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Chapitre 18 – Les habitudes tenaces

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Ian observa Nastia qui préparait son lunch avant de partir pour le travail. Elle s’acquittait de sa tâche en toute concentration, ignorant le jeune homme comme elle le faisait depuis le début. Il y avait un moment déjà qu’il était en attente au téléphone avec la banque. Il tentait une démarche administrative pour transférer des fonds du compte conjoint à son compte. Lilly semblait avoir changé le code sans son autorisation ou sans l’avoir avisé initialement. Il était passablement irrité de voir qu’il avait perdu de l’influence sur la jeune femme au point où elle ne lui donnait plus accès à l’argent qu’ils gardaient ensemble dans le compte.

— Cesse de m’observer, tu m’énerves, lança Nastia après plusieurs minutes.

Elle n’avait pas pu éviter de remarquer que son regard s’était fixé sur elle plus longuement que d’habitude. Ian raccrocha son téléphone et se leva pour marcher vers la jeune femme.

— J’admire la beauté qui émane de toi, susurra-t-il.

— Va admirer ailleurs, répondit-elle froidement en déposant son plat de pâtes dans son grand sac en tissus.

Ian éclata de rire, malgré lui. Son sens de la répartie l’avait titillée plus que désiré.

— Je te trouve vraiment jolie, Nastia, complimenta Ian en se rapprochant d’elle.

La jeune femme se retourna vers lui et lui fit un sourire qui se voulait séducteur et qui ne le laissa pas indifférent. Elle laissa tomber ses ustensiles dans le fond de son sac et fit quelques pas en direction de l’homme, toujours en affichant un sourire mystérieux sur le visage.

— Tu trouves ? demanda-t-elle en adoucissant sa voix.

— Oui, dit-il.

Elle fit encore quelques pas pour se retrouver seulement à quelques centimètres de lui. Elle plongea son regard dans le sien en mettant le bout de son pouce dans sa bouche. Elle le dévisagea d’un air qui se voulait presque coquin.

— Tout ça peut t’appartenir encore, murmura-t-elle, tout en continuant de sourire.

Ian avala difficilement. Ce retournement de situation aussi rapide que drastique fit vibrer quelque chose en lui. Il sourit à son tour.

— T’es sérieuse ?

Nastia posa sa main droite sur la joue de l’homme, la lui caressant au passage.

— T’es un vrai con de première. Tu as une pauvre fille qui t’attend désespérément à New York, et tu cours après une autre qui est assez intelligente pour ne pas vouloir de toi. Penses-tu que je suis assez stupide pour retomber dans le panneau et vouloir de toi ? Va te faire foutre, Ian Mark...

Nastia s’écarta rapidement de Ian et retourna prendre son sac à lunch et ses clefs avant de partir pour aller travailler à l’hôpital. Le jeune homme s’en voulut immédiatement d’avoir été aussi dupe et de s’être laissé emporter ainsi.

Malgré le jugement dont avait fait preuve Nastia, elle n’avait pas tort. Il devait mettre fin à sa relation avec Lilly avant d’espérer pouvoir commencer une histoire avec Emma, mais il ignorait si cette dernière souhaitait réellement construire quelque chose avec lui. Et puis, encore à la première occasion, il était prêt à se tourner vers une autre pour satisfaire ce besoin de séduire qu’il portait en lui depuis toujours. Il était conscient qu’il avait un gros défaut, mais il ne savait pas comment s’en débarrasser. Ça faisait partie de lui, c’était son côté sombre qui venait bousiller toutes ses relations sérieuses.

Lilly était la première femme qui lui pardonnait ses écarts de conduite. Peut-être que sa jeunesse jouait en sa faveur, mais il comprenait aussi qu’elle ne serait pas éternellement indulgente. Il se doutait qu’Emma ne l’accepterait pas ainsi. Il se rappelait lorsqu’elle avait parlé de sa dernière relation avec son ancien petit ami qui l’avait quittée pour une autre. Pour lui, la fidélité passait par le cœur, et ils étaient très peu à posséder la même vision de l’amour.

Il commençait à désespérer, car avec Emma, il avait l’impression de faire deux pas en avant et de reculer de trois. Il n’avait pas réussi à coucher avec elle encore. Ce qui était hors norme pour lui. Et il n’avait pas eu envie d’une autre avant ce matin. Son attention était portée entièrement sur la jeune femme en qui il reconnaissait une partie de lui. Il prit son téléphone et composa le numéro de Lilly. Il devait régulariser sa situation ; du moins, il devait essayer de le faire.

***

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Emma avait pris la camionnette de son père pour revenir à Montréal. La discussion qu’elle avait eue avec Candice l’avait profondément troublée. Le fait qu’elle ait retrouvé sa mère la dérangeait plus qu’elle ne l’aurait souhaité, rouvrant au passage une blessure qu’elle avait cru fermée depuis longtemps déjà. Elle ne lui en voulait pas, même si elle aurait préféré avoir été mise au courant plus tôt de ses démarches. Le choc aurait été possiblement moins important.

Elle s’était rendue chez elle en premier. Elle était allée chercher ses affaires, payer son loyer et ses comptes. Elle resterait encore une semaine chez son père avant de revenir. Emma avait choisi d’aller aussi à l’hôpital pour rencontrer Gabriel afin de régler la situation une fois pour toutes et lui exprimer que c’est avec lui qu’elle désirait être. C’était décidé, elle le lui dirait, et ainsi, elle verrait si c’était réciproque. C’en était assez de ce chassé-croisé qui se jouait entre elle et les deux hommes. Et Gabriel était celui qu’elle voulait réellement, il fallait juste qu’elle mette les choses au clair avec les deux hommes.

Emma mit les pieds dans l’hôpital, se sentant légère et sûre d’elle. Elle se rendit à l’étage de Gabriel, marchant d’un pas régulier. La réceptionniste, une grande blonde, lui fit un sourire et la fit s’asseoir. Sans rendez-vous, même si elle disait connaître le médecin personnellement, il fallait qu’elle vérifie auprès de lui pour valider ses dires.

La nervosité était de plus en plus forte. Cela faisait plus de vingt minutes qu’elle était arrivée et elle patientait toujours. Emma n’avait pas à se plaindre, son cas n’était pas urgent et, de plus, elle n’avait pas de rendez-vous. Elle regarda sa montre après un moment et dix minutes s’étaient ajoutées à son temps d’attente. Elle se demandait s’il ne fallait pas plutôt partir et l’appeler, lorsque la jeune réceptionniste prononça son nom.

— Il va vous accueillir, madame Tyler. Venez.

Emma se releva de sa chaise et marcha vers le bureau de Gabriel. Elle avait envie de reculer maintenant. Elle se sentait idiote, tout à coup, d’être débarquée ici, tandis qu’il y avait des gens qui attendaient de le rencontrer pour des raisons beaucoup plus sérieuses qu’elle. Elle n’avait besoin de le voir que pour combler son cœur et son âme.

Gabriel se tenait debout derrière la porte lorsqu’elle la poussa et lui sourit timidement. Il la referma et marcha jusqu’à sa chaise, restant froid et détaché, en professionnel qu’il était. Emma ne s’attendait pas à ce qu’il lui saute dans les bras, mais elle aurait préféré un peu plus d’émotions venant de sa part.

— Bonjour, Emma, dit-il doucement en croisant ses mains qu’il déposa sur son bureau.

— Gabriel, j’ai appris que tu étais venu chez mon père, que tu étais venu à l’hôpital...

— Effectivement, je suis venu te voir, mais la vie en a voulu autrement. Tu étais déjà bien entourée, je pense que ma présence n’était pas nécessaire.

Emma détourna les yeux lorsqu’elle entendit ses paroles. Elle était au courant qu’il parlait de Ian.

— Ian n’est qu’un ami...

— Un ami que tu embrassais à pleine bouche dans la salle d’attente de l’hôpital. Ne crois pas que je suis fâché, pas du tout Emma. Il a su être présent, et moi pas...

Gabriel gardait son sourire intact. Il avait cette facilité à rester de marbre face à l’émotion qui devait l’habiter et qui était contraire à l’image qu’il désirait montrer à la jeune femme. Il était impossible qu’il ait pu devenir aussi froid et distant avec elle, mais c’était tout ce qu’elle méritait pour ce qui s’était passé entre eux.

— Tu as tellement fait pour moi, Gabriel. Beaucoup plus qu’être présent. Tu as trouvé des ressources inestimables pour mon père et sa guérison. Je ne te remercierai jamais assez pour tout cela...

— J’ai eu la pensée naïve de croire que te faire une surprise était une merveilleuse idée, mais quand je suis arrivé et que je l’ai vu... Qu’il m’a signifié de retourner d’où je venais...

Emma leva la tête, interpellée par ses dernières paroles. Ian ne lui avait jamais mentionné qu’il avait parlé avec lui. Qu’ils s’étaient rencontrés et qu’ils avaient échangé quelques propos. Et rien ne lui permettait de se méfier de la parole de Gabriel.

— Il ne m’a rien dit...

— Je me suis bien douté qu’il ne te dirait rien. Cet homme est fou de toi. Il veut tellement te posséder, que tu lui appartiennes, et c’est pour cette raison qu’il ne te lâche pas d’une semelle. Il est prêt à tout pour que tu ne lui échappes pas...

Emma trouvait terrible ce sentiment de tiraillement qui se jouait en elle. Son cœur était complètement écartelé et déchiré par ce que Gabriel lui disait et par les choix qu’elle avait faits depuis qu’il était entré dans sa vie. Tout s’était interposé entre eux dès l’instant où elle avait compris que cette aventure d’un soir avait la possibilité de se transformer en quelque chose de plus gros, de plus grand, de plus fort. Était-ce l’univers qui lui avait envoyé des signes précis pour lui annoncer qu’ils ne devaient pas poursuivre plus loin cette amourette éphémère, ou le monde qui avait sélectionné ces défis pour tester les sentiments qu’ils avaient réellement l’un pour l’autre ?

— Ian ne m’a jamais remontée contre toi.

Gabriel ne dit rien. Il savait qu’il était bien trop occupé à se mettre lui-même en valeur auprès d’elle, donc à éviter de parler de ses potentiels ennemis. Gabriel en avait marre de voir Emma face à lui et de ressentir encore ce sentiment de manque qui se collait à son âme. Elle était devant lui et il la trouvait si belle, tellement désirable, qu’il se jouait un combat de tous les instants en lui pour l’empêcher de se lever, d’aller l’embrasser et de la serrer contre lui. Si son cœur ne pouvait pas lui appartenir, que faisait-elle ici ? Elle était venue le narguer ? Il s’en voulait de simplement penser à cela. Emma n’était pas ce type de femme. Elle était différente, il le savait.

— Pourquoi es-tu ici, Emma ?

— Laisse tomber, Gabriel. Je me rends compte que je te dérange. Je n’aurais pas dû...

— Ce n’est pas ça. Le moment est mal choisi pour avoir ce genre d’éclaircissements entre nous. J’ai accepté de te recevoir avant de repartir faire mes suivis... Je dispose de peu de temps.

— Gabriel, je suis venue te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi. Pour t’expliquer aussi que Ian n’est pas toi. Qu’il a été présent physiquement pour moi, mais toi, tu as été dans ma tête et dans mon cœur tous les jours. Je n’arrive pas à te sortir de mon esprit...

Le médecin plongea son regard bleu et profond dans celui de la jeune femme. Il ne trahissait encore aucune émotion par son langage corporel, même si, en dedans de lui, son cœur se mit à battre plus rapidement. Il était heureux de ce qu’elle venait de lui révéler. Comblé que ses sentiments ne soient pas à sens unique, du moins, c’est ce qu’elle laissait entendre.

— Moi non plus, je n’arrive pas à te sortir de ma tête, murmura-t-il en détournant le regard.

Il avait osé se placer en danger en dévoilant une partie de lui-même à la jeune femme. Emma se sentit gonflée de confiance face à ses paroles. Elle le fixait maintenant, les yeux brillants, un sourire soulagé caressait ses lèvres.

— Toi aussi ? dit-elle naïvement.

Gabriel se leva et s’approcha d’Emma qui était toujours assise. Il se mit à genoux devant elle et il prit ses mains entre les siennes. À son contact, Emma ressentit une décharge électrique dans tout son corps. Il souriait avec tendresse. Cette affection qu’il n’avait jamais vraiment pu cacher face à elle.

— Emma, tu es devenue une obsession dans ma tête. Je pense à toi presque à tous les instants et qui me rendent heureux pour la journée. Tu me hantes. J’étais fou de jalousie quand ce type est débarqué chez toi et que je vous ai laissés ensemble. Je ne suis pas aussi raisonnable que je le croyais...

— Gabriel...

— Laisse-moi terminer. Je t’aime assez pour te laisser partir et vivre ce qu’il y a réellement entre Ian et toi. Je préfère que tu ailles jusqu’au bout de ce qu’il y a avec lui, plutôt que tu te demandes si ce n’était pas lui, le bon pour toi...

Le cœur d’Emma se fendit en deux. Il était brisé par ce qu’il venait de lui dire. C’était comme s’il la rejetait et qu’il rendait les armes. C’était peut-être une manière pour lui de rompre tout lien possible avec elle. Elle pencha la tête légèrement et déposa sa bouche sur celle de l’homme. Ses lèvres imprimèrent les siennes de douceur et de désir. Gabriel répondit avec dévotion à son baiser, mais aussi par une indiscutable modération. Lorsque tous les deux se touchaient, qu’ils étaient en contact l’un et l’autre, tout s’effaçait autour d’eux. Ils habitaient dans un monde parallèle où tout était possible.

Sur ce coup-là, Gabriel n’était pas capable de rester froid envers Emma. Il était impensable de retenir le désir qui le consumait. C’était inévitable, c’était invivable.

— C’est toi que je veux, Gabriel Jones. Depuis le début. Uniquement toi, souffla-t-elle entre deux baisers langoureux.

Même s’il entendait ce qu’elle lui disait, il se refusait de l’écouter. Il devait mettre fin à ce supplice. Il était incapable de s’imaginer partager Emma avec cet artiste. C’était trop difficile pour lui, mais il savait qu’il était nécessaire qu’elle passe par Ian avant de revenir à lui. Pour se rendre compte par elle-même qu’ils étaient peut-être faits l’un pour l’autre.

— Je ne changerai pas d’avis. Reviens vers moi seulement si tu as vraiment le sentiment d’avoir fait le tour avec Ian. Cette fois-ci, je ne m’interposerai pas, Emma.

Gabriel s’était écarté d’elle et s’était relevé. Il replaça son pantalon, déformé par le désir évident qu’il avait pour la jeune femme, il referma le sarrau blanc pour tenter de camoufler cette émotion qui l’habitait.

— Si tu penses que c’est le mieux pour nous deux, Gabriel. Je sais que tu es fait pour moi...

Gabriel se rendit jusqu’à la sortie et pressa la poignée fermement, prêt à la tourner pour ouvrir la porte.

— Prend soin de toi, Emma. Je suis toujours là, si tu as besoin.

Emma prit sa main libre dans la sienne et la serra avec force. Son regard était à présent voilé de larmes. Elle savait qu’il prenait tout son courage pour lui faire comprendre de vivre sa vie et de ne pas penser à lui. Elle en était pourtant tombée amoureuse, elle en était présentement persuadée.

— Je reviendrai plus rapidement que tu ne l’imagines.

Elle l’embrassa sur la joue et il ouvrit la porte avant qu’elle ne sorte sans se retourner. Elle osa à peine un regard vers la réceptionniste qui fouillait dans des dossiers. Gabriel était tout à l’envers maintenant et il n’arrivait pas à comprendre comment il avait pu la laisser partir ainsi. Après qu’elle lui ait mentionné que c’était lui qu’elle voulait. Comment avait-il pu la laisser filer ? Ian Mark en était la raison. Il était toujours dans les parages et, même si les sentiments qu’elle pouvait éprouver pour lui n’étaient pas aussi forts, il y avait un désir au bout duquel elle devait aller. C’était inévitable, c’était indiscutable.

Gabriel ramassa son bloc-notes de visite et son stylo et sortit de son bureau. Il sourit à Nastia et l’informa qu’il allait partir pour faire sa tournée. Il avait besoin de se changer les idées et d’oublier cette visite perturbante. L’amour était quelque chose qu’il ne méritait peut-être pas dans sa vie. Toutes les femmes extraordinaires qu’il rencontrait finissaient souvent par l’abandonner au profit d’un autre. Pourtant, son cœur avait cette faculté d’aimer et de prendre soin d’elles.

Dans ce cas-ci, il n’avait pas donné la chance à Emma de le laisser tomber. Il lui avait légué la liberté et il avait décidé d’être le second choix, même si elle lui avait affirmé qu’il était son premier choix. Il s’était refusé à démolir Ian, car ce n’était pas dans sa nature. Gabriel était conscient que, s’il faisait cela, ça finirait tout de même par lui retomber dans la figure à un moment donné.

Il n’aurait pas été capable de la repousser encore plus si elle avait fait une nouvelle tentative vers lui. Emma était ce genre de femme qui donnait envie d’aller plus loin. Elle n’était pas comme cette relation superficielle qu’il avait eue avec des femmes qui ne pensaient qu’au prochain vernis à ongles à acheter ou à la nouvelle coiffure à essayer. Il en avait eu des petites amies qui avaient été avec lui juste à cause de son statut professionnel enviable et parce qu’il était à l’aise financièrement.

***

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Emma démarra le pick-up et se frappa intentionnellement le front contre le volant de toutes ses forces. Elle était tellement désolée de la tournure des événements. Elle avait cru que Gabriel l’aurait accueillie les bras grands ouverts, prêt à lui faire une place dans son existence et dans son cœur. C’était naïf d’avoir pu imaginer ceci, elle le concédait à présent. Elle éclata en sanglots, les larmes qu’elle avait tenté de maintenir coulaient maintenant sans qu’elle ne puisse les retenir. Elle avait le goût de maudire Ian d’être dans sa vie et de l’avoir empêchée de rencontrer Gabriel lorsqu’il avait fait le trajet pour la voir.

Elle n’avait pourtant pas le désir d’aller plus loin avec Ian. Même si l’idée lui avait traversé l’esprit, ce n’était pas lui qu’elle voulait. C’était écrit dans le ciel. Oui, Gabriel avait une situation enviable. Il avait un statut sérieux, un emploi qui lui donnait de la solidité, mais c’était plus que ça. Il aurait pu être éboueur, c’était l’effet et le trouble qu’il parvenait à créer en elle qui importait. Son cœur se mettait à battre avec la même force que le désir qui la possédait lorsqu’il posait son regard sur elle.

Lorsqu’il la touchait, quand il l’embrassait, elle se perdait en lui. Et ça, elle n’avait jamais réussi à ressentir la même chose avec Ian. Emma avait souhaité aller plus loin avec Ian, elle ne pouvait pas le contester. C’était évident qu’entre eux il s’était passé quelque chose, mais ce n’était pas aussi puissant que ce lien qui s’était créé entre Gabriel et elle. Il s’agissait d’une attirance et Ian avait cette facilité à créer un besoin d’être avec lui.

Il s’arrangeait systématiquement pour devenir indispensable à ses yeux. Il la couvrait de merveilleuses attentions, de messages de sollicitude. Il n’était jamais en colère. Ne cherchait jamais à créer de malentendu. Il était trop parfait et, habituellement, c’est lorsqu’un homme est trop formidable qu’il a une araignée au plafond. Elle se rappelait le petit copain d’une ancienne amie. Son comportement évoquait celui de Ian. Un type hyper attentionné, qui était toujours présent pour elle et qui, finalement, manipulait son amie au point d’exercer une emprise incroyable sur elle. Emma avait donc une certaine crainte de ce qu’elle pouvait découvrir sur lui. Ian Mark était quand même un mystère pour elle, malgré toute sa générosité et sa gentillesse. Il ne parlait que très peu de lui.

Emma était épuisée par les jours précédents, les dernières semaines. Elle avait besoin de prendre du recul. Son seul vœu, présentement, était de retourner à cette fin d’après-midi, au New Jersey, et de changer de position pour éviter le ballon que Ian lui avait lancé par accident derrière la tête. Elle aurait souhaité rembobiner le film et refaire l’histoire pour ne rencontrer que Gabriel. C’était évident que, sans Ian, elle n’aurait probablement jamais trouvé Gabriel, car il constituait l’élément déclencheur de sa relation cahoteuse avec lui. Si, ce soir-là, il ne lui avait pas posé un lapin, elle n’aurait pas croisé Candice au bar, elle ne l’aurait pas raccompagnée dans sa suite et elle n’aurait pas pris l’ascenseur avec Gabriel. Aussi, elle et Gabriel n’auraient pas fait l’amour ensemble. Pendant un bref instant, le temps entre eux ne se serait pas arrêté.

Tout la ramenait à Gabriel, qu’elle le veuille ou non. Il était le point de repère dans toute cette histoire. Elle ne pouvait pas le nier et encore moins l’ignorer. C’était impensable. C’était l’évidence. Et, même si elle savait qu’il ne la rejetait pas, elle le percevait comme tel. « Je t’aime assez pour te laisser partir et vivre ce qu’il y a réellement entre Ian et toi. » En lui offrant cette liberté, il la rattachait toujours plus à lui, car il venait confirmer que les sentiments qu’elle éprouvait pour lui étaient véritables, qu’il était possible de les développer davantage et qu’ils se transformaient en amour.

Si elle avait cru qu’avec son dernier copain elle avait été amoureuse, il n’en était rien. Car, avec Gabriel, ce que son cœur lui dictait était encore plus violent que tout ce qu’elle avait vécu jusqu’à présent. Si elle n’allait pas vers lui, si elle abandonnait, elle trahirait ses émotions et ses propres sentiments. Emma observa son visage dans son rétroviseur. Son mascara avait coulé, ses yeux étaient fatigués et rougis, mais ils étaient allumés par une flamme immensément puissante, celle d’avoir choisi celui qu’elle désirait et avec qui elle voulait prendre le risque de continuer sa route. Et elle convaincrait le principal intéressé.