Gabriel déposa sa valise par terre près de la commode de sa chambre d’hôtel. Il était dans une colère contenue. À vrai dire, il n’osait pas exploser et ce n’était pas dans sa personnalité de se laisser éclater. Son irritabilité concernait la scène qu’il avait vue à l’hôpital. Emma et Ian qui s’embrassaient sous ses propres yeux. Il avait l’impression d’être trahi alors qu’il ne l’était pas. Tous les deux ne s’étaient jamais rien promis. Il avait même eu l’énorme idée de lui permettre de régler tout ça et de s’effacer. Il avait cru pendant une brève seconde qu’elle le choisirait.
Maintenant, Gabriel s’en voulait de ne pas s’être avancé pour interrompre l’instant qu’ils partageaient. Il aurait pu l’en empêcher. Il sortit son téléphone et il composa automatiquement le numéro d’Emma. Il attendit, mais tomba directement dans sa boîte vocale. Gabriel raccrocha avant le bip. Il traversa la chambre de long en large avant de refaire le même stratagème avec son téléphone. Cette fois-ci, il choisit de laisser un message à jeune femme.
— Emma, c’est Gabriel. Je désirais prendre des nouvelles de ton père. Je voulais aussi savoir comment tu allais. Rappelle-moi dès que tu le peux. Je t’embrasse.
Il raccrocha. Il n’ajouta rien. Il espérait que sa voix ne trahirait pas l’émotion qui le consumait. Cette fureur le rendait malade de jalousie. Gabriel ne se reconnaissait pas. Ce n’était pas lui et il n’aimait pas l’homme qu’il découvrait. Il comprenait que c’étaient ses blessures, à peine cicatrisées, qui le faisaient agir ainsi. Il fallait que ce soit ça.
Son téléphone sonna approximativement quelques minutes après qu’il ait laissé son message à Emma. Il répondit sans crainte, mais ses espoirs avaient disparu aussi vite qu’ils étaient nés.
— Que veux-tu, Alyssa ? demanda Gabriel en reconnaissant la voix de son ex-femme.
— Je souhaitais m’assurer que la route avait bien été et que tu étais en sécurité, réagit-elle, hésitante.
Gabriel soupira très fort. Il n’avait pas envie de lui parler.
— Je suis dans ma chambre. Je m’apprête à aller me coucher. Tout va bien.
Alyssa, qui connaissait Gabriel comme si elle l’avait tricoté, se rendit compte que quelque chose clochait. Il était hors de son habitude d’être impatient.
— Qu’est-ce qui se passe, Gabriel ?
Il rit tout bas. Il trouvait la situation ironique.
— Je suis venu ici pour rien.
— Où es-tu ?
Gabriel se rembrunit. Il ne parvenait pas à se confier à Alyssa. Il lui avait simplement déclaré qu’il avait un long trajet à faire sans pour autant lui dire dans quelle direction. Il n’arrivait à s’épancher avec personne en fait. Et maintenant qu’il faisait face à la situation, il la trouvait ridicule. Il avait parcouru plus de trois heures de route pour faire une surprise à une inconnue avec qui il avait eu des relations sexuelles durant un voyage professionnel.
— Je suis dans la région de la Beauce, répondit-il après un moment.
Il s’assit sur le bout de son lit après avoir enlevé sa cravate et détaché les trois premiers boutons de sa chemise. Il n’arrivait pas à croire le sens que sa vie avait pris dans les dernières semaines. Son obsession pour Emma était allée trop loin. Il ne contrôlait plus ses pensées et ses émotions.
— Que fais-tu là pour l’amour du bon Dieu ? réagit la jeune femme au bout du fil.
Alyssa ne comprenait pas ce qu’il pouvait faire dans cette région, alors qu’il n’y avait probablement jamais mis les pieds de toute sa vie.
— Une bêtise. Un délire que j’ai suivi sans analyser. J’ai cru en elle. Je me suis trompé. Juste ça.
Gabriel réfléchissait à voix haute et tant pis si son ex le prenait pour un fou.
— Qui ça, Gabriel ? Quelle femme ?
— J’ai rencontré quelqu’un. Je suis venue la retrouver ici pour la soutenir dans l’épreuve qu’elle vit. Je suis arrivé et je l’ai vue en train d’en embrasser un autre. Rien que ça. Il semble que ce soit l’histoire de ma vie d’être le deuxième choix, lâcha-t-il défaitiste.
Alyssa se sentit piquée au vif, mais n’ajouta rien. Elle savait que c’étaient sa colère et sa peine qui le faisaient parler ainsi. Elle se rappela le moment qu’ils avaient passé ensemble avant qu’il parte. Elle avait beaucoup d’affection pour lui et il lui avait fait réaliser qu’ils pouvaient rester amis, mais que l’amour s’en était allé. Son amourette et cette liaison passionnelle avec Paul, le meilleur ami de Gabriel, avaient été éphémères et, lorsque la routine s’était installée entre eux, ils s’étaient rapidement pris la tête. Elle avait regretté son choix, mais elle avait assumé.
Elle avait songé, un peu naïvement, que divorcer serait symbolique. Que cela permettrait de mettre une croix sur cette relation qui, bien qu’elle se soit terminée dans des circonstances difficiles, pourrait aller de l’avant dans une autre forme d’affection. C’était bien trop crédule.
— Elle t’a rejeté ? Tu lui as parlé ?
— Non. Je n’ai pas eu la force de la rejoindre. Je les ai regardé partir. Et il me souriait, cet abruti. Un grand sourire victorieux. Fier de son coup.
Gabriel avait serré le poing, prêt à frapper l’air pour se défouler. C’était peut-être son erreur. Il aurait probablement dû s’avancer et aller vers eux, mais il avait été tellement surpris d’assister à cette scène qu’il avait été incapable de faire quelque mouvement que ce soit.
— Tu connais l’autre type ? C’est quoi exactement cette histoire-là ?
Gabriel soupira de nouveau. Il décida de confier son histoire à Alyssa, car de toute façon, il ne savait plus quoi penser. Elle l’écoutait avec attention, ne l’interrompant qu’à quelques reprises pour connaître les détails qu’il avait négligés.
Il ne lui avoua pas que c’était la première fois de sa vie qu’il ressentait quelque chose d’aussi profond pour une femme rencontrée par hasard, alors qu’il était en déplacement. Il ressentit le besoin de rester pudique dans ses sentiments. De toute façon, Alyssa devenait sa confidente de fortune. Il n’oubliait pas le rôle qu’elle avait joué dans sa vie par le passé et il était conscient qu’il lui faisait une énorme fleur en la choisissant pour s’épancher.
— Va la voir demain matin, chez elle. Affirme-toi, Gabriel. Montre-lui qu’elle en vaut la peine.
Alyssa était touchée par son récit. Elle réalisait qu’il lui avait ouvert son cœur. Malgré ce pincement de l’entendre s’abandonner ainsi au sujet d’une autre femme, elle avait assez d’amour envers lui pour lui conseiller de suivre son cœur pour une fois. De se battre au moins jusqu’au bout pour éviter de la perdre. Il lui avait permis de voir en dessous de cette frêle coquille qu’il traînait depuis aussi loin qu’elle le connaissait. Et juste pour cette raison, elle aurait pu tomber amoureuse de lui une seconde fois. Ce qu’elle découvrait de cet homme était ce qu’elle avait attendu pendant trop longtemps qu’il lui livre.
— Elle me rejettera sans doute.
— Au moins, tu sauras et tu pourras passer à autre chose.
Alyssa avait raison. C’était probablement ce dont il avait besoin pour tourner la page et ajouter Emma Tyler dans la liste de ses souvenirs.
— Je suis fou. Tu trouves que je suis cinglé ?
— Bah ! tu sais, ce que je pense, c’est que tu aurais dû l’être aussi pour moi. Il n’y a pas de mal à être fou. Si cette femme en vaut la peine, fonce et ne te pose pas de questions. Tu mérites d’être heureux, Gabriel Jones, surtout après que cette idiote t’ait brisé le cœur.
Il éclata de rire en comprenant les dernières paroles de la jeune femme.
— Merci, Alyssa.
— Je t’aime, Gabriel. Et je t’aimerai toujours, même si nos chemins ont pris des directions différentes.
Il s’était calmé. Alyssa avait trouvé les mots qu’il avait besoin d’entendre. Il était maintenant prêt à aller à la maison familiale des Tyler pour rencontrer Emma. Il était gonflé à bloc. Prêt au combat et forcé d’avouer qu’il n’attendait que le moment où elle le choisirait, car c’était la suite logique des choses pour lui.
***
Ian posa ses clefs sur la table de la cuisine, près du téléphone d’Emma. Il aperçut une lumière qui clignotait et après s’être assuré qu’il n’y avait personne autour, il appuya sur le bouton pour ouvrir l’écran d’accueil. Gabriel Jones avait téléphoné deux fois. Ian effaça les deux appels entrants avant de refermer l’appareil et de le remettre sur la table. Il entendait Candice et Emma qui discutaient dans le salon. Il ne comprenait pas ce que la femme d’affaires faisait encore ici. Son malaise à être en sa présence ne s’était pas calmé, il s’était même accentué.
Ian leva les yeux et admira pendant un instant le grand piano brun qui se trouvait contre le mur de la salle à manger. Il l’avait remarqué dès le premier jour, mais il était trop timide pour s’avancer et y jouer quelques notes. Il s’en approcha mollement. Il tira vers lui le petit banc et s’y assit. Se retrouver devant cet instrument de musique faisait remonter en lui d’innombrables souvenirs qui le reliaient à son défunt père. C’était lui qui avait insisté pour que l’enfant apprenne à en jouer et, durant des années, Ian avait suivi des cours et avait même participé à quelques concours.
D’un geste certain, il laissa ses doigts danser sur les touches blanches et noires, pour écouter la suite logique des notes. Il voulait s’assurer que le piano était bien accordé. C’était le cas. Il leva les yeux au ciel. Il avait l’impression de devoir faire preuve de courage pour se mettre à jouer. La dernière fois qu’il avait joué de cet instrument, c’était lors des funérailles de son père. Il avait joué sa chanson préférée, celle de Leonard Cohen.
Ian posa ses deux mains au-dessus des touches du piano et se laissa guider par sa passion et son talent. Il s’appliqua avec une symphonie de Mozart qu’il connaissait par cœur à force de s’être exercé à la jouer jour après jour, durant l’enfance. Il se laissa habiter par la musique et par l’émotion. Il ne se rendit même pas compte qu’Emma et Candice s’étaient approchées de lui pour l’écouter et le regarder à l’œuvre. Il était complètement en transe.
Jouer ainsi faisait remonter en lui des souvenirs qu’il avait refoulés, mais qu’il lui était nécessaire de revivre. Le piano était devenu une passion qu’il avait mise de côté à cause de son père. Tout ce qui le reliait à lui constituait une blessure pour Ian. Une plaie à panser. Il avait cru que mettre de côté cette pratique, ce talent, lui permettrait d’oublier une fois de plus cette relation conflictuelle qu’il avait eue avec son père. Il n’avait pas l’impression qu’à un moment il pourrait régler cela. Il préférait nier qu’ils auraient pu se ressembler tous les deux. C’était avouer qu’ils avaient des points en commun, tandis qu’il n’y était pas prêt. Il se battait contre un fantôme et c’était ce qu’il trouvait difficile à vivre.
Emma applaudit à tout rompre lorsque Ian termina sa mélodie. Elle souriait, les yeux remplis de larmes tant l’émotion qui la secouait était profonde. Il ne lui avait jamais dit qu’il était musicien, un interprète de grand talent qui plus est. C’était un artiste, un vrai. Il ne l’avait pas entendue s’approcher pour l’écouter. Quand il jouait, il perdait tout contact avec la réalité pour se laisser entraîner dans un monde intérieur que lui seul pouvait visiter.
— Tu ne m’avais pas confié ce talent, dit doucement Emma, en allant s’asseoir près de lui.
— Bravo, jeune homme. Je vais dormir, moi. Bonne nuit, dit froidement Candice, très peu impressionnée par le jeu de Ian.
Candice monta au deuxième pour se coucher. Elle avait prévu les quitter au matin suivant. Ian baissa les yeux, évitant de regarder Emma. Il était humble lorsque cela concernait cette aptitude qu’il possédait pour le piano.
— Je n’avais pas répété depuis très longtemps, répondit-il en glissant ses mains dans ses poches.
— Et bien, ça ne paraissait pas du tout. Tu as beaucoup de talent.
— Beaucoup d’heures de travail. Je n’ai que ce mérite. Tu joues toi aussi ?
Emma se mit à rire en hochant la tête.
— Seulement Au clair de la lune. Ce piano était celui de ma mère et il est maintenant celui de ma sœur. À part l’écriture, mes sens artistiques ne sont pas tellement développés.
— Quelle est ta chanson préférée ? demanda Ian tout à coup.
— J’en ai une tonne. Ta question est trop difficile, répondit Emma.
Elle réfléchit un moment. Aucune en particulier ne sortait du lot. Puis, l’une d’elles remonta dans son esprit et Ian sourit en voyant son visage s’illuminer.
— Alors, tu as trouvé une chanson ?
Emma posa sa tête sur son épaule.
— Bah, oui. Tu sais interpréter Elvis Presley ?
— Le King, rien de moins que ça ?
Ian replaça son chapeau sur sa tête, par réflexe.
— Can’t Help Falling in Love. C’est la préférée de mon père et moi.
— Je crois que je peux arriver à la jouer, dit Ian, l’air pensif.
Il se mit à pianoter quelques notes puis s’arrêta. Il était heureux de ce moment qu’il passait avec Emma. Il avait l’impression qu’elle et lui avaient fait un pas de plus l’un vers l’autre. Et la chanson qu’elle avait choisie était en accord avec ce qu’il ressentait en cet instant même, en sa compagnie. Ian ne pensait pas qu’il s’agissait d’un hasard. Il recommença la mélodie depuis le début. Puis, contre toute attente, il se mit à chanter. « Les hommes sages disent que seuls les fous se précipitent. Mais je n’y peux rien si je t’aime. Devrais-je rester ? Serait-ce un péché ? Je ne peux m’empêcher de t’aimer. » Sa voix était chaude et grave. Elle fit frémir Emma jusqu’au fond de ses entrailles.
Emma était heureuse et bien en ce moment même, en sa compagnie. Mais l’ombre de Gabriel planait toujours. Elle ne comprenait pas qu’il n’ait pas téléphoné. Qu’il n’ait pas écrit. Ce qu’elle vivait lui importait si peu ? Elle s’en voulait de penser à lui alors qu’un homme merveilleux était en train de lui chanter une chanson aussi magnifique au piano.
Elle avait laissé Ian l’embrasser à l’hôpital parce qu’elle en avait envie. Emma était seule et se faisait courtiser par deux individus qui étaient des « sex symbols » à leur façon. Elle n’était pas faite de bois et avait des besoins comme toute personne normale. Le lien avec Gabriel était plus fort, probablement dès l’instant où ils avaient partagé une intimité qui était plus grande. Ils avaient fait l’amour ensemble, et avec Ian, ils n’avaient encore rien fait de plus que de s’échanger des baisers et des caresses. Même si le désir était présent, Emma n’était pas capable d’aller plus loin avec lui. Une puissance invisible l’en empêchait.
— C’était superbe, murmura Emma.
Elle prit la main de Ian qu’elle serra très fort dans la sienne. Il tourna la tête vers elle. Le plancher craqua. Emma leva le regard vers l’escalier qui était face à eux, mais n’aperçut personne. Elle ne savait pas que Candice les observait depuis le début à partir du deuxième étage. Elle assistait à la scène qui se passait devant ses yeux.
— Pas aussi superbe que toi, Emma, répondit Ian en plongeant son regard de braise dans celui de la jeune femme.
Il pencha la tête vers elle, lentement. Emma se redressa pour prendre le visage de Ian entre ses mains, arrêtant le sien à quelques centimètres pour échanger un langoureux regard avant de l’embrasser avec frénésie. Elle sentait la fièvre monter en elle. Voilà, elle craquait. Toutes ces émotions qu’elle avait vécues ces derniers temps avaient raison d’elle.
Les lèvres humides de Ian avaient quitté les siennes pour dériver sur sa peau jusqu’à son cou qu’il embrassait avec ferveur. Emma le lui offrit en penchant la tête vers l’arrière, lui donnant accès en totalité à sa gorge. Elle gémit lorsque les deux mains de son compagnon se faufilèrent hypocritement sous sa chemise pour se poser sur sa taille. Elles étaient froides, ce qui contrastait avec cette chaleur qui s’était accentuée entre les deux.
La passion s’était donné rendez-vous dans cette maison qui avait bercé l’enfance d’Emma. Ian serra la jeune femme un peu plus fortement contre lui. Son souffle tiède continuait de se promener sur sa peau, lui arrachant d’autres frissons. Ian commença à détacher minutieusement les boutons de la veste d’Emma, qui le laissait faire, enivrée par ses caresses.
Le plancher craqua de nouveau, mais, cette fois-ci, les amants ne l’entendirent pas. Candice descendit les marches une à une. Doucement. Ce n’était pas dans son habitude de jouer les voyeurs, mais elle avait assisté à déjà plus que ce qu’elle ne voulait regarder.
— Désolée, dit-elle faiblement, feignant être endormie.
Le couple n’avait toujours pas remarqué sa présence. Emma ouvrit les yeux et aperçut Candice qui était debout devant eux, tenant sa robe de chambre refermée et l’air mal à l’aise. Elle s’écarta presque aussitôt de Ian en fermant sa veste qui était maintenant ouverte.
— Candice. Euh... ça ne va pas ? bredouilla Emma.
Ian se leva et mit ses mains dans ses poches. Il était irrité d’avoir été interrompu par la femme alors qu’ils étaient en pleine action. Il se renfrogna et marmonna quelques excuses avant de monter dans sa chambre, laissant les deux femmes ensemble.
— J’ai un début de migraine. Est-ce que tu as des comprimés ?
— Oui. Suis-moi.
Emma se leva, reprenant ses esprits, et se rendit dans la salle de bain, Candice la suivant de près.
— Je suis navrée d’avoir interrompu quelque chose.
Emma évita d’observer Candice. Elle n’osa pas lui demander depuis combien de temps elle les regardait faire.
— C’est moi qui suis désolée. Je me suis un peu laissée emporter par l’instant.
Candice posa sa main sur le poignet d’Emma lorsqu’elle lui tendit la boîte d’ibuprofène.
— Ce n’est pas un homme pour toi.
— Qui es-tu pour le savoir ?
Emma retira sa main de la poigne de la femme d’affaires et s’éloigna d’elle comme si le fait d’avoir été touchée l’avait brûlée.
— Tu as raison. Je ne suis personne. Probablement une amie qui veut t’empêcher de souffrir pour rien. Que fais-tu de ce médecin ?
— Je n’ai plus de nouvelles de lui depuis que je suis ici, murmura Emma en évitant de regarder Candice dans les yeux.
Elle ne savait pas comment elle avait pu se retrouver dans cette situation encore une fois. Ce triangle amoureux devenait pesant pour elle. Et elle sentait une pression inutile venant de Candice.
— Et tu abandonnes après deux jours ?
Emma avait l’impression d’avoir entendu du mépris dans la voix de la femme d’affaires et elle se crispa. Il était certain que, sous ce point de vue, son impatience était quelque peu absurde.
— Ian est ici. Il a fait tout ce chemin pour moi. Pour être à mes côtés...
— Je ne lui fais pas confiance à ce jeune homme. Sa tête ne me revient pas...
— J’ai remarqué la façon dont tu contemplais Gabriel au restaurant...
Candice haussa les sourcils.
— Je regarde tout le monde ainsi. Qu’est-ce que tu imagines ? J’ai beaucoup de respect pour toi et beaucoup d’affection. J’ai l’impression de me voir en toi. Je constate aussi que tu as encore certains blocages qui t’empêchent d’avancer...
— Tu ne sais rien de moi, Candice. Du moins, ce que j’ai bien voulu te dire. Ne pense pas que tu me connaisses...
— J’ai une sensibilité qui me permet de deviner les gens. Tu dresses une forteresse autour de toi qui ne permet pas aux autres de t’approcher. Tu les empêches d’effleurer ton âme...
— Ça suffit. Je vais me coucher. Tu ne me connais pas et je ne sais pas quel genre d’intention tu as envers moi, mais ce n’est pas réciproque.
Candice leva les yeux vers Emma, ne saisissant pas du tout l’allusion qu’elle avait faite.
— Emma... pardonne-moi, je ne voulais...
— Bonne nuit, Candice, répondit la jeune femme en levant le bras pour éviter qu’elle ne pose sa main sur son avant-bras.
Candice était triste, mais elle comprenait le comportement d’Emma. Il semblait que cette maison cachait sous son toit des âmes blessées par un passé qui les rattrapait dans leurs relations. Elle agissait sans doute dans un rôle de sauveur lorsqu’elle se trouvait en face de la jeune femme, mais il y avait en elle quelque chose qui venait l’effleurer de toute son âme. Elle préféra se refermer et remonter dans sa chambre. Elle avait probablement dépassé les bornes, car Emma n’était pas encore prête à affronter sa vérité.