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Gabriel était secoué par les révélations d’Alyssa. Il était troublé, mais pas pour les raisons qu’il aurait crues. Il n’avait pas pu imaginer qu’elle pouvait l’aimer encore. Après toute la souffrance qu’elle lui avait causée, elle éprouvait toujours de l’amour pour lui. Pourquoi étaient-ce les gens qui nous affectionnaient le plus qui pouvaient nous faire le plus de mal ? En le revoyant, Alyssa lui avait avoué que les souvenirs de leur défunt couple étaient remontés en elle. Tous les petits bonheurs qu’ils avaient partagés, car ils en avaient eu, s’étaient manifestés en elle. Gabriel n’avait pas l’intention de lui donner une nouvelle chance, s’imaginant qu’elle avait simplement eu un coup de nostalgie. Les problèmes n’avaient pas été réglés entre eux et ils risquaient plutôt de répéter les mêmes erreurs. Si Alyssa avait fui une fois, elle le referait une autre fois.
Il devait également s’avouer qu’il n’avait pas encore digéré l’affront qu’elle lui avait fait en partant avec son meilleur ami. Il était plus enclin à parler avec elle d’un possible divorce que de tenter de recoller les morceaux. Il ne doutait pas de ses sentiments envers lui, mais il savait aussi que son ancien meilleur ami, Bastien Delorme, était toujours dans le décor et que c’était un risque de récidive pour elle.
Et il y avait un nouveau joueur dans la vie de Gabriel. C’était Emma, celle qui lui avait redonné espoir en l’amour. Si revoir Alyssa lui avait donné le vertige, il n’envisageait pas de retourner avec elle. C’était même impensable qu’ils puissent s’aimer comme ils s’étaient déjà aimés. Le feu entre eux s’était consumé et n’avait laissé que des cendres. Des résidus d’une passion qui s’était éteinte et qui n’avait répandu que des traces indélébiles sur leurs âmes. Des stigmates qui leur avaient appris à ne pas répéter certaines erreurs.
Gabriel sourit lorsque son chanteur de ballade préféré se mit à entonner sa chanson favorite. Il augmenta le volume et se mit à chanter par-dessus la musique et la voix qui retentissait partout dans la voiture. Il remarqua que son réservoir à essence était presque vide, il prit la première sortie d’autoroute pour aller se ravitailler, puis il se rappela qu’il n’avait pas mangé depuis déjà un moment et que son estomac faisait de drôles de gargouillis. Il en profiterait pour s’acheter une collation et une bouteille d’eau. Peut-être même une barre chocolatée.
***
L’intervention de Billy Tyler s’était bien déroulée. Ils avaient réussi à prévenir tout dommage causé par l’œdème qui se trouvait dans sa tête. Candice et Ian étaient restés avec Emma tout le long de l’opération. Rassurant la jeune femme, répondant même à chacun de ses désirs. Elle était intimidée par tant d’attention sur elle. Toute son existence, elle avait évité de tisser des liens trop intimes avec les gens pour s’empêcher de souffrir. Elle ne pouvait pas supporter de les regarder partir loin d’elle après un certain temps. Les blessures qu’elle portait étaient bien plus profondes qu’elle ne se l’était avoué et elle avait tenté toute sa vie de les refouler au plus profond de son être plutôt que d’y faire face, comme la majorité des gens qui refusent de voir la vérité de plein front.
Elle aimait de plus en plus la compagnie de Ian. Il réussissait à la faire rire. Pendant le souper qu’ils avaient partagé à la cafétéria de l’hôpital, il avait utilisé ses morceaux de carotte et de céleri pour faire un spectacle de marionnette, changeant sa voix et ses expressions et prononçant des dialogues superflus qui firent rire Emma jusqu’aux larmes. C’est à ce moment-là que Ian avait penché la tête et l’avait embrassée sur les lèvres, puis lui avait déclaré qu’elle était extraordinairement belle lorsqu’elle riait.
Emma avait été séduite et elle avait répondu à son baiser. Elle avait apprécié cet échange et s’était même sentie charmée. Il n’y avait pas à dire, les deux hommes qu’elle appréciait étaient complètement différents, mais chacun avait quelque chose d’unique qui attirait son attention à sa manière.
Emma n’avait pas eu de nouvelles de Gabriel depuis un bon moment déjà. Il ne s’était pas informé auprès d’elle du succès de l’opération. Son silence l’agaçait. Même si elle passait un agréable instant avec Ian, ses pensées se tournaient toujours vers lui après une certaine période. C’était ainsi qu’allait la vie. Chaque fois qu’elle songeait à lui, son regard changeait pour devenir plus inquiet. Ian supposait alors qu’elle pensait à son père et ne pouvait jamais imaginer que c’était à son rival. À cet homme qui avait marqué des buts auprès d’elle au New Jersey, tandis que lui avait complètement échoué.
Lizzie, Tommy et Emma avaient établi des heures de surveillance aux côtés de leur père pour éviter qu’il soit seul lorsqu’il allait ouvrir les yeux. Les trois enfants de l’homme avaient toujours été quand même assez proches l’un de l’autre malgré la distance que leur vie d’adulte leur imposait. C’était maintenant l’heure de garde d’Emma. Billy Tyler avait été installé dans une chambre à deux lits. Elle avait mis une chaise près de son lit et lui avait apporté un livre qu’elle lisait.
Ian patientait dans la salle d’attente, faisant des croquis dans son carnet de notes. Il était inlassable et il attendrait Emma ici. Il était plus à l’aise d’être parmi ces étrangers que dans la maison familiale avec Candice Rose. Cette femme ne lui inspirait pas du tout confiance et il avait cette peur ridicule qu’elle puisse lire en lui. Il imaginait l’idée saugrenue, mais le regard qu’elle possédait semblait le transpercer à chaque fois. Il trouvait que, malgré les années qui s’étaient écoulées pour elle, elle avait gardé une agréable prestance et une beauté qui était remarquable. Son défi était de rester le plus loin possible d’elle.
Tandis qu’il patientait, son téléphone vibra. C’était encore Lilly qui l’appelait. Il préféra ignorer l’appel et fermer son téléphone complètement. Il n’avait pas envie de parler avec elle. Ian voulait mentir le moins souvent, car, s’il avait cette facilité à le faire, il ne le faisait pas de bon cœur. Il était de plus un grand sensible. Il faisait des choix qui étaient égoïstes. Il en avait conscience.
Ian se mit à observer une femme qui tenait une petite fille contre elle. La gamine semblait être la sienne. Elle était couchée de façon à ce que la première partie du corps soit sur sa mère et l’autre sur le banc à côté. L’enfant avait le visage rougi et visiblement aussi fatigué que les traits qu’affichait sa mère. Il changea la feuille de son calepin et se mit à dessiner la séquence qu’il avait devant les yeux. Ian était capable de tracer à la mine des scènes qui étaient très ressemblantes. Lilly l’avait d’ailleurs encouragé à faire des portraits de personnes en échange de rémunération, mais il avait refusé l’idée. Pour lui, son art devait venir de son inspiration à lui et, si le sujet ne l’intéressait pas, il ne le faisait pas.
Dessiner lui permettait de parcourir le monde et de s’évader aussi loin que son imagination pouvait l’emmener. Et elle n’avait aucune limite. Il se mit à penser à son père, Jacob, tandis que son croquis prenait forme. Il ne l’avait jamais encouragé dans son talent et avait constamment dénigré ce qu’il faisait. Il avait eu de plus grands rêves pour lui et lui avait fait clairement comprendre qu’il était déçu de son cheminement.
La veille de son décès, ils s’étaient querellés. Son père lui avait jeté au visage qu’il était un bon à rien et qu’il n’accomplirait jamais rien de bien dans sa vie. Ces paroles blessantes avaient été les dernières qu’il lui avait dites. Ian avait été perturbé pendant un long moment, choqué par ces ultimes moments vécus avec lui. Il avait aussi supposé qu’il était responsable de sa mort. De son choix. Puis, les semaines avaient passé, les années, et il avait recommencé à croire en lui, même s’il restait toujours dans un coin de son âme une empreinte de cet événement.
Ian n’avait jamais eu une relation harmonieuse avec son père qui ne semblait pas comprendre la sensibilité de son fils, ni même remarquer les efforts qu’il avait pu faire dans le passé pour le satisfaire, sacrifiant son propre bonheur. Tout ce qu’il lisait en lui, c’était cette personnalité un peu bohème qui le dérangeait. Il avait pris conscience que son père avait dû porter en lui une grande souffrance et c’était cette douleur qui avait dicté ses décisions. Il avait choisi de mettre fin à sa vie en croyant que sa détresse partirait, mais il avait sélectionné une solution drastique pour quelque chose qu’il aurait pu surmonter avec de l’aide et du temps.
Pendant longtemps, Ian avait rejoué dans sa tête cette querelle. Il avait inventé toutes les plus belles choses qu’ils auraient pu connaître ensemble. Il était faux d’imaginer qu’il était possible de refaire le passé. Il n’aurait jamais plus la chance de revoir son père et de régler ce différend. Cette expérience avait permis à Ian de comprendre la priorité de la vie. Il ne savait pas si demain allait exister. Et c’est pour cette raison qu’il vivait au jour le jour, tel un bohémien. Il avait appris à dire ce qui était important aux bonnes personnes. Il essayait de ne pas blesser les gens qui croisaient sa route. Systématiquement des compliments, jamais de critiques, ou du moins, rien qui ne pouvait pas aider la personne à s’améliorer. Toujours utiliser les bons mots et les paroles justes pour que la personne qui les accueille se sente bien et non jugée. Quelqu’un lui avait transmis que chacun avait sa propre perception, et que nous ne sommes pas responsables de la manière dont l’autre reçoit ce que nous avons à lui dire. Mais, si nous n’en étions pas fautifs, nous étions quand même responsables de ce qui sortait de notre bouche. Il trouvait que c’était un peu se déresponsabiliser que de croire que tout pouvait être dit, sans filtre.
Ian regarda l’horloge accrochée sur le mur près de la télévision. La soirée était bien entamée. Il admira ensuite son dessin qu’il trouva vraiment de son goût. Il déchira doucement le papier pour ne pas abîmer le dessin et se leva pour aller offrir humblement son art à la femme qui était toujours assise avec son enfant.
***
Gabriel consulta son GPS et il fut content de constater qu’il se rapprochait de sa destination chaque minute. Il était excité et heureux de pouvoir retrouver Emma et d’être présent pour elle, cette fois-ci. Il avait espéré lui faire une surprise. Si les mots n’étaient pas complices de sa vie, il avait à cœur de démontrer ses sentiments à travers les gestes qu’il accomplissait.
Il avait hâte de revoir la jeune femme. La rencontre qu’il avait eue avec Alyssa lui avait confirmé qu’il était maintenant prêt à être amoureux d’une autre femme et celle que son cœur avait choisie s’appelait Emma. Arriverait-il à le lui confier ? Revoir Alyssa lui avait permis de faire une introspection face aux relations qu’il avait pu entretenir avec les femmes. Il comprenait maintenant que son attitude réservée, mais surtout renfermée pourrait avoir un impact sur celles-ci. Il savait qu’il devrait faire des efforts pour garder l’intérêt des femmes qu’il fréquentait.
Il connaissait Emma depuis si peu de temps, mais il avait l’impression qu’elle avait toujours fait partie de sa vie depuis le moment où ils s’étaient croisés dans cet ascenseur. Gabriel l’avait immédiatement remarquée. Même si son attention avait été attirée par Charlotte dans un premier temps, son regard s’était rapidement porté sur la jeune femme qui l’accompagnait. Une étincelle en lui avait réussi à allumer un immense feu. Il avait été incendié sur place, incapable de détourner ses yeux d’elle, même quand, le soir au bar, Charlotte et lui avaient futilement flirté. Il n’était pas ésotérique et pourtant il avait eu l’impression qu’elle lui avait jeté un sort.
Et lorsqu’ils s’étaient donnés l’un à l’autre le lendemain, il avait eu la sensation que c’était une suite logique, que c’était écrit dans l’ordre des choses. Gabriel était cartésien. Il était rationnel et ne se laissait jamais distraire par ses sentiments. Pourtant, Emma avait réussi à le détourner de cette ligne de conduite qu’il s’était fixée. Il s’en voulait d’être faible devant les charmes d’une femme, mais il comprenait aussi que ce n’était pas pour rien que tout cela arrivait. Il se devait de suivre ce que son cœur lui dictait de faire, lui qui n’avait jamais écouté que sa tête, malgré une certaine sensibilité.
Il voyait cette rencontre comme un signe du destin pour ne pas perpétrer les mêmes erreurs qu’il avait pu commettre avec Alyssa. Il avait négligé leur relation à cause de son travail. Jamais Gabriel n’excusait l’infidélité de sa femme en prenant le blâme à sa place. Il était simplement conscient que lui et Alyssa avaient chacun une part de responsabilité dans ce qui était arrivé. Ils avaient traversé simultanément une histoire d’amour qui avait été forte, mais dont les bases n’avaient pas été toujours très fiables. Au lieu de réparer les failles, ils les avaient laissées s’agrandir, ce qui avait peu à peu détruit ce qu’il y avait entre eux.
Gabriel était témoin, jour après jour, dans son travail, de couples qui choisissaient de vivre leurs difficultés ensemble et qui semblaient s’être solidifiés dans l’adversité. Il avait tellement aspiré à ce que l’un de ces couples ait pu être celui qu’il formait avec Alyssa à une certaine époque. Malgré sa trahison et la douleur ressentie lorsqu’elle l’avait quitté, il était resté un long moment à désirer qu’elle revienne vers lui. Et maintenant qu’il n’espérait plus rien et qu’il n’en avait plus envie, Alyssa avait fait un pas en sa direction.
Il l’aurait probablement reprise à ce moment-là. Sans aucun respect pour qui il était ou pour l’amour, qu’il ne comprenait peut-être pas assez à cette époque-là. Aujourd’hui, il avait conscience que cette émotion était un échange entre deux personnes, bien plus grand que le simple fait de partager leur vie. Il fallait le dire ou le prouver. Gabriel pensait bêtement à ce moment que lui prononcer les trois mots magiques était nécessaire. Ils auraient peut-être pu régler leurs différends par la discussion, mais le gouffre qui s’était creusé avait laissé des traces qui ne pouvaient pas être réparées, et leurs sentiments s’étaient volatilisés. Il n’y avait plus qu’une affection fraternelle entre eux, sans que la passion ne puisse être au rendez-vous comme elle l’avait été à un moment donné dans leur passé.
Gabriel leva la tête et aperçut la pancarte qui signifiait qu’il était arrivé dans la ville de Saint-Georges. Il suivit les indications qui le conduisaient vers l’hôpital. Il était de plus en plus fébrile et il avait hâte de se retrouver devant Emma. Il ne prit pas la peine de localiser son hôtel et d’aller y porter ses bagages, cela attendrait. Il lui fallait rejoindre celle qui avait conquis son cœur. C’était nécessaire en ce moment. C’était la seule chose qui comptait. Il dénicha un stationnement qui était à proximité de l’entrée principale. Il avait téléphoné en matinée pour savoir dans quelle section de l’hôpital se trouvait le père d’Emma. Il s’y rendrait tout de suite.
Gabriel marchait d’un pas lourd et pressé. Il poussa l’une des entrées principales, saluant au passage un bénévole près des portes par un signe de la tête. Il prit l’ascenseur et monta directement à l’étage que son confrère lui avait indiqué. Il se rendit vers la salle d’attente et c’est à ce moment-là qu’il aperçut Ian, assis sur l’une des chaises, fixant son téléphone dans sa main. L’apercevoir dans cette salle d’attente coupa son élan pour aller retrouver Emma. Il espérait faire demi-tour, mais Ian le vit avant qu’il n’ait rebroussé chemin et le héla, comme on le fait avec un taxi. Gabriel s’arrêta de marcher et se retourna vers Ian qui s’était levé pour l’affronter.
— Nos routes ne se sont pas croisées très souvent, mais il aurait été légèrement étrange d’avoir oublié votre visage, dit calmement Ian.
Il ne tenta pas de lui serrer la main ou d’être courtois. C’était plus facile pour lui de rester antipathique.
— Je crois qu’il est un peu ridicule de faire semblant de ne pas nous connaître, consentit Gabriel en penchant la tête vers la gauche.
Tous les deux ignoraient exactement quels mots échanger. La situation était délicate, ne sachant pas au juste quel était le statut précis de chacun dans la vie d’Emma. La principale intéressée ne paraissait même pas être consciente de cette guerre silencieuse qui se déroulait entre eux. Elle-même étant en conflit intérieur.
— Ce n’était pas nécessaire de venir jusqu’ici. Tu peux retourner dans ta ville, prononça doucement, mais fermement Ian.
Il fit quelques pas vers Gabriel, plongeant son regard glacial dans celui du médecin.
— Je crois que c’est à Emma de le décider, répondit calmement Gabriel.
— Elle passe du temps avec son père. Si je peux lui éviter des soucis, je ne me gênerai pas du tout.
Gabriel ne désirait pas vivre un conflit avec Ian. Sa seule envie était de voir Emma et de s’assurer qu’elle allait bien.
— Je vais passer voir quelques anciens collègues et je reviendrai.
— Je lui dirai que tu es passé. Peut-être pas non plus. Je vais y penser.
Gabriel lui fit signe de la tête et se retira dans la direction par laquelle il était arrivé à peine plus tôt. Son seul souci était la paix de la jeune femme dans ce qu’elle vivait. S’il devait se sacrifier cette fois-ci, il le ferait pour elle. Il s’en voulait quand même un peu d’être parti plus tard et de ne pas avoir été à ses côtés lorsqu’elle était arrivée ici.
Ian était satisfait du départ de Gabriel. Leur échange s’était produit dans une ambiance qui n’avait été ni agressive ni violente. Il regarda autour de lui pour deviner si certaines personnes avaient pu assister à la courte scène et si ces gens auraient pu en parler à Emma. Ian avait conscience qu’ils étaient dans un endroit où tout le monde pouvait se connaître. C’était un peu plus ennuyant pour passer inaperçu. Il revint s’asseoir sur sa chaise. Emma était sur le point de réapparaître, car l’heure définie s’achevait. Tout ce qu’il souhaitait, c’était qu’elle le rejoigne avant le retour de Gabriel et qu’il puisse la ramener chez elle.
— Les médecins ne sont-ils pas censés avoir un horaire hyper chargé ? grommela-t-il en sortant son téléphone de la poche de son jean.
L’arrivée de Gabriel venait bousculer tous ses plans pour tenter de conquérir Emma. Ian ne s’avouait jamais vaincu, mais il dut consentir au fait que c’était difficile avec un concurrent aussi fort que le docteur Gabriel Jones dans les parages. Peut-être était-il en train de payer pour son manque d’honnêteté et de franchise envers Emma. Il n’était pas aussi parfait qu’il le laissait entrevoir.
— Nous pouvons partir.
Ian souleva la tête et observa Emma qui venait vers lui, les yeux bouffis, tenant un mouchoir de papier dans la main gauche, tandis que celle de droite était enfouie dans la poche avant de sa veste de laine grise. Il se leva et marcha vers elle. Il l’étreignit très fort contre lui. Elle se mit à pleurer bruyamment.
— Ça ne s’est pas bien passé ? demanda finalement le jeune homme.
Il la tenait encore contre lui, n’osant pas bouger. Entre deux hoquets, elle tenta de répondre.
— Oui. Très... bien...
— Qu’est-ce qui ne va pas, alors ?
Emma s’écarta d’Ian.
— Je suis si fatiguée... j’ai les émotions à fleur de peau...
Emma, instinctivement, retourna se blottir dans les bras de Ian. C’était le seul réconfort en ce moment qui lui faisait du bien. Elle était désabusée. Elle était même épuisée et le manque de sommeil commençait à jouer avec ses nerfs et avec ses sentiments. Regarder son père dans son lit d’hôpital, si faible et si dépendant des gens qui l’entouraient, l’avait secouée. Il n’était pas encore vraiment conscient de ce qui se passait autour de lui. Billy Tyler avait toujours été, à ses yeux, un homme comparable à Superman. Il était invincible. Il était éternel. Le voir si vulnérable lui avait donné un choc. Cela remettait les choses en perspective pour elle. Elle réalisait que son père n’était pas surhumain et qu’elle n’était pas à l’abri qu’il puisse mourir un jour. Emma avait tellement de la difficulté avec l’idée de perdre les gens qu’elle aime, cela avait été très longtemps une faiblesse pour elle. Depuis le départ de sa mère, elle s’était construit une carapace pour éviter de souffrir. Cette armure était en train de s’amincir et de disparaître de jour en jour.
— Je te ramène chez toi, Emma, murmura Ian à son oreille.
Elle ne bougea pas, demeurant blottie contre lui. Les yeux fermés, elle avait soif de ce moment de réconfort. Ian devinait le besoin de la jeune femme et il restait là, sans rien dire. Il profitait lui aussi de cet instant d’intimité qu’elle lui offrait. Son orgueil de mâle espérait que Gabriel arrive à ce moment pour qu’il comprenne qu’il était « game over ».
— Merci, Ian, d’être venu. Ta présence est un réel réconfort, chuchota Emma.
Elle s’écarta brusquement, mettant ainsi fin à l’étreinte. Ian plongea son regard dans le sien, fier. Pour une des rares fois de sa vie, il était heureux d’avoir fait la bonne chose.
— Emma, je suis ici parce que tu es une femme extraordinaire. Je le pense honnêtement.
Elle sourit, les larmes remontaient maintenant. Trop d’émotions dans cet instant qui se voulait plein de sincérité et de tendresse. Ian se pencha doucement vers elle et posa sa bouche contre la sienne. Emma répondit à son baiser avec la même douceur qu’il lui manifestait. Sans ressentir le désir de s’éloigner de lui ou de fuir. Plus rien autour n’avait la nécessité d’exister. Ce baiser qu’elle trouvait frémissant lui faisait oublier tout. Son corps s’était éveillé et elle avait envie de plus que des lèvres de Ian.
Après un moment, se remémorant l’endroit où ils étaient, Emma s’écarta de Ian en s’excusant de s’être laissée aller à ses ambitions et à ses besoins. Ian sourit et leva les yeux pour apercevoir Gabriel qui se trouvait à quelques mètres d’eux et qui semblait n’avoir rien perdu de la scène qui s’était passée. Ian, orgueilleux, fit un rictus fier et vindicatif au médecin avant de prendre la main d’Emma et de l’entraîner dans la direction opposée de Gabriel. Elle ne l’avait pas vu et il ne désirait pas qu’elle le remarque.