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Chapitre 8 — Correspondance

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Emma caressait le poil court et soyeux de son chat Barney. Il ronronnait, visiblement heureux d’être le centre d’attention de sa maîtresse qui lisait un roman en anglais qu’elle devait traduire. Elle avait fini par écrire à Ian, respectant ainsi sa promesse. Elle lui avait dit qu’elle regrettait ce qui s’était passé avec lui et il lui avait juré de venir la voir bientôt. Ce n’était pas bien méchant d’échanger des messages textes et des courriels. Pour Emma, il s’agissait d’une amitié qui s’enchaînait et qu’elle entretenait avec le jeune homme. Ils apprenaient à se connaître en communiquant simultanément. Ian la faisait rêver avec ses lettres, souvent romantiques et sensuelles. Il parvenait à la faire fantasmer quand il lui rédigeait tout ce qu’il leur serait possible de faire ensemble lorsqu’ils se retrouveraient. Ian lui écrivait tous les jours depuis les deux dernières semaines. Cela lui permettait d’oublier peu à peu Gabriel et de l’éloigner de sa mémoire. Ian réussissait cet exploit presque totalement, mais Emma pensait souvent à son aventure d’un soir, telle une obsession. Et ce, malgré elle.

Deux semaines. C’était le temps qui s’était écoulé depuis le retour de ce voyage du New Jersey. Depuis sa courte aventure avec Gabriel Jones. La vie avait repris son cours. Emma continuait à travailler de la maison, à traduire des romans, et elle avait obtenu d’autres petits contrats. Elle avait revu Charlotte occasionnellement et même sa sœur qui était venue passer le dernier week-end chez elle. Elle pensait rarement à Gabriel et, quand elle le faisait, elle se sentait mal d’éprouver encore quelque chose en lien avec ce qui s’était passé. Elle avait l’impression qu’il était ce genre de rencontre qui bouleverse et vous renverse. Elle se disait aussi peut-être que c’était justement parce que c’était une première fois.

C’était mardi après-midi, il pleuvait. Une pluie battante, incessante et puissante. L’air était chargé d’humidité et on avait des échos de tonnerre à l’occasion. Emma sursauta lorsque son téléphone sonna, mais poussa son chat et se leva pour répondre.

— Emma Tyler ? Je suis Christine Dion, la collaboratrice de Candice Rose. Elle m’a mandatée pour que je programme un dîner avec vous d’ici vendredi prochain.

— Ha oui ? Pourquoi ? répliqua-t-elle, surprise.

L’assistante au bout du fil ne s’attendait visiblement pas à recevoir ce genre de réaction et arrêta un moment avant de reprendre la parole.

— Pour affaires, j’imagine. Elle ne m’a pas donné d’explications, vous savez. Elle demande, j’exécute, répondit-elle.

Emma choisit le jour suivant. Elle se rappela à cet instant que Candice avait mentionné un possible dîner. Elle avait rejeté ce souvenir aux oubliettes, croyant que c’était pour meubler la conversation. Elle raccrocha et retourna à la lecture de son roman, mais elle en avait perdu le fil ainsi que toute concentration. Elle se releva, ramassa son ordinateur portable qui traînait sur sa dînette et décida d’aller surfer sur Internet. Elle tapa « Gabriel Jones » dans le champ de recherche et attendit les résultats. Après un moment, différents visages s’affichèrent. Elle reconnut facilement celui de son amant d’un soir, son sourire et sa fossette sur le menton. Il était photographié durant une soirée-bénéfice. Le cliché était daté de trois ans. Emma était troublée en le revoyant. Sur le portrait, il était avec une femme très belle. Elle lut le bas de vignette qui accompagnait la photo : « Docteur Gabriel Jones, escorté de son épouse Alyssa Gilbert ».

Emma referma son ordinateur, mais l’ouvrit de nouveau pour réexaminer l’image. La femme semblait heureuse et, surtout, elle était très jolie. D’immenses yeux noirs, les cheveux brun pâle, avec des teintes de roux, plus petite que lui et mince. Son sourire était éblouissant et des plus chaleureux. Le téléphone sonna au même moment et Emma consulta l’heure. Il était passé dix-sept heures. C’était Charlotte.

— Que fais-tu ?

Emma, qui ne savait pas mentir, lui avoua qu’elle regardait des photos de Gabriel. Charlotte sourit malgré elle en entendant la réponse de son amie.

— Je me sens coupable tout à coup.

— Tu me fais rire ! Oublie-le !

— Facile à dire pour toi, miss je-me-fous-de-tout-le-monde...

— Ça va hein ! C’est toi qui me parles de lui... Ça te dit si je passe avec de la bière et du prêt-à-manger ? Ma journée a été désastreuse et j’ai besoin de me changer les idées.

— Viens, je n’avais encore rien prévu. Candice m’a invitée à dîner demain.

— Pas vrai ? Bon, tu me raconteras tout à l’heure. Je suis là dans trente minutes, maximum. À plus !

***

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Ian réfléchissait aux mots qu’il allait rédiger à Emma. Il adorait être subtil et attiser son désir. Pour lui, c’était tout un défi et il aimait le relever. Il voulait la rendre accro. Il n’était pas un grand poète, même qu’il ne composait pas bien du tout, mais il s’était inspiré de textes et de romans qu’il avait feuilletés. Il avait même poussé l’audace jusqu’à copier le poème d’un type trouvé sur un blogue en fouillant sur le Web. Il commença à taper son courriel et souriait. Il savait quoi lui écrire maintenant. L’inspiration était bien là. Il n’avait qu’à l’imaginer pour motiver son esprit. Elle portait en elle quelque chose qui venait heurter son âme et le percuter en plein cœur. Il supposait la tension qu’il provoquerait chez la jeune femme. Il regrettait de ne pas être près d’elle lorsqu’elle le lirait, mais il vivait dans l’attente d’être avec elle et de la tenir dans ses bras.

— Que fais-tu ?

Ian sauvegarda son brouillon et ferma la fenêtre du navigateur Internet. Il se retourna vers Lilly qui avait glissé la tête dans la petite ouverture que la porte avait laissée. Ses grands yeux bleus étaient cernés, ses cheveux blonds, presque blancs, étaient désordonnés et flottaient librement sur ses épaules. Elle paraissait épuisée. Sa bouche, pulpeuse à souhait, semblait faire la moue.

— Rien d’important. J’écrivais à un ami, répondit-il en éteignant l’ordinateur.

Après s’être assuré que l’appareil était bien fermé, il se leva. Lilly Murphy s’approcha de l’homme.

— Journée terrible. Je suis exténuée, tu ne peux pas t’imaginer.

Lilly alla se vautrer contre lui quand il ouvrit ses bras. Il se pencha et déposa un chaste baiser sur les lèvres charnues de la jeune femme.

— Va relaxer dans un bon bain et je nous prépare un succulent souper. Je crois qu’il nous reste cet excellent vin d’Espagne que ton père nous avait offert...

Elle soupira et leva la tête pour embrasser Ian avec un peu plus d’insistance que précédemment.

— Tu sais que je t’aime, toi, répliqua-t-elle.

Ian sourit et l’embrassa encore une fois. Il observa la jeune femme se faufiler vers la salle de bain. Il regarda l’ordinateur, puis de nouveau la porte et se dit qu’il finirait son courriel lorsque Lilly serait couchée. Elle dormait toujours comme une roche de toute façon...

***

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Candice avait convié Emma dans un restaurant gastronomique que celle-ci ne fréquentait pas habituellement. Il s’agissait d’un endroit qui était au-dessus de ses moyens financiers. Elle était nerveuse, car elle ne se sentait pas à sa place dans ce lieu cinq étoiles. Elle informa l’hôtesse qu’elle avait rendez-vous avec Candice Rose et la femme la conduisit jusqu’à une table vide, dans le fond d’une des deux salles du site. Elle était heureuse d’être arrivée en premier et, ainsi, de ne pas avoir fait attendre la femme d’affaires. Elle balaya du regard l’endroit et fut stupéfaite lorsqu’elle crut reconnaître Gabriel assis plus loin, accompagné de deux hommes. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et ses mains se mirent à trembler. Elle avait oublié la raison de sa venue ici et Candice Rose. Toute son attention était portée sur le docteur qui était assis à quelques mètres d’elle.

Emma le trouvait toujours aussi attirant et, même si elle essayait d’ignorer sa présence, son œil se reportait sur lui à tout moment. Comme une habitude ou un tic incontrôlable. Elle fut encore plus troublée lorsqu’il finit par lever les yeux et qu’il les posa sur elle. Elle attrapa en vitesse le menu avec lequel elle tentait de se cacher, mais il était trop tard. Gabriel avait semblé surpris sur le coup, mais sa confusion laissa place à une sorte de joie et de bonheur indéfinissables qui étaient montés en lui. Il s’excusa auprès de ses compagnons, déposa sa serviette sur la table et se leva avant de marcher dans sa direction.

— Ne viens pas... ne viens pas... ne viens pas... murmura-t-elle.

— Bonjour, Emma, dit-il doucement.

Il se pencha pour l’embrasser délicatement sur les deux joues. Elle n’avait aucune idée de la manière dont elle devait réagir. Emma n’était pas de nature à confronter les gens et ce n’était pas dans son intention d’aborder le sujet d’Alyssa.

— Bonjour, Gabriel, répondit-elle en évitant son regard.

— Est-ce que ton père va mieux ?

Emma le considéra sans trop comprendre le but de sa question. Puis, un éclair traversa son esprit, se souvenant du prétexte que Charlotte lui avait donné pour aller elle-même récupérer son téléphone afin qu’elle n’ait pas à l’affronter. Jamais elle n’avait cru qu’elle aurait pu tomber sur lui à Montréal, mais elle se dit que, même si c’était une grande ville, le monde était petit. Peut-être qu’avant de se connaître, ils se rencontraient déjà tous les deux, sans le savoir. Elle en doutait, car, près de lui, elle ressentait toujours cette énergie étrange en elle.

— Il va bien. Je n’ai jamais imaginé te croiser...

— Je pense que l’univers complote derrière notre dos, répondit-il en plaisantant, puis apercevant son air impassible, il continua : je mange ici avec des collègues. Je suis vraiment très heureux de te revoir. Je crois qu’il y a eu un malentendu... Je voudrais rectifier certaines choses...

— Non, ça va. Ce n’est pas la peine. Tu ne me dois rien. Je comprends...

— Tu es tellement... magnifique, murmura-t-il dans un souffle, incapable de retenir ce qui montait en lui, en l’admirant.

Gabriel observa le malaise de la jeune femme et se reprit.

— Alyssa, c’est...

Candice arriva à cet instant, interrompant l’homme dans ses explications. Elle sourit froidement à Gabriel et salua plus chaleureusement Emma. Les présentations furent très brèves, sans cérémonies.

— J’ai été enchanté de vous rencontrer, Madame Rose. Emma, je vais te téléphoner. Bon appétit, dit-il avant de partir, légèrement frustré d’avoir été coupé pendant un moment crucial.

Candice prit place face à Emma et observa l’homme qui retournait à sa table. Elle dévisagea sa compagne qui fixait la carte. Elle cherchait quel sentiment elle pouvait déceler chez la jeune femme. Elle paraissait troublée par cette rencontre, même si elle faisait d’énormes efforts pour ne rien laisser paraître. Candice se décida à briser le silence.

— Il n’y a pas à dire, partout où vous allez, vous avez un homme à vos pieds, lança-t-elle stoïquement.

Ce qui se voulait une plaisanterie fut perçu comme un reproche par Emma. Elle leva les yeux vers Candice qui semblait analyser son menu. Elle portait de grandes lunettes à monture noire, probablement pour la lecture de près. Elles lui donnaient un air encore plus sévère. La femme lui rappelait une actrice quelconque dans un film de série B qu’elle avait visionné quelques années plus tôt. Elle ne savait même pas pourquoi ce souvenir était remonté à la surface. Elle ne trouvait pas les mots pour répondre, se contentant d’échanger des banalités sur la température. Elle regardait, à la dérobée, Gabriel qui discutait avec ses collègues. Il était particulièrement séduisant. Elle se remémora cette nuit, dans l’ascenseur, et sentit des papillons s’agiter dans son ventre. Emma aurait donné n’importe quoi pour qu’il la prenne dans ses bras encore une fois. Mais elle savait qu’elle se faisait du mal, elle n’y pouvait rien. Elle détourna les yeux lorsqu’elle sentit ceux de Candice sur elle. Elle s’avoua qu’il était plutôt impoli de sa part d’observer, même si c’était furtif, vers la table de l’homme. De son côté, Candice avait remarqué le manège d’Emma et finit par la questionner sur qui il était vraiment.

— Je l’ai rencontré lors de notre voyage au New Jersey. Très surprise de le croiser ce midi, répliqua-t-elle en plaçant son index sur ce qu’elle avait choisi de manger.

— Une simple connaissance, alors ? Ah bon ! répondit Candice qui avait analysé la situation et elle poursuivit : je me demande pourquoi je regarde le menu, je prends toujours la même chose. C’est comme ça.

Candice déposa le grand carton sur la table, mit ses lunettes dans la coque prévue à cet effet et reporta toute son attention sur la jeune femme installée devant elle. Elle la détailla un moment.

— Je suis heureuse de vous revoir, sincèrement, dit-elle candidement.

Emma qui n’était pas à l’aise avec ce genre d’effluve, surtout quand c’était une simple connaissance, se contenta de garder le silence. Le serveur approcha pour prendre leur commande et Candice en profita pour commander une bouteille de vin rouge. Emma n’appréciait pas du tout l’idée de boire en plein milieu du jour, particulièrement une bouteille à deux. Elle avait déjà une vague idée du comportement que pouvait avoir la femme lorsqu’elle était sous l’influence de l’alcool et ici, elle n’avait pas de repères si jamais elle dépassait la dose recommandée.

— Est-ce que je peux te tutoyer ? Tu as eu une journée chargée ?

Emma hocha la tête avant de répondre.

— C’est assez tranquille. Je suis dans la traduction d’un très gros roman. J’avoue que j’étais très surprise de votre invitation.

— Tu peux me tutoyer aussi. Je t’en prie. Effectivement, j’avais à discuter avec toi d’un projet. Est-ce que tu sais écrire ? Enfin, je sais que tu traduis, mais écrire tes propres textes, tes romans, venant de ton imagination, de ta tête ?

— Oui, j’écris. Il s’agit plus de mon plaisir personnel. Je n’ai jamais rédigé dans un but professionnel. Pourquoi ?

Candice expliqua de long en large le projet de magazine qu’elle caressait. Une revue anglophone. Elle pensait et préparait le plan depuis fort longtemps. L’anglais étant sa langue maternelle, elle avait enclenché le processus de réalisation. Elle désirait travailler avec la jeune femme. Elle appréciait son énergie, ce qu’elle dégageait. Elle aimait être avec elle. Emma l’écoutait s’exprimer depuis un quart d’heure. Tandis qu’elle avait terminé de manger, l’assiette de Candice n’avait été vidée qu’à moitié. Elle parlait et gesticulait beaucoup. Emma comprenait maintenant ce que son amie Charlotte voulait dire alors qu’elle faisait part de la passion que Candice pouvait transmettre au moment où elle partageait son métier. Sa vie.

— J’aimerais que nous soyons amies.

Emma leva la tête, surprise par cette révélation. Elle ressentait un malaise. Elle était beaucoup trop sympathique avec elle et ça ne cadrait pas avec la description que Charlotte ou même ses collègues en avaient faite. Elle avait un comportement inexplicable. Toutes deux venaient de milieux différents. Le meilleur exemple était leur présence dans ce restaurant chic. Candice la jaugeait. Espérant une réaction de sa part.

— Pourquoi ?

Candice ne s’attendait pas à ce qu’elle lui pose cette question. Elle s’était même imaginé qu’Emma serait flattée de ce souhait. Devenir la confidente de la femme au gant de fer. Prise au dépourvu, elle s’accorda un instant pour répondre, pensant à chaque parole qu’elle prononcerait.

— J’ai apprécié la discrétion avec laquelle tu as agi face aux événements du New Jersey. Même si je suis entourée de beaucoup de monde, je n’ai pas beaucoup de gens en qui je peux placer ma confiance. Tu me rappelles une personne que j’ai connue à une autre époque, dans une autre vie. J’ai beaucoup d’amis, des tonnes même, mais je pourrais davantage les qualifier de connaissances. Ces personnes m’utilisent plus qu’elles ne m’aiment réellement. C’est complexe de trouver des individus de confiance, tu sais.

Emma comprit entre les lignes que la femme se sentait seule, et ce, même si elle avait un entourage très vaste. C’était généralement le lot de ceux qui réussissaient. Il était difficile de définir ses vrais amis et surtout, parmi ceux qui étaient présents dans sa vie, les gens qui resteraient en cas d’échec ou de malheur. Elle ne savait pas quoi lui répondre. Pour elle, l’amitié était une chose spontanée qui arrivait souvent d’elle-même, comme une surprise dans sa vie. Elle n’avait jamais demandé à quelqu’un d’être son amie et, malgré toute la bonne volonté du monde, elle ne se sentait pas à l’aise dans ce genre de relation avec cette femme. Candice lui souriait, tout en attendant qu’elle ait une réaction.

— Sincèrement, je ne sais pas si nous pouvons être amies. Une amitié est quelque chose de naturel et qui se bâtit, brique après brique, avec des bases très solides. Nous ne nous connaissons pas vraiment beaucoup. Il est nécessaire d’avoir au moins quelques affinités...

Le sourire de Candice ne s’effaça pas et son visage ne trahissait aucune émotion, ce qui accentua davantage son malaise à répondre.

— Je sais que je suis très maladroite avec les gens. J’ignore comment m’y prendre, voilà tout.

Les yeux d’Emma se posèrent sur Gabriel qui s’était levé et qui cherchait son portefeuille pour payer son addition. Il jeta un regard furtif dans sa direction, faisant mine de ne pas la voir. Elle avait beau tenter de l’ignorer, comme ce que Charlotte lui avait dit de faire, elle en était incapable. Elle savait qu’elle brisait les règles de politesse face à sa compagne de repas, mais elle ne pouvait pas faire autrement. Elle était totalement hypnotisée par la présence de Gabriel.

— Va donc lui parler, tu ne désires que ça, ajouta Candice qui avait facilement remarqué l’intérêt d’Emma envers l’homme.

Elle fit non de la tête. Elle était trop orgueilleuse pour aller vers lui, même si tout son être n’espérait que ça. La voix et les mots d’Alyssa résonnaient encore dans sa tête et elle avait trop de respect pour l’union de l’homme et de la femme. Emma n’arrivait pas non plus à envisager la proposition de Candice, la présence trop près de Gabriel la déstabilisait.

— Est-ce que je peux y réfléchir et vous revenir ?

Gabriel jeta un dernier regard vers Emma avant de partir. Il s’en voulait de la tournure des événements. Il aurait aimé avoir eu le temps de lui expliquer sa véritable situation maritale. Il avait gardé son numéro de téléphone et il se promit de lui téléphoner. Sa petite voix intérieure lui criait qu’il avait besoin de la revoir. Il avait envie d’être de nouveau près d’elle, car il n’avait pas l’impression que c’était une simple aventure d’un soir qu’il avait eue avec la jeune femme. Il avait le sentiment d’être sous son emprise et il était mal de ne pas pouvoir lui-même la posséder. Il avait le désir de pousser ça encore plus loin pour voir où cette histoire pouvait les mener. À l’âge qu’il avait, il aspirait à une forme de stabilité, même si son horaire était très chargé. Il avait besoin d’un port d’attache et il visualisait très bien en Emma un point d’ancrage.

— Qu’est-ce qui s’est passé exactement avec lui au New Jersey ?

Candice était assez sensible pour se rendre compte qu’il y avait eu quelque chose de fort entre les deux et que ce n’était pas réglé. Ou pas terminé. Elle savait que ce n’était pas de ses affaires, mais elle se dit que c’était peut-être une chance de gagner la confiance d’Emma en jouant les confidentes.

— Le soir, quand je vous ai conduite dans votre chambre, commença la jeune fille.

Candice baissa les yeux, honteuse.

— Continue.

— J’ai pris l’ascenseur avec Gabriel et il s’est arrêté, brisé. Nous en avons eu pour quelques heures à nous tenir compagnie dans le noir...

— Oui, je me souviens de cet incident...

— J’ai voulu être une autre ce soir-là... J’ai tenté d’être une autre... Gabriel et moi avons écouté nos ressentis du moment et nous nous sommes aimés l’espace d’un instant... Oubliant qui nous étions, l’endroit où nous étions... Et nous avons convenu de reprendre chacun notre route. Mais voilà que ce n’est pas facile. Pas évident, car il a gardé une partie de mon âme...

— Je vois...

— Et maintenant, il y a un malaise. Parce que le téléphone a sonné, ce n’était pas le mien, mais le sien, car nous avions échangé nos appareils par mégarde... Une femme qui m’indiquait être son épouse... Mes valeurs... ont toutes été chamboulées... Vous comprenez...

Candice posa sa main sur celle d’Emma qui la retira immédiatement. Elle ne savait pas pourquoi elle s’était ouverte à cette femme qui se trouvait face à elle. Peut-être parce qu’elle avait envie de se confier et qu’elle était là, devant elle. Elle avait besoin d’extérioriser cette histoire, de s’entendre la raconter elle-même pour pouvoir passer à autre chose.