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Chapitre 17 — Mauvais garçon

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Emma ferma les yeux et respira profondément. Elle avait demandé à Ian de partir. Elle voulait prendre un instant seule avec sa famille. Un moment avec elle-même. Et, avec cet homme dans les parages, c’était plutôt difficile d’y arriver. Sa présence ne la dérangeait pas réellement, mais elle savait qu’elle désirait garder toute son énergie et son attention pour son père. Elle n’avait pas osé confronter Ian à propos de Gabriel, et ce dernier ne l’avait pas rappelée, ni même Candice. Et le fait de se retrouver dans son village natal, celui qui l’avait vue grandir, avait fait remonter une multitude de souvenirs en elle.

Ian, toujours très avenant et surtout bienveillant, avait compris son besoin de solitude. Du moins, c’est ce qu’il lui avait déclaré. Elle n’avait pas eu l’audace de lui dire que Gabriel était la raison de cette requête. Après tout, elle n’avait aucun reproche à lui faire. Il avait été un parfait gentleman et il l’avait soutenue dans ce qu’elle vivait. Et, ce soir-là, si ce n’avait été de l’arrivée impromptue de Candice durant leurs folies, elle aurait probablement été jusqu’au bout avec lui.

Aujourd’hui, si cela était arrivé, elle s’en serait peut-être voulu. Elle ne parvenait pas à utiliser le sexe comme Charlotte. Elle voyait plutôt cette intimité comme un moment précieux entre deux personnes. Ces derniers temps, surtout avec la rencontre de Gabriel, elle était passée par-dessus ses principes. Pourtant, elle avait réussi à résister une nuit entière à Ian, sur la plage. Et, avec le médecin, c’était plus fort qu’elle. Elle était irrémédiablement attirée par lui.

Emma se leva et se rendit à la cuisine. Elle sortit la petite bouilloire de métal de l’armoire, la remplit d’eau et la mit sur le rond pour la faire chauffer. Elle avait envie de se faire une tisane. Elle sourit en regardant le récipient qui datait de l’époque de ses grands-parents et que son père s’obstinait encore à utiliser. Il n’appréciait pas le changement. Même si les bouilloires dernier cri étaient plus rapides, il ne voulait pas jeter ce qui était toujours utilisable.

Elle adorait son père même avec ses petites manies étranges. C’était aussi le seul parent qui avait été présent pour elle. Il ne s’était jamais enfui et avait chéri ses enfants avec tout l’amour qu’il possédait. Il avait fait tant de sacrifices pour que ses enfants ne manquent de rien. Emma ne savait pas si un jour elle pourrait lui redonner autant. C’est pour cette raison qu’elle n’avait jamais trouvé le courage de pousser davantage ses recherches pour retrouver sa mère. Elle souffrait toujours de ce rejet et elle était consciente que ce rapport inexistant avait été la raison de bien des maux dans ses relations amoureuses. Et, encore aujourd’hui, elle en avait des échos et vivait des conséquences de l’absence de cette mère. Pour son frère et sa sœur, elle avait tenté d’être un substitut modèle, mais pour elle, personne n’avait joué ce rôle. Emma avait maintenant la sensation que c’était peut-être pour ça qu’elle avait tant de difficulté à laisser entrer Candice dans sa vie. Elle pourrait facilement faire office de remplaçante.

Lorsque le bruit annonçant que l’eau était assez chaude se fit entendre, elle la versa dans sa tasse. Elle accomplissait les gestes machinalement, sans vraiment y porter attention. Ses pensées retrouvèrent vite le chemin vers Gabriel. Elle songea à son regard bleu, profond, intense. Quand il posait les yeux sur elle, c’était comme s’il lui permettait d’exister. Malgré sa relation avec son ancien petit ami, la plus longue qu’elle avait eue, jamais elle ne s’était sentie ainsi avec quelqu’un. Avec Ian, c’était fort, c’était ardent, mais il n’y avait pas cette dimension qui faisait toute la différence.

Patrick, son dernier petit ami, avait été quelqu’un de froid et distant. Il n’avait jamais montré des signes de tendresse ou d’affection avec elle. Leurs relations intimes n’avaient jamais été passionnées ni marquantes. Elles avaient été correctes et machinales. Ils avaient choisi de former un couple, car il semblait que c’était dans l’ordre des choses. Une logique indiscutable. Pourtant, elle ne se rappelait pas d’avoir ressenti autant de désir qu’elle en avait éprouvé pour Gabriel ou pour Ian. Il l’avait quittée du jour au lendemain, sans aucun remords ni même un semblant de culpabilité, pour une policière très peu féminine, la rejetant comme une vieille chaussette.

Gabriel n’avait jamais manifesté le vœu d’aller plus loin avec elle et d’entamer une relation plus soutenue. Ian lui avait parlé en long et en large de ses propres sentiments. Qu’il souhaitait quelque chose de plus important, de plus sérieux. Comment avait-il pu s’amouracher d’elle à ce point ? Elle le trouvait très beau physiquement. Trop. Il paraissait sain d’esprit et semblait fonctionner parfaitement. Le seul truc qui lui échappait était qu’il ne semblait pas être très travaillant. Il lui avait dit qu’il était peintre en bâtiment, mais elle ne l’avait pas vu bosser bien souvent. C’était un point qui l’embêtait et elle n’osait pas poser de questions pouvant révéler qu’elle ne s’intéressait qu’à cette facette de sa vie et semblait s’en inquiéter. La vie coûtait cher, alors, comment arrivait-il à payer ses dépenses ?

Gabriel était médecin. Il travaillait beaucoup, mais il prenait aussi du temps pour elle. Il avait fait la distance juste pour la voir et elle, elle n’avait pas été présente pour lui. Pire, il avait dû se sentir bien rejeté s’il avait été conscient de la présence de Ian avec elle. Même si tous les deux ne s’étaient rien promis, elle se sentait coupable. C’était dans sa nature et c’était une facette d’elle-même qu’elle désirait améliorer.

En attendant, elle prit son téléphone et texta Gabriel. Elle n’en pouvait plus d’anticiper son retour d’appel. C’était probablement un signe désespéré venant d’elle, mais c’était ainsi qu’elle se sentait et elle voulait mettre fin au supplice, et ce, quitte à passer pour une dépendante affective. Au point où elle en était rendue... Elle ne comprenait pas comment une personne qu’elle ne connaissait pas il y avait à peine deux mois pouvait prendre autant d’importance dans sa vie aujourd’hui.

Emma avait l’impression d’avoir tiré un trait sur ces dernières années à se remettre du deuil de sa relation avec Patrick, qu’elle reconnaissait maintenant comme un homme qu’elle n’avait pas aimé autant qu’elle l’avait cru à l’époque. Elle n’avait jamais connu ce besoin et ce manque de ne pas être en contact avec quelqu’un d’autre. Elle ne s’était jamais définie comme une dépendante affective, mais ces derniers temps, elle avait l’impression d’en ressentir les symptômes. Son cœur penchait vers Gabriel et elle avait la certitude qu’il détenait le remède à ses maux.

Emma termina de boire sa tisane et observa par la fenêtre. Il pleuvait à torrents maintenant. Il était rare qu’elle se laisse entraîner par la météo, mais, cette fois-ci, elle se sentait comme les nuages qui avaient besoin de déverser leur trop-plein de pluie. Pas de nouvelles encore de Gabriel.

***

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Charlotte était allée nourrir le chat de sa meilleure amie tous les jours depuis son départ en région. L’animal, reconnaissant, allait se frotter sur la jeune femme, laissant parfois des tas de poils sur le bas de ses vêtements. Elle prit d’ailleurs l’habitude de traîner un petit rouleau collant pour retirer les éléments gênants. Après s’être assurée que tout était sous contrôle, après avoir déposé la pile de courrier sur la table, Charlotte poursuivit son chemin pour se rendre à l’agence en appelant un taxi.

C’était un de ses plus gros défauts. Elle était paresseuse et elle n’aimait pas beaucoup marcher. Même si elle vivait à quelques pâtés de maisons de son bureau, elle prenait le taxi. Elle mettait cela dans ses dépenses personnelles. Si elle n’avait pas résidé dans la ville de Montréal, elle aurait déjà sa propre voiture, mais à l’endroit où elle habitait, les heures de stationnement devaient être gérées. Et c’était à se donner des migraines juste à y penser. Elle prenait le métro occasionnellement, surtout lorsqu’elle se rendait à des spectacles ou à des événements au centre-ville, mais jamais l’autobus.

Pour elle, le bus, c’était pour les nuls. Et, même si elle savait qu’Emma l’utilisait régulièrement, elle tentait de ne pas trop la juger, bien que parfois elle émettait des commentaires qui venaient tout seuls. Elle pensa également à Alec Wilson, son professeur d’anglais qui prenait aussi le bus. Finalement, ce n’était peut-être pas si perdant que ça de recourir aux transports en commun. Elle devait être devenue trop hautaine. Il lui faudrait travailler cette partie-là de sa personnalité.

Lorsqu’elle arriva enfin au boulot, elle salua à peine le réceptionniste qui lui fit un énorme sourire chaleureux et elle se rendit dans son bureau en catimini pour éviter Alice Chayer et Elvie Lacroix qui l’avaient accompagnée au New Jersey. Elles étaient en pleine conversation devant la machine à café et, connaissant leur thème de prédilection, ce n’était pas le genre de question qu’elle aimerait aborder avec elles. Alice avait un penchant pour la science et Elvie pour la spiritualité, ce qui créait entre elles d’importantes discussions enflammées. Et, quand Charlotte était dans les parages, elle se retrouvait à jouer les arbitres, alors que les deux sujets ne l’intéressaient pas du tout. Sa religion à elle était la mode. Point barre.

Arrivée dans son bureau, elle jeta son sac sur un des classeurs et alla s’échouer sur sa chaise, devant son ordinateur qu’elle ouvrit. Charlotte regarda la liste que Candice lui avait envoyée par courriel et qu’elle avait imprimée, puis elle se demanda si elle pouvait être capable de passer à travers aujourd’hui. Elle leva la tête lorsqu’elle entendit des talons hauts frapper contre le sol. Elle reconnut le pas lourd et sec de Candice. Elle était revenue. Aucun doute.

Les foulées se rapprochaient de plus en plus de son bureau. Aussi, Charlotte cessa de rayer l’inventaire des choses qu’elle avait faites et attendit que la femme se montre devant elle. Elle ne fut pas surprise lorsqu’elle l’aperçut qui entra, sans même attendre d’y être invitée. C’était son comportement habituel.

— Je suis de retour, dit-elle simplement.

— Comment va Emma ? demanda curieusement Charlotte.

Elle n’avait même pas demandé à Candice comment elle allait. L’unique préoccupation pour elle en cet instant, c’était sa meilleure amie.

— Elle n’a pas à craindre d’être seule, ton amie. L’individu de l’hôtel est débarqué et le médecin aussi. Je me suis sentie presque de trop pendant un moment. Je n’ai plus l’âge pour ces folies-là...

— Le type de l’hôtel ? Le docteur ? demanda Charlotte perplexe.

— Mais oui, tu sais, Ian, l’artiste américain, et Gabriel Jones, le médecin.

— On dirait que je suis la seule qui n’a pas osé se déplacer, dis donc...

Candice haussa un sourcil, l’air sérieux.

— Ta présence aurait été probablement de trop, répondit la femme avant de tourner les talons et d’aller dans son bureau.

Charlotte rouspéta et jeta son crayon sur son bureau, insultée par la dernière réplique de son employeuse. Elle pouvait manquer parfois de diplomatie lorsqu’elle s’adressait à elle. Imaginait-elle qu’elle n’avait pas d’amour-propre ? Elle prit le combiné de son téléphone de bureau et composa le numéro d’Emma. Après trois sonneries, elle répondit.

— Comme ça, tu as deux Apollon pour toi, depuis que tu es là-bas ? dit Charlotte après avoir reconnu la voix de sa meilleure amie.

— C’est toi, Charlotte ? Non, juste un.

— Candice vient de me dire qu’il y en avait deux. Gabriel et Ian. Lequel t’as vu ?

— Elle est arrivée ? J’aimerais lui parler, elle ne m’a pas rappelée... Tu me la passes ?

— Non. Elle ne sait pas que je t’ai appelée, et elle s’est probablement enfermée dans son bureau pour reprendre tout le travail administratif qu’elle n’a pas pu faire pendant qu’elle était avec toi. Alors, réponds-moi. Ian ou Gabriel ?

— Ian est débarqué chez mon père. Gabriel, je ne l’ai pas vu, mais le médecin qui fait les suivis de l’opération m’a dit qu’il était venu. Je ne comprends pas pourquoi il n’est pas venu me parler. Je crois que Candice l’a rencontré ; enfin, je pense que tu viens de me le confirmer. Gabriel ne retourne pas mes appels ni mes textos... Je stresse à mort...

Charlotte écoutait son amie avec attention. Elle savait que le triangle amoureux dans lequel elle s’était embarquée était difficile. Emma ne se sentait bien que dans une relation monogame, simple et claire, dont les règles sont faciles à suivre. Gabriel ne semblait pas lui divulguer ce qu’il espérait de leur lien et elle était poursuivie avec assiduité par un artiste bohème qui brûlait d’amour pour elle, à ce qu’il disait. C’était, de loin, le pire contexte qu’elle pouvait vivre en ce moment même.

— Tu as couché avec Ian ?

— Non. Du tout. Enfin... J’ai failli le faire, j’avoue... Candice nous a surpris en pleins préliminaires... tu imagines la honte ? Horrible.

Charlotte grimaça. C’était bien la dernière personne qu’elle aimerait voir débarquer pendant qu’elle était dans une situation aussi intime.

— Il faudra que tu choisisses entre Gabriel et Ian. Lequel veux-tu vraiment ? Tu pourrais aller jusqu’au bout avec Ian et ainsi voir s’il en vaut la peine au lit...

— Non. Je ne ferai pas ce genre de test. Franchement, Charlotte. Les sentiments, c’est plus fort que ça...

— Si tu le dis. Je ne mets pas du tout ta parole en doute. Comment le pourrais-je ? Changement de sujet : comment va Billy ?

— Il s’est réveillé. Il va bien. Le médecin a dit qu’il se remettrait rapidement, mais qu’il aurait besoin de soutien. Mon frère, ma sœur et moi, on essaie de trouver une solution pour son retour à la maison. Je crois que nous devrons nous séparer pour passer du temps avec lui, jusqu’à ce qu’il se rétablisse. C’est toujours en projet. L’important, c’est qu’il récupère. L’unique priorité.

— Bien heureuse de savoir qu’il va mieux. Salue-le de ma part. Je vais te laisser, j’ai encore une liste phénoménale de choses à faire aujourd’hui. Et je voulais te dire, Barney est très affectueux et il ne manque de rien. J’ai même passé par-dessus mes principes et j’ai nettoyé la litière... Ça ne sentait pas les roses quand je suis arrivée chez toi. C’est pour ça que je n’ai pas de chat. Trop d’entretien...

— Merci, je te laisse et je vais tenter de rappeler Candice ou Gabriel... Bonne fin de journée, Charlotte.

— Tu penses rentrer quand ?

Emma allait déposer le combiné lorsqu’elle entendit les mots de son amie.

— Je ne sais pas. Je vais sûrement revenir chercher du stock bientôt. Et du travail aussi. Je n’ai pas mon matériel et j’ai des contrats avec des dates limites à respecter... Je te tiens au courant...

Après avoir salué Emma, Charlotte raccrocha et replongea dans ses projets professionnels. Elle avait l’intuition que son amie resterait pendant un moment dans sa région natale. Charlotte eut des frissons en imaginant Candice tomber sur Ian et Emma en train de fricoter ensemble. Elle était tellement froide comme femme que la pièce avait dû se geler immédiatement.

Elle se demanda si toutes les deux avaient pu s’expliquer et comprendre ce que Candice attendait d’elle. Elle ne connaissait pas sa patronne personnellement, mais à la voir agir depuis quelques années, elle avait compris que lorsqu’elle s’intéressait à quelqu’un, c’est qu’elle en espérait quelque chose. Après tout, même si elle se posait la question, ça ne la regardait pas. Elle en avait assez à gérer avec sa propre vie, qui semblait prendre une direction différente depuis quelque temps.

Charlotte s’attachait de plus en plus à Alec Wilson. Elle n’avait pas juste besoin de tirer un bon coup, mais elle avait envie de tendresse et d’affection avec lui. Ce n’était pas dans son habitude d’avoir ce genre d’idées concernant un homme. Il était intelligent, séduisant, et la bonté incarnée. À force de le côtoyer et d’apprendre à le connaître, elle s’était rendu compte qu’ils partageaient beaucoup de points en commun. Elle pensait souvent à lui et en différentes occasions. Si elle voyait un livre, elle se demandait si Alec l’avait lu. C’était un friand de lecture et il lui conseillait tout plein de trucs à lire.

Elle n’osait pas en parler avec Emma, car elle était de nature orgueilleuse. Elle ne voulait pas prendre le risque de détruire son personnage de femme volage et sans cœur.

***

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Le téléphone d’Emma sonna quatre fois avant qu’elle ne puisse récupérer l’appareil dans le fond de son sac à main. Elle fut déçue de voir que c’était Ian qui appelait et ne prit pas l’appel. Ce n’était pas vraiment gentil de sa part d’ignorer le jeune homme, mais depuis qu’il était entré dans sa vie, il ne faisait que mêler davantage les cartes. Même si elle se sentait attirée par lui, ce n’était pas l’homme de ses rêves.

Il avait laissé un message sur sa boîte vocale. Elle l’écouterait plus tard. C’était probablement pour lui dire que la vieille voiture avait survécu au retour et qu’il était maintenant arrivé à Montréal. Elle continua de marcher dans les couloirs de l’hôpital. Elle se rendit à l’étage de la pouponnière. Emma adorait regarder les nouveau-nés. Elle trouvait que c’étaient les êtres les plus purs et les plus innocents de la terre.

Son téléphone émit une petite mélodie annonçant qu’un message texte était entré. Elle souhaitait que ce ne soit pas encore Ian, mais que le message vienne de Gabriel. Elle fouilla de nouveau dans son sac et réussit à mettre plus vite la main sur son téléphone. Elle sourit lorsqu’elle vit que c’était Gabriel, mais désenchanta rapidement en lisant le contenu de sa missive. « J’espère que ton père va mieux. Je t’appelle bientôt. Très occupé à l’hôpital. » Emma le trouvait froid et impersonnel.

Elle n’avait plus aucun doute. Il avait dû la surprendre en compagnie de Ian. C’était impossible qu’il puisse changer d’attitude aussi rapidement, surtout dans une situation aussi précaire. En même temps, elle savait qu’elle sautait rapidement aux conclusions. Les missives transmises par téléphone étaient très faciles à interpréter. Elle était de retour dans une impasse. Emma avait besoin de s’expliquer et d’entendre sa voix. Son ton était si compréhensif et si doux.

Alors qu’elle relisait son message pour la dixième fois au moins, son téléphone sonna et elle vit apparaître le nom de Candice Rose sur l’écran. Elle répondit presque immédiatement. Emma se rappelait que la séparation avait été houleuse entre elles. Candice, toujours aussi détachée, ne prêta pas attention à leur précédente conversation.

— Je suis désolée pour le retour tardif, mais comme tu le sais, je suis assez occupée...

Emma hésita un instant à revenir sur leur dernière discussion et tenta une approche maladroite.

— Pardonne-moi pour l’autre soir... je n’ai pas été super gentille avec toi...

Candice prit un moment avant de réagir. Elle n’aimait pas revenir sur ce genre d’incident. Pour elle, le passé, c’était terminé.

— Je ne me mêlais pas de mes affaires, comme tu me l’as si bien fait remarquer.

Emma ne savait pas si c’était du sarcasme ou si c’était simplement sa réponse.

— Tu as essayé de me faire comprendre ton point de vue et je n’ai pas voulu l’écouter.

— N’y pense plus. Emma, je m’intéresse à toi d’une façon uniquement amicale. Il y a quelque chose en toi qui me rappelle moi... Et je ne crois pas que le destin t’ait mise sur ma route pour rien.

Emma se sentait encore plus mal d’entendre ses paroles. Elle devinait bien que Candice avait de l’affection pour elle et ne désirait que son bien-être, mais elle ne savait pas plus comment agir dans de telles circonstances.

— Tu as pris un café avec Gabriel Jones ? finit par demander la jeune femme.

Elle n’avait plus la patience d’attendre avant d’entrer dans le vif du sujet.

— Oui, il n’a pas été capable de te rencontrer. Très déçu d’ailleurs de t’avoir manquée, répondit Candice.

Emma eut un petit pincement au cœur de se faire confirmer par une deuxième personne qu’il avait fait le voyage exprès pour la voir.

— Vous avez parlé de moi ?

Tant qu’à aller droit au but, aussi bien le faire également pour ce moment qu’ils avaient passé ensemble.

— Oui. Nous avons parlé de toi. Tu étais le sujet principal à vrai dire. J’ai vraiment apprécié le moment que j’ai passé avec ce médecin. Il est très sympathique comme personnage. Vraiment...

Emma avait envie de lui crier de se la fermer et de raconter ce qu’ils avaient pu dire sur elle, mais s’en abstint. Après tout, ce n’était pas vraiment une belle alternative pour l’inviter à la confidence.

— Je sais que c’est un chic type. Je n’ai jamais dit le contraire. Il est presque parfait. Je dis presque parce que je ne le connais pas encore totalement...

— Il m’a dit qu’un type à l’hôpital lui avait demandé de retourner à l’endroit d’où il venait... Est-ce que j’ai besoin de te dire qui est cet homme ou si tu en as une bonne idée ?

Les pires craintes d’Emma étaient fondées. Gabriel et Ian s’étaient rencontrés à l’hôpital. Pire, Ian lui avait caché cette rencontre. Ils jouaient à un drôle de jeu tous les deux.

— Merde...

— Docteur Jones, ne se laissant pas abattre ni intimider par l’artiste, a choisi de venir directement te voir chez toi, mais tu venais de partir, encore et toujours accompagnée de ton artiste... Et j’étais en train de ranger mes affaires dans l’auto pour partir et revenir chez moi... Il a essayé ce qui était possible et t’a même téléphoné, Emma. Il a tout tenté pour te joindre...

— J’ai compris quand le médecin de mon père m’a dit qu’il était passé le rencontrer... Ian m’a caché cette rencontre...

— Es-tu vraiment surprise ?

— Non...

— J’ai fait quelque chose sans ton autorisation... Emma... Je ne pensais pas que j’obtiendrais un dénouement favorable et aussi rapide...

Le cœur d’Emma passa un battement. Elle était nerveuse tout à coup.

— Quoi ?

— J’ai retrouvé ta mère...