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Chapitre 19 – Le chat sort du sac

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Nastia donna un gros coup de pied sur le pneu de sa vieille berline qui était visiblement crevé. Elle n’en avait pas de secours et n’avait surtout pas les moyens financiers pour faire venir la dépanneuse. Pendant un instant, elle songea à téléphoner à son frère pour qu’il vienne la chercher, mais se rappela que c’était probablement Ian qui était à maison. Elle donna encore deux ou trois coups de pied pour se défouler de sa malchance puis s’appuya contre la voiture, se tenant la tête.

— Un problème, Nastia ?

Elle leva la tête lorsqu’elle reconnut la voix remplie de sollicitude de Gabriel Jones. Il fixait sur elle des yeux interrogateurs avec un soupçon d’inquiétude.

— Un pneu crevé. Je ne peux pas partir avec elle ce soir, lui dit-elle tristement.

— Dans quel coin habitez-vous ? Je peux vous déposer ? J’ai terminé mon quart...

Un regain d’espoir s’alluma dans son regard. Elle était tout à fait reconnaissante par rapport à l’offre du médecin. Ils ne se connaissaient pas beaucoup, mais elle avait l’intuition qu’elle pouvait lui faire totalement confiance et que ce n’était pas un con de première. Elle lui donna son adresse et lui expliqua l’endroit où était situé son immeuble.

— Ce n’est pas très compliqué...

— Ça va, je connais le coin. Montez, Nastia, je vais vous déposer sans problème, lui dit-il doucement en se dirigeant vers sa propre voiture.

Gabriel était fatigué. Il avait presque espéré qu’elle n’ait pas de pneu de secours, car il n’aurait pas eu l’énergie pour l’aider à le changer. Se connaissant, il n’aurait pas été capable de lui refuser ce genre de service. Et puis, raccompagner Nastia lui renouvellerait un peu les idées. Ses pensées étant trop souvent tournées vers Emma et sa visite de l’après-midi.

***

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Emma était retournée dans son appartement. Elle avait invité Candice à passer chez elle pour éclaircir l’échange qu’elles avaient eu au téléphone. Elle avait prévu de repartir en Beauce très tôt le matin suivant.

Candice était ponctuelle comme une horloge et elle arriva à dix-neuf heures pile. Pas une minute avant ni une minute après. Elle frappa, puis attendit qu’Emma lui ouvre la porte. Elle présenta une bouteille de vin rouge à la jeune femme, entra en faisant comme si c’était chez elle et se dirigea vers le divan du salon. Emma avait acheté des grignotines et elle les avait placées sur la petite table.

— Verse-nous deux coupes ! dit doucement Candice.

Sa requête ressemblait davantage à un ordre qu’à une demande polie, mais Emma s’exécuta sans riposter. La femme d’affaires n’avait rien voulu révéler de ses trouvailles au téléphone. Elle avait préféré que toutes les deux se rencontrent, car ce serait plus facile d’en parler de vive voix. Et de voir que Candice avait apporté du vin n’avait rien de rassurant, connaissant la béquille de la femme.

— Alors, qu’as-tu découvert ? demanda Emma à brûle-pourpoint.

Elle transportait deux verres à moitié pleins qu’elle déposa près des grignotines, et alla s’asseoir à côté de Candice.

— Hum...

Elle ne répondit pas tout de suite, prenant une grande gorgée de son vin, étudiant son goût et sa texture, ce qui irrita Emma. Elle voulait en venir au but immédiatement et ne pas faire éterniser la soirée. Elle aurait préféré passer ce moment avec sa meilleure amie Charlotte au lieu de la passer avec sa patronne.

— Alors, ma mère ? J’exige plus d’informations !

Emma était impatiente. Elle voyait que Candice paraissait prendre ou perdre son temps. Comme si étirer le moment semblait lui faire plaisir.

— Je sais que j’aurais dû te demander la permission avant de faire des recherches concernant ta mère. Et tu aurais eu raison de ne pas avoir voulu en parler avec moi. Je m’excuse, mais je ne pensais pas vraiment que j’aurais obtenu des résultats aussi rapides...

— Elle est où ? interrogea Emma.

Candice leva les yeux vers la jeune femme et les reposa sur son verre de vin. Emma avait la mauvaise impression qu’elle tournait autour du pot pour une raison bien précise et qu’elle n’en aimerait pas les motifs.

— J’ai hésité avant de te dire que je l’avais retrouvée, mais je me suis aussi dit que tu avais le droit de choisir la suite des événements ou de connaître la vérité. Contrairement à ce que tu aurais pu supposer, je ne suis pas le type de personne qui gère les gens jusque dans leurs propres décisions...

— Je n’ai...

— Ce n’est pas important. Donc, ta mère est à Vancouver.

— Vancouver ?

Candice prit une nouvelle gorgée de sa coupe de vin et fit signe à Emma d’aller chercher le reste de la bouteille. La jeune femme se rendit à la cuisine, avec l’impression de porter sur ses épaules tout le poids du monde. Elle craignait que Candice ne prenne trop d’alcool et qu’elle recommence les simagrées qu’elle avait faites lors du voyage au New Jersey.

— Joseph Moreau est mon détective privé. J’ai pleinement confiance en lui et il travaille dans le domaine depuis une bonne trentaine d’années. Tu ne m’as pas donné beaucoup d’informations à propos d’elle, mais j’ai fait de petites recherches lorsque j’étais dans ta région natale.

Emma n’était aucunement intéressée par les détails qu’elle lui offrait. Pour elle, ce n’était que du superflu, de l’inutile. Elle pressait Candice de lui parler du sujet principal. Sa mère.

— Ma mère, elle habite à quel endroit à Vancouver ? Depuis quand elle est là ?

— Lilianne Vaux se nomme aujourd’hui Agelia Jasmine Hays. Elle s’est installée à Victoria pendant quelques années et, depuis environ dix ans, elle habite directement sur l’île de Vancouver, dit doucement Candice.

Emma comprenait pourquoi elle n’avait jamais repéré sa mère. Elle s’appelait maintenant Agelia Jasmine Hays. Elle trouvait ce prénom joli.

— Elle a changé de nom ? Elle voulait être certaine de ne pas être retrouvée...

Candice posa sur Emma un regard rempli de compassion. En l’observant un moment, elle avait l’impression que quelque chose avait changé chez la jeune femme. Ce n’était pas dans sa façon de s’habiller ni dans sa manière de se coiffer, c’était comme quelque chose dans son attitude. Comme si les derniers jours avaient eu une incidence dans sa vie et qu’elle avait atteint une nouvelle maturité en si peu de temps. Elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

Candice fixa la bouteille qui était sur la table basse. Elle songea qu’elle avait besoin d’encore plus de vin pour lui expliquer la suite. Son courage n’était pas suffisant. Emma avait pris de la valeur à ses yeux et elle représentait beaucoup pour elle. Elle avait développé une certaine affection maternelle pour la jeune femme. Sachant que sa propre mère l’avait rejetée alors qu’elle n’était qu’une enfant constituait déjà un lourd fardeau, en somme.

— Il y a autre chose...

***

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Gabriel tourna dans la rue que lui avait indiquée Nastia. Ils avaient discuté de thèmes plutôt anodins durant le trajet. Tous les deux n’avaient jamais échangé que sur des sujets professionnels quand ils travaillaient ensemble, alors, ils ne connaissaient aucunement les affinités qu’ils auraient pu partager.

— C’est ici, dit doucement Nastia, en pointant la tour d’habitation grise à leur gauche.

Gabriel ralentit la voiture et pénétra dans la cour pour s’arrêter devant l’escalier qui menait à la porte d’entrée. Il leva la tête et fut étrangement surpris de reconnaître Ian Mark qui sortait de l’un des logements.

— Vous le connaissez ? demanda Gabriel.

Il avait soulevé le menton, désignant ainsi son adversaire sur le plan sentimental. Nastia leva la tête et soupira en voyant de qui parlait le médecin. Elle aurait préféré ignorer la question, mais elle déglutit avant de finalement répondre.

— Malheureusement, oui. Il dort chez nous.

— Vraiment ? Cet homme-là ? Vous le connaissez ?

— C’est Ian, le meilleur ami de mon frère. Vous savez qui il est aussi ? demanda Nastia, surprise.

— Oui, je le connais. Vous ne semblez pas l’apprécier beaucoup.

C’était à ce constat que Gabriel en venait en observant les réactions de la jeune femme. Nastia détourna les yeux, évitant de regarder le médecin. Elle ne désirait pas entrer dans les détails personnels de sa liaison passée avec Ian Mark, ne connaissant pas à son tour le rapport qui unissait les deux hommes. Comme s’il avait lu dans ses pensées, Gabriel l’encouragea à parler en lui confiant que Ian et lui étaient tout, sauf des amis.

— J’ai eu une relation suivie avec lui pendant quelques mois, il y a deux ans. Je supposais que notre connexion était sérieuse, mais je me trompais sur toute la ligne. Ce type a une façon de nous traiter qui nous fait imaginer que nous sommes uniques et spéciales. Il a un charisme incroyable, je le concède, mais ce n’est qu’une coquille vide quand on apprend à le connaître.

— Vous avez rompu ?

— Je ne pouvais pas vraiment rompre un lien qui n’était qu’une illusion. Ian avait une petite amie à New York, il avait seulement oublié de m’en informer.

Gabriel fixait Ian qui retournait dans le logement après avoir jeté sa cigarette par terre. Il ne semblait même pas s’être rendu compte qu’ils étaient là.

— Vraiment désolant comme comportement...

— Je supporte très peu sa présence en ce moment. Et le pire dans toute cette histoire c’est que, moi, j’ai appris de cette relation à ne plus me laisser embobiner par le premier beau parleur qui se présente à moi. Ian, quant à lui, ne semble pas avoir saisi que c’était mal de jouer sur deux tableaux en même temps. J’ai cru comprendre qu’il était débarqué ici parce qu’il convoitait une femme rencontrée dans son pays, mais il n’a toujours pas rompu avec sa petite amie qui le fait vivre à New York...

— Qui le fait vivre ?

Gabriel était de plus en plus intéressé par ce que Nastia lui racontait. En ce moment même, il découvrait que le monde était réellement minuscule. Les chances qu’il connaisse une ancienne maîtresse de Ian étaient aussi probables que de tomber sur une aiguille dans une botte de foin. Maintenant que Nastia était sur sa lancée, elle n’avait plus de filtres et se laissait emporter par son histoire d’amour avec Ian.

— C’est un mannequin professionnel. Elle gagne beaucoup d’argent. Ian n’arrive pas à trouver un emploi qu’il peut garder très longtemps...

— Il profite d’elle ?

— Ce n’est pas ce que je souhaite suggérer, mais disons que ça lui permet de faire encore plus ce qu’il désire, car elle est complètement sous son emprise. Mon frère m’a même avoué qu’elle tolérait ses écarts. Je suis désolée, docteur Jones, je ne devrais pas raconter tout ça...

Gabriel posa sa main sur l’avant-bras de Nastia dans un geste qui se voulait sympathisant. Il devinait qu’elle portait en elle encore beaucoup de ressentiment face à Ian. Elle s’était livrée avec confiance et il avait reconnu que, malgré son jeune âge, elle avait beaucoup de maturité. Elle saisissait beaucoup de choses. Si cette relation l’avait blessée, c’est surtout la trahison qui avait eu raison de sa colère. Le fait qu’il ait joué sur deux tableaux sans faire attention aux sentiments de celles avec qui il s’amusait.

Ce qui venait le chercher le plus, mis à part cette expérience, c’était qu’Emma devenait le double jeu de Ian, comme il l’avait fait pour son ex-petite amie. Il avait une relation prétendument sérieuse avec une autre, mais continuait sans cesse de courtiser la jeune femme. Tout ça le ramenait à sa propre histoire, et à sa vie.

— N’ayez crainte, Nastia, je comprends ce que vous avez vécu. Vous avez perdu confiance devant cette forme de trahison. Il n’a pas été franc avec vous.

Nastia était soulagée de s’être libérée de cette histoire. Elle n’avait pas un tas d’amis et ne connaissait pas beaucoup de personnes avec qui elle pouvait exprimer ce qu’elle ressentait. Aussi, le médecin lui avait permis de s’ouvrir sans juger son expérience de vie. Elle avait toutefois conscience que ça ne faisait pas d’eux de meilleurs amis non plus.

— Comment connaissez-vous Ian ? demanda-t-elle après un moment.

— Nous courtisons la même femme...

***

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Candice prit une longue gorgée de son verre de vin tout en observant Emma qui ne bougeait pas et attendait la suite. Elle devinait que la jeune femme était impatiente.

— Candice, est-ce que tu peux arrêter de faire toutes ces pauses ? C’est déjà assez difficile comme ça... Viens-en directement au but.

— Ta mère a fondé une nouvelle famille. Tu as un demi-frère et un beau-père.

— Vraiment ? J’aimerais bien connaître mon frère...

— Le problème, c’est que, lorsque je l’ai contactée, elle ne me rappelait pas. J’ai essayé maintes fois, tentant de lui acheminer des courriels, qui restaient eux aussi sans réponses. Puis, j’ai envoyé une lettre manuscrite. Je lui parlais de toi, de la femme que tu es, j’ai aussi évoqué ta sœur et ton frère que j’ai eu l’occasion de croiser...

Emma ne comprenait pas pourquoi Candice faisait tout ça pour elle. C’était incohérent.

— Elle ne veut vraiment rien savoir de moi, c’est ça.

Emma était blessée, mais s’y attendait. Elle ne pouvait pas concevoir qu’une femme ayant accouché de trois enfants, son propre sang, puisse les renier et les retirer de sa vie ainsi, sans regret ni remords. Candice baissa les yeux puis se leva et marcha vers elle pour la prendre dans ses bras dans un geste qui se voulait réconfortant. Emma s’écarta pour l’éviter. Elle ne souhaitait pas être consolée. Sa mère ne méritait pas de larmes. Les intentions de la femme d’affaires étaient purement amicales, mais Emma n’était pas à l’aise avec elle. Les effets de l’alcool la rendaient toujours plus sociable, de ce qu’elle avait pu observer chez Candice en général.

— Elle m’a écrit une lettre, je l’ai ici, qui explique les raisons de son départ et pourquoi elle ne désire plus renouer avec toi ni avec ton frère et ta sœur. Je suis réellement désolée, Emma. Je n’aurais pas dû aller fouiller... aller déterrer ce passé...

Candice leva les mains vers Emma qui, à son tour, souleva le bras droit dans un signe qui lui suggéra de ne pas s’approcher d’elle.

— C’est vrai que tu ne t’es pas vraiment mêlée de tes affaires sur ce coup-là. Pas du tout même. Mais, je suis heureuse de savoir pour ma mère. Le deuil sera plus facile maintenant. Je vais pouvoir avancer et arrêter d’imaginer toutes sortes de scénarios pour expliquer sa fuite. Merci, Candice...

— Je suis désolée... Vraiment...

— Tu as apporté cette lettre ?

Candice retourna vers le divan et attrapa son sac à main. Elle l’ouvrit et en ressortit une enveloppe qu’elle tendit à Emma. Il n’y avait pas d’adresse de retour, et l’écriture ressemblait à celle qu’il y avait sur le post-it qu’elle avait laissé lorsqu’elle était partie, vingt ans plus tôt.

— Je vais aller la lire dans ma chambre. Tu peux demeurer ici, s’il te plaît...

— Sans problème... Je vais finir mon verre... et rester pour m’assurer que tu vas bien avant que je parte...

— Merci, Candice.

Emma posa sa main sur l’épaule de Candice en signe d’amitié. Ce simple geste était nouveau pour elle, mais elle savait que la femme d’affaires avait fait tout ça pour elle et qu’elle devait tout de même être reconnaissante envers elle. Elle se rendit dans sa chambre et sauta sur le lit après avoir fermé la porte. Elle ouvrit la petite lampe de chevet et déchira l’enveloppe. Emma attrapa les feuilles blanches pliées en trois qui se trouvaient dedans. Elle les porta à son nez et les sentit. L’odeur de lilas et de roses lui rappela vaguement une période de son enfance. L’image de sa mère lui faisant un câlin après lui avoir raconté une histoire remonta en elle. Elle avait gardé le même parfum durant toutes ces années. La calligraphie était sans fioritures, mais elle semblait pressée et incertaine. Comme si elle s’était dépêchée à écrire cette lettre sur le coin de la table avant le retour de son mari ou de son fils.

« Madame Rose, j’ai bien reçu vos courriels ainsi que vos appels répétés. Si je n’y ai pas donné suite, c’est parce que j’avais mes raisons. Vous me déclarez que vous êtes une amie d’Emma. J’aimerais que vous arrêtiez de me contacter à son sujet. Je n’ai rien à dire de plus, sinon qu’elle fait partie de mon passé, un temps qui n’existe plus pour moi. Vous me trouvez peut-être dure de parler de cette façon de mes enfants, mais j’ai coupé ce lien lorsque je suis partie il y a vingt ans et, à mon avis, ils vivent mieux sans moi. Je me suis créé une autre vie ici, sans eux, une nouvelle identité aussi et je suis épanouie ainsi. Je n’allais pas bien à cette période de mon existence et je n’étais pas heureuse. J’ai pris la décision de me choisir et de partir pour me découvrir. Lorsque je me suis finalement retrouvée, je trouvais tout ça trop difficile de revenir avec le temps qui était passé. Je me suis dit qu’il était préférable de partir et de ne plus revenir. L’eau avait coulé sous les ponts. Aussi, je ne désire pas renouer contact avec eux. Donc, à partir d’aujourd’hui, j’aimerais que vous cessiez toutes tentatives de communication avec moi, sinon je me verrai dans l’obligation de me tourner vers la loi pour que cela s’arrête. Je vous remercie. Au revoir. Agelia ».

Une larme, une seule, tomba sur le papier. Emma cachait sa bouche d’une main tandis que l’autre tenait le document, tremblant de tout son être. Lire tout cela était difficile pour la jeune femme, mais c’était aussi libérateur de quelque chose profondément enfoui en elle. Une énergie ou une émotion qui était bloquée depuis des lustres et ne demandait qu’à sortir.

Elle relut la lettre à quelques reprises. Elle la replia, la replaça dans l’enveloppe et se dirigea vers la porte pour rejoindre Candice dans le salon. Elle s’était assoupie sur le canapé, la bouteille de vin était vide de même que son verre. Elle avait aussi bu le restant qu’Emma avait laissé sur la table basse avant de s’enfermer dans la chambre. Elle soupira et retourna dans sa chambre chercher une couverture qu’elle alla poser sur Candice. Il fallait se rendre à l’évidence qu’elle passerait la nuit sur son divan de seconde main.

— J’ai presque envie de t’aimer bien, murmura Emma en ramassant les verres et la bouteille vide pour éviter que Candice puisse se réveiller en sursaut et les faire tomber.

Elle se rendit sur son balcon et sortit son téléphone. Elle avait envie d’appeler une seule personne en ce moment même. C’était Gabriel. Pour elle, c’était inéluctable, elle avait besoin d’écouter sa voix à lui. Elle appuya sur son nom dans ses contacts et attendit que la sonnerie se fasse entendre. Il répondit après trois coups. Elle était mal à l’aise, mais c’était plus fort qu’elle.

— Salut, Gabriel, c’est Emma... je te dérange ?

Gabriel sourit en entendant sa voix.

— Salut, Emma. Non, tu ne me gênes pas du tout. Ça va ?

— Bah non, pas vraiment. J’avais besoin d’entendre... ta voix. Je sais que tu veux que j’aille au bout de mon histoire avec Ian. Que je devrais prendre mes distances de toi... Mais, quand je vis quelque chose de gros, c’est de ta voix que j’ai besoin, Gabriel. Juste toi.

Gabriel se sentit interpellé par le ton triste et soucieux de la jeune femme. Il aurait sauté dans sa voiture immédiatement pour aller la retrouver s’il ne se rappelait pas leur discussion du matin.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

Emma lui expliqua l’histoire de sa mère et de Candice en détail. Son sentiment de détresse en ce moment et, du même coup, la libération de connaître enfin la vérité à propos de sa mère et de sa fuite. Gabriel l’écoutait sans rien dire, avec attention, et c’était ce dont elle avait besoin. Elle savait qu’elle pouvait compter sur son écoute.

— Merci de ta présence malgré tout, Gabriel.

— C’est normal. Je tiens à toi. Permets-moi une seule remarque avant de raccrocher. Lorsque tu reverras Ian, demande-lui de te dire la vérité sur sa situation. Ce n’est pas à moi de tout te raconter, mais je crois que, s’il t’aime vraiment, il aurait dû le faire. Prends soin de toi et appelle-moi dès que tu en ressens le besoin. Je suis là.