éternel costume haute couture.

Emma lui lança un regard assassin.

— Non. Vraiment pas. Elle a tellement un air hautain et austère. Elle me fait peur, avoua Emma.

— Je me suis déjà demandé si elle connaissait la définition du verbe s’amuser. Je suis même convaincue que son fils doit prendre rendez-vous pour la voir.

— C’est triste !

Emma poussa un soupir et alla s’installer sur le lit. Elle se mit à tripoter fébrilement le bas de sa robe. Ce tic, elle l’avait hérité de son père qui jouait toujours avec le bout de sa chemise. C’était un homme nerveux de nature et elle savait qu’elle répétait son geste lorsqu’elle se retrouvait dans un moment où la tension était à son comble. Elle était tout de même heureuse de lui ressembler plutôt qu’à cette mère qui les avait lâchement abandonnés, son frère, sa sœur et elle, il y avait déjà très longtemps.

C’était au printemps de ses huit ans. Le lendemain de son anniversaire. Elle n’aimait pas évoquer cet instant. C’était l’époque où la femme qui aurait dû être son modèle féminin dans la vie avait déserté la maison. Elle avait honteusement quitté le domicile familial, laissant un simple petit mot d’adieu que son père avait jeté dans la poubelle. L’enfant qu’elle était à ce moment-là avait récupéré le papier froissé dans la corbeille. Elle l’avait plié soigneusement et caché dans sa boîte à secrets.

— Crois-tu que ce soit une bonne idée ? demanda Emma

— Quoi ça ?

— Cette soirée ? Aller voir ce type. Cet inconnu.

— Oui ! Une excellente idée, je dirais. Et je sais à qui tu penses. Patrick. C’est FINI. Il t’a larguée pour une étudiante en techniques policières qui ressemble plus à un garçon qu’à une fille. Si ça se trouve, c’est un homme.

Patrick Vinet était l’ex-petit ami d’Emma. Informaticien de métier, il vivait toujours chez sa mère. Après quelques années de fréquentation, elle en était venue à l’étape de la cohabitation, mais pas lui toutefois. Il était heureux comme un pape chez sa mère. Il était servi comme un roi et il n’avait pas envie de changer ça. Il avait rompu avec elle pour aller vers une autre femme.

— Es-tu vraiment obligée de me rappeler à chaque fois ce qu’il m’a fait ?

— Je n’ai pas le choix. Tu ressasses souvent la même histoire. Ça va te faire du bien de voir du nouveau monde. De t’amuser, de rire. Et pourquoi pas une petite aventure sans lendemain ?

— Et si c’était un tueur en série ?

— Mourir dans les bras d’un dieu grec, ce n’est pas si mauvais comme fin...

Emma esquissa un mince sourire, tandis que Charlotte éclata de rire. Elle ramassa son sac à main qui était sur la petite table de chevet et précéda Charlotte pour sortir de la chambre et se diriger dans le couloir, très étroit, puis vers l’ascenseur. Elle était heureuse d’avoir obtenu ce nouveau contrat pour le magazine et de passer du temps avec son amie, même dans un cadre professionnel. Toutes les deux n’avaient pas eu l’occasion de se voir souvent dans les dernières semaines. Charlotte avait un horaire assez rempli, tandis que celui d’Emma était plus flexible. Elle travaillait à son compte à partir de son petit appartement ou du café en bas de chez elle, en fonction de l’humeur qu’elle avait cette journée-là.

Elle ne fréquentait pas beaucoup de gens depuis sa rupture avec Patrick. Son cercle d’amis n’était pas très vaste, mais elle avait quand même quelques camarades d’université avec qui elle pouvait sortir de temps à autre pour se changer les idées et voir autre chose que son salon.

Charlotte poussa sur le bouton de l’ascenseur pour se rendre au rez-de-chaussée. La porte s’ouvrit presque instantanément. Les deux filles firent un sourire poli à l’homme et à la femme qui se trouvaient déjà dans l’ascenseur.

— Ça ne fait pas trop... désespéré ? chuchota Emma.

— Non ! Il t’a invitée. Nous répondons à son invitation. Arrête de douter, ça m’énerve, répondit Charlotte en replaçant une mèche de ses cheveux rebelles derrière son oreille.

L’homme se retourna vers elles et leur fit un grand sourire, dévoilant une rangée de dents très droites et très blanches. Emma en fut amusée, car elle songea à une publicité de dentifrice qu’elle avait vue à la télévision la journée précédente.

— Vous êtes Québécoises ? dit-il en balayant une poussière invisible sur son impeccable complet noir et dans un français presque sans accent.

— Oui, réagirent en chœur les deux femmes.

— C’est plutôt rare d’entendre parler français ici, mais je vais vous confier que ça fait du bien. Gabriel Jones. Je vis à Montréal, se présenta-t-il.

— Le monde est tellement petit ! répondit Charlotte en détaillant l’homme de la tête aux pieds.

— Nous aussi habitons Montréal, quel hasard ! ajouta Emma en souriant timidement.

— Un sage a dit qu’il n’y avait pas de hasard, juste des rendez-vous, riposta l’individu en faisant un clin d’œil complice à la jeune femme.

Emma observa l’homme et le trouva, au premier abord, très attirant. Elle n’aurait pas pu le comparer à Ian, car il s’agissait de deux genres complètement différents. Gabriel devait faire autour de 1 mètre 80. Son regard était bleu clair et possédait une vivacité particulière. Son nez long avait une légère courbe. La jeune femme s’imagina qu’il se l’était fracturé lors d’une partie de hockey. Son sourire était franc et semblait sincère. Il était rasé de près. Ses cheveux étaient noirs et vagués, coiffés un peu négligemment. Il se montrait très jovial et sympathique. Il était facile de voir qu’il avait l’habitude de parler avec des inconnus et de socialiser. Ils n’eurent que le temps de faire les présentations avant que l’ascenseur ne fasse un arrêt au quatrième étage et que l’homme s’avance vers la sortie.

— Nous aurons sûrement l’occasion de nous croiser de nouveau. Je vous souhaite une belle soirée, mesdames ! dit-il avant que la porte se referme devant lui.

— Quoi ? murmura Charlotte qui lisait le regard expressif que son amie lui lançait.

— Il était vraiment... wow !

— Oui, mais il a un air beaucoup trop sérieux.