image
image
image

Chapitre 12 — Montréal — Beauce

image

Emma était avec Gabriel quand son téléphone sonna. Elle n’aurait pas répondu avant de voir le numéro de sa jeune sœur Lizzie apparaître sur l’écran. Il n’était pas dans ses habitudes d’appeler aussi tard et, qui plus est, un soir de semaine. Lorsqu’elle prit l’appel, celle-ci lui expliqua que leur père avait eu un accident de VTT en forêt et qu’il avait été emmené à l’hôpital où il reposait dans un état critique.

Emma était en état de panique. Gabriel, qui ne pouvait pas quitter son travail, avait passé un coup de fil à Charlotte dans le but qu’elle vienne la retrouver. Il avait payé le taxi pour qu’il la ramène à bon port et, surtout, en un seul morceau chez elle. Il était trop tard pour qu’elle parte directement dans son village natal pour rejoindre son père. Gabriel aurait voulu l’aider davantage et il aurait préféré la conduire là-bas pour lui éviter tous ces problèmes.

— Qui appelles-tu ? je dois y aller cette nuit, dit Emma.

— Je vais contacter Candice, je pense que nous avons la voiture de l’agence qui pourrait...

— Candice ? Tu crois être capable de la joindre à cette heure-là ? Sans passer par son assistante ?

Charlotte voyait sa meilleure amie pour la première fois de sa vie en état de profonde panique. Elle composa le numéro de téléphone de sa patronne, qu’elle avait pour les cas d’urgence, et elle savait que, cette fois-ci, c’était ce genre de circonstance. Après trois sonneries, elle entendit la voix de Candice qui était légèrement fatiguée.

— Charlotte ? Qu’est-ce qui arrive ?

— Bonsoir, Candice, je sais qu’il est tard... je m’en excuse sincèrement. Est-ce que la voiture de l’agence serait disponible ce soir ? Si je passe la chercher ?

Candice soupira et inspira profondément. Qu’est-ce que c’était que cette histoire de vouloir la voiture de l’agence et à cette heure-là ? Elle n’avait pas d’amis qui avaient de voiture ?

— Pourquoi ? Nous ne l’utilisons que pour la promotion...

— C’est un cas urgent, Candice. Le père d’Emma a eu un accident et il est dans un état critique à l’hôpital. Je ne connais personne, vite comme ça, qui voudrait faire plus de trois heures de route pour descendre dans un village inconnu...

Candice se sentit interpellée lorsqu’elle entendit le nom d’Emma.

— My God ! murmura-t-elle doucement.

— Tu comprends l’urgence, maintenant ? Elle peut attendre demain matin et prendre le bus, mais nous ne savons pas dans quel état est son père. Pardonne-moi de te déranger avec ça, Candice...

La femme d’affaires garda le silence quelques minutes. Charlotte l’entendit jouer avec des feuilles de papier. Elle semblait vérifier quelque chose.

— Laisse-moi m’habiller et je vais conduire Emma. Je n’ai pas de rendez-vous demain. Je vais prendre ma propre voiture. Toi, demain, tu as des rendez-vous assez importants. Alors, je crois que c’est préférable que tu restes à Montréal. Tu pourras y aller plus tard pour soutenir ton amie. Est-ce que c’est bon ? demanda Candice.

Charlotte resta bouche-bée. Elle ne s’était jamais imaginé que sa patronne aurait offert de conduire Emma elle-même. Il fallait qu’elle ait apprécié grandement son amie pour faire preuve d’une telle générosité envers elle. Il est certain que la jeune femme aurait préféré assister sa meilleure amie dans cette épreuve, mais Candice avait raison. Il était préférable que ce ne soit pas elle, elle avait de gros clients à rencontrer et d’importantes entrevues qui ne pouvaient pas être remises.

— Oui, Candice, nous allons t’attendre, répondit Charlotte avant de raccrocher, après lui avoir donné l’adresse d’Emma.

— Je ne veux pas la voir ici, dit soudainement Emma après que Charlotte lui ait expliqué.

— Pourquoi ? Elle va t’emmener à bon port...

— Elle m’effraie cette femme... C’est impensable d’imaginer que je puisse passer trois heures et demie avec elle dans une voiture à parler de la pluie et du beau temps... Hors de question. Rappelle-la et dis-lui qu’on va s’arranger autrement...

Emma avait peur qu’elle ait bu.

— Pourquoi Emma ? Explique-moi. Candice Rose s’est offerte personnellement pour te conduire auprès de ton père qui se trouve dans un état critique. Ce n’est pas rien...

— Je ne veux pas que ce soit elle, c’est tout. Je n’ai pas non plus à justifier mes décisions !

— Il est hors de question que nous ayons une dispute à cause de Candice Rose. Elle s’en vient. Fin de la discussion. Je ne sais pas ce qu’elle t’a dit ou fait, mais règle ça au plus vite.

Emma ne répondit rien et s’enferma dans un mutisme qui déconcerta Charlotte. Elle ne comprenait pas ce qui était en train de se produire. Il faudrait qu’elle crève l’abcès. La situation n’était pas du tout résolue et elle se doutait que ça avait un lien avec le New Jersey. Qu’est-ce qui s’était passé entre elles pour que l’une veuille devenir proche et que l’autre souhaite s’éloigner ? Même si elle était consciente que cela leur appartenait, la curiosité était un de ses travers. Elle avait besoin de l’alimenter.

Les deux jeunes femmes préparèrent la valise d’Emma pendant qu’elles attendirent l’arrivée de Candice. Emma gardait le silence, tandis que Charlotte chantait une vieille chanson de Frank Sinatra pour détendre l’atmosphère.

— Tu vas venir nourrir Barney ? demanda doucement Emma après un moment.

— Oui, je vais m’occuper de ton amoureux. Il ne manquera pas d’attention avec moi, répondit Charlotte en lui faisant un clin d’œil.

— Merci Charlotte. Merci d’être présente dans ma vie. Je ne te le dis jamais assez.

— C’est ça, l’amitié, Emma. Tu comptes beaucoup pour moi. Je ne suis peut-être pas fidèle aux hommes, mais en amitié, je le suis doublement.

Emma, qui était plutôt froide habituellement, attira son amie vers elle et l’enlaça très fort contre elle. Elle voulait lui signifier par un geste, l’importance qu’elle avait dans son cœur. Dans sa vie.

— Je suis désolée pour ma réaction envers Candice. Je suis consciente que c’est la meilleure solution pour aller rejoindre mon père le plus rapidement possible. Excuse-moi...

— Ça va. Un jour, par contre, tu devras m’expliquer ce qui ne va pas avec elle. Tu sais, je ne suis pas idiote, j’ai remarqué qu’elle veut vraiment être ton amie ou du moins que tu fasses partie de sa vie. Je ne l’ai jamais vue se fendre en quatre autant pour quelqu’un.

— Un jour, oui, mais pas maintenant.

Emma regarda l’heure. Elle transmit un message texte à Gabriel pour le remercier de ce qu’il avait fait pour elle. Elle en envoya un autre à Ian pour lui dire qu’elle partait pour un temps indéterminé dans son village natal. Elle se dit qu’il finirait peut-être par retourner à New York et que ça rendrait la situation plus facile et moins troublée. Elle rangea son téléphone dans son sac à main et posa ses affaires près de l’entrée pour être prête à partir. Candice frappa à la porte assez fortement pour faire sursauter les deux filles. Charlotte alla ouvrir et sourit en voyant la femme qui était là, presque aussi fraîche qu’une rose.

— Merci, Candice, c’est vraiment généreux de ta part. Je ne trouve pas les mots pour te remercier... dit Charlotte en serrant la main de sa patronne.

— Merci, Candice, prononça faiblement Emma en évitant de la regarder.

— Il est tard, il faudrait peut-être partir tout de suite, sans plus attendre, répondit Candice.

Charlotte attrapa le bagage d’Emma et elles prirent toutes les trois la direction de la voiture de Candice après s’être assurées que tout était bien fermé à clef. Emma tendit une clef à Charlotte pour qu’elle puisse venir s’occuper de son chat le temps qu’elle serait à l’extérieur, ne sachant pas combien de jours ce serait. Charlotte serra très fort sa meilleure amie dans ses bras. Tentant par la même occasion de lui insuffler un peu d’énergie et de puissance pour les moments difficiles qu’elle vivait en ce moment.

Emma monta dans le 4 X 4 noir de Candice. Le plus récent modèle. La voiture avait même une odeur de neuf, lui rappelant étrangement un souvenir de sa mère et de son père à un moment charnière de leur relation. Elle chassa à toute vitesse cette idée et la précarité de la santé de son père remonta rapidement à son esprit. Elle reçut un message de Ian lui demandant où se trouvait son village, lui déclarant qu’il s’arrangerait pour venir la soutenir dans cette épreuve. Elle n’avait pas envie de lui répondre immédiatement. Elle jeta son appareil dans le fond de son sac à main et appuya sa tête sur son bras qui était accoudé sur le rebord de la fenêtre de la voiture. La radio était en marche. La musique n’était pas très forte et une vieille chanson d’un groupe autrefois populaire y jouait.

— Comment ça va, Emma ? demanda Candice pour briser le silence entre elles.

Elles n’étaient pas encore sorties de l’île pour prendre la direction de l’Autoroute 20.

— Comme une fille dont le père est dans un état critique à l’hôpital, répondit Emma d’un ton neutre.

Candice s’aperçut que sa question n’avait pas été la meilleure de toutes celles qu’elle avait pu poser dans sa vie. Elle tenta de rectifier le tir.

— Tu as une belle relation avec ton père ?

Emma se rendit compte qu’avoir un comportement comme le sien n’était pas des plus gentils. Même si elle ne connaissait pas les motivations de Candice à vouloir impérativement être son amie, elle s’était tout de même offerte pour l’accompagner, pendant la nuit, jusqu’à son lieu de naissance pour retrouver son père. Elle pourrait quand même faire un effort et être sympathique avec elle.

— Mon père ne parle pas beaucoup. Lorsque je l’appelle pour lui donner de mes nouvelles, il écoute plus qu’il ne me raconte sa propre vie. Il m’encourage comme il le peut et il est parfois un peu maladroit dans sa manière de le faire. Mais c’est un homme extraordinaire. Il est travaillant, il est fort et il s’est toujours battu pour nous donner le meilleur à moi, ma sœur et mon frère. Il a pris les bouchées doubles pour que je puisse aller à l’université. Nous avons une belle relation, oui. Il arrive parfois qu’on se querelle, souvent pour des futilités, mais je sais qu’il est fier de moi et de ce que je fais de ma vie. Il ne m’a jamais jugée et il m’a toujours acceptée comme j’étais. Ça n’a pas de prix. Et tu as une belle relation avec ton propre père ?

Candice ne s’attendait pas à se faire poser la question.

— Non. Je n’ai plus de nouvelles de lui depuis près de quinze ans, répondit-elle après un moment.

— Pourquoi ?

— Quand j’ai quitté l’Angleterre, sur un coup de tête, c’est parce que je voulais fuir ma famille. À cette époque, j’avais l’impression qu’elle était un frein à mon épanouissement. Mon père a toujours été très strict et autoritaire avec nous. Il nous obligeait à beaucoup de choses. Et j’étais sa plus grande déception. Il aurait préféré que je sois un garçon. Pendant longtemps d’ailleurs, j’ai tenté de recevoir son approbation. Je me suis battue pour obtenir ce que j’ai aujourd’hui, simplement pour lui montrer que j’étais capable d’être quelqu’un. Mais je n’ai jamais reçu cette approbation que j’espérais tant. Alors, j’ai fini par couper les ponts avec lui. J’ai préféré me choisir et accomplir mes projets pour moi et non pour lui, avoua Candice.

Emma fut touchée par ses confidences qui étaient venues naturellement. Elle était à jeun et n’avait pas absorbé d’alcool. Cette confession expliquait beaucoup la violence de la souffrance qu’elle noyait dans la boisson.

— C’est bien que tu te sois choisie. À un moment donné, c’est la seule option pour ne pas virer folle.

— Tu sais ce qui est le plus drôle là-dedans ? C’est que je lui ressemble beaucoup. Je suis caractérielle, j’ai une légère tendance à vouloir dominer et à souhaiter tout contrôler. Je ne suis pas aussi difficile que lui, enfin, je pense.

Candice avait exprimé pour la première fois à quelqu’un qu’elle n’avait pas payé ce qu’elle avait au fond de son cœur, et elle se sentait extrêmement bien avec cela. Elle avait l’impression que la jeune femme venait de débloquer une émotion en elle.

— Déjà le fait de se rendre compte de ce qu’on porte est comme un pas immense en avant. Certains disent que le changement commence en nous. Il est futile de vouloir transformer les gens qui nous entourent, car l’ajustement se trouve en soi et c’est à nous d’évoluer pour observer le reste bouger et devenir meilleur. J’y crois fortement, confia à son tour Emma.

Elle s’était adoucie face à elle. Candice était plus profonde que ce qu’elle laissait entrevoir. Elle portait en elle des blessures intenses, d’un abandon et d’un mal-être. Les mêmes blessures qu’Emma avait en son sein, celles du rejet de sa mère. Une souffrance qui était toujours bien présente, même si elle tentait de la guérir, jour après jour. Elle n’avait pas encore pardonné à cette mère absente. Cette femme qui avait préféré fuir plutôt que de rester auprès de ses enfants et de les aimer.

— As-tu revu ta mère depuis qu’elle est partie quand tu étais toute petite ? demanda Candice.

— Tu te souviens... murmura Emma en posant son regard stupéfait sur Candice qui conduisait.

— Je me souviens quand même de quelques bribes de notre conversation ce soir-là, répondit-elle avant d’éclater de rire.

Il commençait à pleuvoir. Candice activa les essuie-glaces. La nuit était sombre et brumeuse. Les lumières ne parvenaient pas à éclairer bien loin dans cette pénombre. Une voiture de police avec les gyrophares allumés les dépassa à toute allure, prenant par surprise les deux femmes qui ne l’avaient pas vue arriver dans le rétroviseur.

Emma garda le silence pendant un moment. Elle choisissait ses mots avant de parler, car il était rare que le thème soit axé sur sa mère. Candice se mit à douter du bien-fondé de sa question et allait changer de sujet lorsqu’Emma prit finalement la parole.

— Je n’ai jamais revu ma mère depuis le soir où elle nous a bordés, chacun à notre tour. Elle a laissé une note sur la table de la cuisine, au dos d’une publicité d’un magasin de vêtements d’un village voisin. Sa note était courte et ne laissait place à aucune interprétation. « Vous n’êtes pas la vie dont j’avais rêvé. Vous méritez mieux que ça et moi aussi ». Aucun je t’aime. Aucune tendresse.

La voix d’Emma se mit à trembler. C’était la première fois qu’elle parlait de cet abandon de la part d’une mère qui avait comme devoir de les chérir et de les protéger. Elle avait huit ans. Une plaie encore bien ouverte qui n’arrivait pas à se cicatriser. Candice l’écoutait, sans dire un mot. Respectant ses silences et les moments qu’elle prenait avant de continuer son récit.

Toutes les deux se rejoignaient dans leur histoire respective et leurs blessures. D’une certaine façon, elles avaient vécu un rejet intolérable provenant d’une personne qui était responsable de leur vie. Emma poursuivit son récit.

— Je ne me souviens presque plus de son visage. Mon père a tout jeté ce qui pouvait rappeler ma mère. Je suis arrivée un soir, après l’école, et il n’y avait plus aucune trace d’elle dans la maison. Comme si elle n’avait jamais existé. Les gens me disent souvent que je lui ressemble. Je ne sais pas si c’est une bonne chose de faire penser à un fantôme.

— Tu ne l’as jamais revue ? demanda soudainement Candice.

— Non. Jamais. J’ai fait des recherches, il y a quelques années, mais je n’ai trouvé aucune trace d’elle. C’est vraiment comme si elle était disparue du jour au lendemain. Et même si tout est plus facile aujourd’hui avec les réseaux sociaux, je ne l’ai jamais repérée. Je me demande ce que ça donnerait de retrouver cette femme qui ne voulait pas de nous. Nous sommes une de ses erreurs de toute façon, répondit Emma en suivant une goutte d’eau avec son doigt qui glissait de l’autre côté de la vitre de la voiture.

Candice n’ajouta rien. Il n’y avait rien à ajouter de toute façon. Emma avait choisi de lâcher prise sur son passé et de regarder vers l’avant. Il ne fallait quand même pas oublier que ce passé remontait à la surface de temps à autre avec son lot de blessures.

— Nous nous ressemblons beaucoup, toi et moi, d’une certaine façon, dit Candice.

Emma tourna la tête vers elle et lui sourit. Elle avait raison. Elle comprenait maintenant le lien qu’il pouvait y avoir entre elles. Chaque personne porte en elle un vécu différent, mais qui se relie à celui des autres dans un sens.

— D’une certaine manière, oui, répondit Emma doucement.

Elle fouilla dans son sac pour trouver son téléphone. Il y avait une chance que sa sœur lui ait écrit ou l’ait appelée pour lui donner des nouvelles. Il y avait plusieurs messages, dont un seul de Lizzie qui disait que les médecins avaient l’intention d’opérer leur père, car il avait un œdème cérébral au cerveau, causé par l’accident. Emma tenta de garder son calme et envoya un message texte à Gabriel qui, étant médecin, saurait certainement la rassurer. Son téléphone sonna presque aussitôt. Elle avait oublié qu’il travaillait de nuit, alors, il était possible pour lui de la contacter.

— Êtes-vous rendues bien loin ? demanda Gabriel après qu’Emma lui ait répondu.

— Un peu plus qu’à mi-chemin. Il n’y a pas beaucoup de circulation à cette heure de la nuit, répliqua-t-elle en souriant.

La voix de Gabriel l’apaisait. C’était un homme qui dégageait une telle délicatesse qu’il était difficile de ne pas se laisser transpercer par sa douceur.

— Tu me permets d’appeler à l’endroit où ton père est hospitalisé et de parler avec le responsable ? Je pourrai probablement mieux répondre à ta question si je suis au courant de son dossier. C’est évident que c’est possiblement dangereux d’avoir un œdème cérébral, surtout s’il n’est pas soigné à temps.

— Je te donne l’autorisation, Gabriel. Je te fais confiance.

— Écris-moi quand tu seras arrivée. Je veux être certain que tu sois rendue en un seul morceau.

— Promis. Merci pour tout.

Emma raccrocha.

— C’est le type de l’autre jour au restaurant ? demanda curieusement Candice.

— Oui, c’est pratique de l’avoir rencontré, il est médecin, blagua Emma.

Elle n’était pas le genre de personne qui profitait du statut des gens pour être en leur compagnie et Candice en était grandement consciente. Elle avait facilement reconnu le côté humble et authentique de la jeune femme.

— J’ai un frère qui est médecin en Angleterre. Il a travaillé dur pour payer ses études, car mes parents n’avaient pas un rond. Je ne le vois que très rarement, nous avons des horaires chargés, comme tu peux l’imaginer.

— Au moins, vous trouvez le moyen de vous rencontrer. Ça, c’est bien. Aujourd’hui, tout va si vite qu’il est facile de se perdre. Et avec les réseaux sociaux, nous sommes en contact avec tout le monde, tout le temps. Difficile de ne pas avoir des nouvelles de telle ou telle personne.

Emma lut avec attention le message de Ian qui lui demandait de nouveau l’endroit où son père se trouvait. Elle lui répondit en lui donnant le nom de l’hôpital. Avec Ian, Emma ressentait que son magnétisme n’avait d’effet sur elle qu’au moment où ils étaient ensemble. Quelque chose avec lui n’accrochait pas totalement, même si elle le sentait honnête et authentique avec elle.

— Alors, c’est du sérieux avec ce Gabriel ? demanda Candice.

— Non. Je suis un peu prise entre deux hommes en ce moment et je n’arrive pas à choisir vraiment. L’un d’eux a une avance sur l’autre, mais quand je suis en présence de l’autre... j’oublie presque le premier. C’est comme s’ils se complétaient pour former un seul homme qui serait parfait.

— Je ne te conseille pas de jouer sur deux tableaux en même temps. Ça ne se termine jamais bien ces histoires-là. Fais un choix et fais-le rapidement pour éviter de perdre des plumes et de blesser autrui.

Emma savait qu’elle devait faire un choix. Elle ne les connaissait pas encore assez tous les deux pour que son choix soit éclairé.

— Gabriel est un cartésien, un scientifique, mais quand je suis avec lui, c’est une âme qui est belle et sincère. Je suis bien avec lui. Je me retrouve en lui. Ian est un artiste. Il sait jouer et danser avec les mots. Il me dit ce que j’ai besoin d’entendre comme s’il parlait à mon cœur. Il vient chercher une partie de moi qui est plus cachée, moins à l’avant-plan. C’est celui que j’attendais le soir que nous avons passé ensemble au bar. Il a un aspect mauvais garçon qui m’attire énormément. Ian arrive à me faire croire à l’impossible... Son côté bohème est difficile à accepter pour moi.

— Il est rarement envisageable d’apprivoiser un animal sauvage. Tu as lu le Petit Prince ? demanda Candice. Puis, elle poursuivit : c’est certain que tu as dû le lire. J’ai pensé au passage avec le renard : « C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. ».

— Oui. « On ne voit bien qu’avec les yeux du cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » Il faut que je m’arrête et que je prenne le temps de regarder avec mon cœur ce qu’il veut vraiment. Ou qui il désire réellement.