Leçon d'ouverture de Marcel Mauss donnée le 23 février 1931 (Archives familiales)
(Début manquant)
[...]
dont quelques-uns avez été mes camarades d'études et d'autres même, mes élèves, et m'avez précédé ici, pour m'amener enfin parmi vous, j'ai des raisons bien particulières, comme vous voyez, d'être ému et affectueusement touché. Votre présence à tous, ce cercle si nombreux d'amis si fidèles, et qui manifestent si chaleureusement leur amitié, tout cela, m'émeut et même m'entraînerait peut-être bien loin du sujet, si la vue du travail à accomplir ne me faisait presser ces préliminaires. Accordez-moi seulement un instant encore, je voudrais rendre hommage en ce moment à la mémoire de deux de mes amis et patrons ici même, qui eussent [été] probablement parmi vous ce soir, et qu'une mort récente a enlevé au Collège de France et à mon affection : M. Renard{408}, dont la vie belle et longue fut consacrée à une fine littérature, à une gigantesque enquête sur le travail humain, à une action politique aussi pure qu'efficace. Et puis, M. Gley{409}, qui était pour moi l'ami d'enfance et de toujours de Durkheim, dont les siens furent toujours les amis des miens, qui, élève lui-même comme je le fus ensuite, grand savant et homme simple, dominait tant de voies de la science et de la philosophie. La disparition de ces deux maîtres ne doit pas m'empêcher de manifester en ce jour ma reconnaissance envers eux.
La chaire que m'assigne M. le Ministre succède à celle qui avait été fondée pour M. Izoulet. Je ne prétends pas cette nouvelle chaire tout à fait différente, succéder à M. Izoulet et encore moins rivaliser avec lui-même. Je saurai difficilement lui rendre tout l'hommage qu'un héritier plus direct aurait pu faire de lui. Une longue carrière, brillamment parcourue, dans l'enseignement secondaire d'abord, puis supérieur, des intermèdes d'action politique à côté des fondateurs de la République, une vie mondaine et une influence correspondante, l'imposent à bien des mémoires. Son œuvre, son enseignement, son action, sa puissante vitalité lui ont conquis de bonne heure une célébrité, une popularité difficiles à égaler. Mais je crois avoir été un assez fidèle témoin pour pouvoir vous dire pourquoi il obtint ces succès.
Il avait un talent de parole extraordinaire. Son art de généraliser toutes les questions, et en même temps de les simplifier, lui avait acquis un public qui lui reste fidèle par-delà la mort. Il vit encore ses doctrines et son impulsion. D'ailleurs les questions qu'il posait étaient plutôt de l'ordre de la pratique que de celui de la théorie. Mais son goût de la politique réussissait à s'exprimer sous une forme si purement philosophique, que les idées les plus hardies, les solutions les plus idéales et les plus lointaines, y perdaient tout caractère contentieux.
Mais le style et la pensée de M. Izoulet avaient deux autres caractères qui expliquent cette action. D'abord ils étaient poétiques au plus [ill] sens du mot, ensuite, ils étaient prophétiques.
D'abord, c'était une envolée nouvelle à chaque idée, et à cette exaltation, celle-ci gagnait une poésie, quelquefois très haute, mais qui en même temps réussissait à s'exprimer encore autrement, car non seulement la prose de M. Izoulet était naturellement rythmée, mais encore sa pensée elle-même s'équilibrait, en dyades, triades et décades. Ce n'était pas là simplement des moyens d'enseignement, mais c'était aussi un moyen de donner du nombre, une harmonie à la pensée elle-même. Les thèses, les antithèses, les éléments, les antinomies, les synthèses et les visions de la « Cité moderne » et des derniers livres de M. Izoulet sont scandés tout comme des strophes{410}.
Et cette forme et cette composition correspondaient à un trait profond de cette philosophie sociale. Elle était avant tout visionnaire : elle était pleine de rêves et de divinations magiques. À la Wartburg [sic]{411}, sur un bord de mer, ici même, M. Izoulet avait ses révélations. Il voyait le passé, sondait l'essence du présent, sentait déjà l'avenir de nos sociétés, de toutes sociétés, et tout cela d'un coup. Le transport philosophique et poétique était chez lui celui du voyant. Il était lui-même plutôt qu'un philosophe, un prophète. Mais prophéties, visions, poésie, philosophie, n'étaient croyons-nous pour M. Izoulet que des moyens d'action ? Il était avant tout, au fond, un homme politique, comme tout prophète digne de ce nom. Il pensait qu'on peut ainsi conduire le peuple. C'est le but qu'il s'assignait avant tout dans ses derniers ouvrages qui furent d'abord éprouvés par leur enseignement ici.
Ces ouvrages ne traitent guère que de pure politique. Mais cette politique est générale et idéale, éloignée de toute administration individuelle des hommes ou des choses particulières. Mais elle prétend lancer, le plus fort possible, les plus grands mouvements de législations et de mœurs. Dieu dans l'École{412}, ses autres livres, sont les documents d'une façon de penser qui, avec tout le respect que nous avons pour la mémoire de M. Izoulet, nous paraissent plutôt ceux d'un homme isolé que ceux de ce temps. En tout cas, cette façon de penser, de parler et d'écrire, est inimitable.
Nous ne suivrons pas M. Izoulet. La sociologie que je suis appelé à enseigner ici est chose plus austère, plus terre à terre, et en même temps, moins dirigée vers la pratique, que cette philosophie sociale ; elle est plus dénuée de poésie, mais aussi de passion. C'est cette froide science que nous devons pratiquer.
Messieurs, vous vous attendez peut-être en ce moment à un manifeste en faveur de la sociologie, vous attendez peut-être une défense et illustration de cette science dont d'excellents esprits contestent la portée, l'utilité, la valeur morale et pédagogique. Pour d'excellentes critiques, la doctrine de la sociologie semble encore incertaine. Peut-être espériez-vous, en ce moment, de ma part quelques réponses. Excusez-moi si je ne fais rien de tout cela. J'en serais honteux pour la sociologie elle-même. Il y a presque cent ans qu'à deux pas d'ici, Auguste Comte, le plus puissant des philosophes français du XIXe siècle, en prononça le nom dans un cours fameux, non mal fait, je le veux bien, mais enfin centenaire, et dès lors même ; il savait poser quelques-uns des problèmes les plus généraux que nous avons encore à traiter. Les principes de sociologie, la sociologie descriptive de Spencer, ont 65 ans. Les règles de la Méthode sociologique de Durkheim en ont 35. Sous le titre de philosophie moderne, Gabriel Tarde la professa ici expressément. Sa doctrine n'en faisait guère qu'une suite de développements psychologiques, je le veux bien. Mais il était par ailleurs un criminologiste distingué, et il sut répandre nombre d'idées suggestives{413}. Ici même d'ailleurs, a professé, il y a bien longtemps déjà Alfred Maury{414}, historien et théoricien de la magie, historien des institutions de l'Europe septentrionale ; ici, M. Flach{415}, eut une chaire d'histoire des institutions comparées. Ici Burnouf{416} fonda la mythologie comparée indo-européenne, et eut pour élèves Max Müller{417} et Renan{418}. Ici M. Bréal{419} enseignait la même chose en plus de la grammaire comparée. Ici, M. Meillet{420} enseigne, modèle à suivre en tout lieu de la sociologie non quantitative, la linguistique sociologique. Il a dégagé les principes d'une étude historico-généalogique des langues, et des principes loin d'être contradictoires à la méthode sociologique en découlent et en sont en même temps la plus parfaite expression. Car il est clair que non seulement les mots, mais toutes les institutions, toutes les modes, toutes les façons d'agir, de penser et de sentir en groupe ne peuvent être compris que vus sous l'angle historique et dans la généalogie des sociétés et des phénomènes sociaux. C'est pourquoi, il semble que nulle part mieux qu'ici, dans cette maison qui n'a peut-être jamais été fermée à cette science, si elle a été fermée au titre de cette science, où elle a toujours été professée sous des formes excellentes, il est inutile de légitimer l'étude scientifique des faits sociaux.
Et puis. Pourquoi disputer, argumenter sur une chose quand elle est. Pourquoi expliquer la bienveillance que le Collège de France vient de manifester à l'égard de la sociologie alors que depuis longtemps il fait figurer sur son affiche le titre de sciences sociologiques ? Il suffit simplement de comprendre à quel degré, partout et sur tous les points, la sociologie a cause gagnée. Il n'y a qu'à enregistrer simplement son intérêt. En ce moment, après le triomphe dans le monde catholique de Scheler{421}, philosophe et sociologue allemand, les séminaires et les chaires de sociologie abondent en Allemagne et même en Amérique les facultés de sociologie catholiques commencent à foisonner. C'est le cas de répéter avec la La Bible « Magna est veritas et prevalebit », « La vérité est grande et prévaudra. »
Le succès d'ailleurs est incontesté. Inutile d'en parler trop longuement. Le seul but de Durkheim, de ceux qui l'ont précédé : Saint-Simon, Comte, Stuart Mill, Spencer, Wundt, le seul but de ceux qui l'ont suivi, c'est de donner à tous le sens du social, le sens de la nouveauté et de la dignité du règne social, coïncidant avec la nouveauté et sans doute faisant la dignité du règne humain.
Or, ce but est atteint. L'histoire est devenue sociale et ne reste plus qu'accidentellement romancée ou anecdotique{422}. La géographie est devenue humaine{423} ; l'économie est devenue sociale et historique{424} ; tous ces mots sont d'autres mots pour dire sociologie. Je ne parle pas de la démographie et de la statistique qui est tout à nous « Quae tota nosta est ». Le droit et la religion sont d'un accord unanime soumis à l'interprétation sociologique. Et la seule discussion qui s'élève est de savoir si l'interprétation sociologique épuise ou n'épuise pas la matière. La linguistique depuis M. Meillet a réussi à fixer cette dose du social qui est dans les faits. La psychologie se joint à nous. Il est des psychologues, comme M. Dumas{425}, qui, revenant à Comte, ne voient guère d'intermédiaire psychologique entre le social et le biologique dans le comportement humain. Même certaines sciences de certains pays arrivent par une déviation et une exagération sans bornes, dont Durkheim n'eût sans doute pas nié la paternité mais dont nous déclinons tout de même la responsabilité, à n'apercevoir en tout qu'un problème de masse.
Que nous faut-il de plus. Nous sommes nobles de quatre quartiers. Quatre générations de savants sont déjà derrière nous et pour ne citer que l'avant-dernière, nous sommes riches des noms des Powell{426}, des Webb{427}, de Max Weber, de Durkheim, et de tant d'autres. Sur toute la ligne la bataille est gagnée. Chez tous, le sens du social progresse, s'affine, se vérifie.
La sociologie a plutôt maintenant à se défendre contre les entreprises des partis et des extrêmes parmi les partis ; elle a à se défendre contre une confusion entre elle et les dogmes d'action politique et religieuse, entre elle et la philosophe de la connaissance et de l'action. Il y a des livres de Scheler sur ces questions. C'est plutôt contre des excès qu'elle doit protester. Elle doit refuser une partie de cette popularité car elle n'a qu'à prouver la valeur de son entreprise par son seul progrès et ce progrès elle l'obtient dans l'intelligence, dans la dénotation et la connotation des faits sociaux, dans le dénombrement des faits, dans l'analyse de plus en plus fine et de plus en plus profonde des faits sociaux.
Ne perdons pas davantage de temps à calmer les préjugés ou même les animadversions. Elles sont sans fondement. Comme toute science la sociologie est indifférente aux critiques des philosophes comme aux résistances de la politique et de la religion. Ne s'adressant qu'aux faits, et ne pensant qu'à l'aide de l'observation et par raison, elle se croit compatible avec toute métaphysique pourvu qu'elle soit sensée, avec toute foi éclairée, pourvu qu'elle soit tolérante et respectueuse des faits. Elle ne voit aucune contradiction entre elle et des philosophies et des croyances de ce genre. Elle garde une attitude respectueuse vis-à-vis de toute résistance honnête, ne s'insurge que contre l'aveuglement et la mauvaise foi.
Une dimension de méthode serait non moins aride et ennuyeuse. Un exposé, qui serait dans ce cas nécessairement dialectique, sur la valeur philosophique des résultats déjà atteints serait aujourd'hui une pure perte de temps. Il n'est plus besoin d'exposer les procédés de la sociologie. Il n'est plus besoin de chercher des titres à une richesse acquise. Soumettons-nous aux dissertations des logiciens sur la méthode, aux dissertations des métaphysiciens sur la valeur de cette science. Mais n'y participons pas. Nous avons mieux à faire qu'à essayer de singulariser notre science et à essayer de l'opposer à tout ce qui n'est pas elle. Elle a vaincu, elle vaincra par la preuve, par le travail, par l'avance, par la marche... Si elle réussit à embrasser et à condenser en ce que Condillac, après d'Alembert et Leibniz, appelait un langage bien fait, des nombres de plus en plus considérables de faits, si elle réussit à les hiérarchiser logiquement. Si elle réussit à en susciter l'observation de plus en plus détaillée, elle a fait son ouvrage. Ce va-et-vient de la théorie aux faits est continu ; l'intérêt théorique des faits pousse à leur observation et celle-ci, apportant des faits nouveaux, jusqu'ici incompris, oblige à son tour à un effort théorique nouveau. Voilà la seule mais immense matière de nos travaux. Vis-à-vis de cette richesse, de cette fertilité de la nature sociale, que nos disputes d'écoles paraissent faibles, quand ce ne sont pas celles de pédants et de simples rivalités de chaires ? Vite, mettons-nous au travail.
D'ailleurs, ce sera pour moi ici une règle religieusement observée que celle de n'apporter dans cette chaire et dans cette maison où se fait la science aucune redite, aucun lieu commun. Or, si je vous parlais de ces questions, je serais obligé de vous répéter l'une des dernières incursions que j'ai faites dans le domaine de la philosophie et de la sociologie. Permettez-moi de vous renvoyer à ce que je viens de publier dans L'Année sociologique 11.2, dans un volume dont malheureusement la parution est retardée par ma très grande faute{428}. Vous y trouverez ce que je crois qu'il faut penser sur les divisions de la sociologie, sur les limites de la sociologie{429}.
Voici donc le plan de travail que nous allons suivre tant que force nous restera. Il a ses qualités et ses lacunes dont je vous dois aujourd'hui compte d'avance.
Comme toute œuvre de savant, celle à l'élaboration de laquelle vous assisterez tient à la fois du logique et de l'accidentel. Des nécessités historiques que nous nous figurons logiques, des contingences que nous nous figurons comme le produit du génie individuel mais qui sont faites du hasard de nos vies et de celui de nos ignorances, des ignorances de nos contemporains et de celles de ceux qui nous précédèrent, voilà au fond ce sur quoi nous travaillons tous.
Donc, n'attendez pas ici, un cours complet de sociologie, et encore moins un système complet. De ces systèmes il n'en existe en aucune science, sauf en mathématique. De ces cours bâtis par un individu, on n'en voit que de très rares et ils n'ont qu'une valeur temporaire. Durkheim lui-même a pu faire une œuvre de ce genre à l'origine de cette science. Il a pu en faire profiter ses élèves et ses disciplines. Il n'a pas eu le temps de la porter à la connaissance du public. Un cours de ce genre aujourd'hui ne pourrait être qu'élémentaire ou résulter de la collaboration d'une collectivité d'auteurs. Nous renoncerons donc sans doute à toute prétention dans ce sens.
La situation se complique encore davantage. Pour moi.
Il se trouve que vis-à-vis de la sociologie comme vis-à-vis de moi-même, j'ai un double devoir à remplir, impérieux et urgent. Capable peut-être de le remplir, c'est celui dont nos morts m'ont chargé. Chacun d'eux avait pu, dû et voulu suivre une voie logique dans la position des problèmes auxquels il consacrait sa vie. Les charges de l'existence pouvaient bien les distraire plus ou moins de la voie rectiligne, les douceurs de la paix et de la vie d'avant-guerre leur permettaient, et nous permettaient à tous, de suivre notre pensée et de lever une à une les difficultés de faits et de cohésion qu'elle rencontrait. Maintenant la ligne de nos vies est toute brisée et la ligne de leur vie à eux est finie. La guerre, la mort des uns, l'usure des autres qui n'y disparurent pas bouleversèrent tous nos plans. Ce qui était harmonie est devenu un chaos. Vis-à-vis de la science et vis-à-vis des morts il nous faut y porter ordre.
Et maintenant, ainsi Ulysse et Enée qui devaient avant d'achever leur route payer la dette de leur culte aux mânes de leurs compagnons perdus, de même je me sens ici comme entouré de la foule de nos ombres aimées. C'est Durkheim, mon maître et mon second père, avec sa tête forte et pensive, ses beaux yeux bleus myopes et sa voix passionnée. C'est la forte figure tendre et claire d'Henri Hubert, mon ami et mon frère de travail, une moitié de moi-même arrachée par la mort. Tous deux me laissent leurs instructions sur une œuvre immense qu'il reste à publier et à faire connaître. C'est Robert H. Hertz{430}, le plus cher et le plus grand de ceux qui travaillèrent après nous, cœur aimant, pensée solide, héros mort jeune comme mouraient les héros, qui me laisse au moins deux beaux ouvrages. Ce sont nos saintes victimes de la défense nationale, Bianconi{431}, David{432}, Gelly{433}, Régnier{434} [sic], qui tous, défrichaient déjà leurs champs envahis maintenant par l'oubli. Et tant d'autres... C'est Maurice Cahen{435}, miné par la guerre et cruellement fauché, qui me transmet son travail sur l'idée de sens chez les Germains. C'est toute leur œuvre qui retombe sur mes épaules. Dur fardeau qu'il faut décharger en hâte. Nous nous dépêcherons donc avant qu'il soit trop tard, avant que cette façon de poser les problèmes et de les traiter, avant que les faits dont ils se servaient soient plus ou moins démodés, avant surtout que ceux qui collaborèrent avec eux, qui sont capables d'utiliser leurs notes, leurs manuscrits souvent presque parfaits, soient disparus à leur tour.
J'espère pouvoir publier et je suis reconnaissant au Collège de me permettre de faire en tout cas part ici, à un public fidèle d'étudiants bien préparés, des résultats obtenus par nos morts. Peut-être y ajouterai-je un peu de mon cru. En tout cas, j'essayerai sincèrement de ramasser le flambeau qui ne vacillait pas dans leurs mains. Je ne crois pas que vous perdrez si je tente simplement de les faire parler. Il me semble même les entendre m'exciter à ce pieux sacrifice et cela dans vos intérêts. Il me semble même que j'entends à côté d'eux la voix, l'objurgation amicale, chaude et violente de celui qui fut notre animateur et notre critique à tous, Lucien Herr{436}, qui m'ordonne ce travail.
Déjà deux volumes inédits de Durkheim sont sortis, son « Éducation morale{437} » et son « socialisme{438} ». Sans doute l'année prochaine pourrai-je vous exposer sa « Morale civique et professionnelle ». Ensuite, je ferai peut-être de longs cours où je vous indiquerai ce que furent ses recherches sur la famille et vous profiterez d'une vaste synthèse que connaissent bien tous ceux qui furent ses élèves{439}. Peut-être même, pourrai-je sauver encore quelques fragments de sa « Morale{440} ». Sans rien promettre du reste qui est immense.
D'Henri Hubert, le livre sur les Celtes s'imprime{441}. Je pense que notre piété commune, de Lantier{442}, de Marx{443} et la mienne, feront paraître un deuxième volume sur la société celtique{444}. Avec la collaboration de M. Jansé, j'espère publier les Germains{445}.
Enfin il y a une partie de notre œuvre commune qui est écrite depuis de longues années, que nous n'avons pas publiée en même temps que notre « Théorie générale de la magie »{446}. Ce second travail sur les « Rapports de la magie et de la religion », à ma grande surprise, reste encore valable après vingt-cinq ans.
Il se peut enfin que, faisant face à une promesse depuis longtemps engagée, je puisse mettre sur pied l'ensemble de nos recherches communes sur la notion de « sacré ». L'admirable travail de Maurice Cahen sur Heil, Heilig, prendra place ici{447}.
De Hertz, les recherches sur « Le Pêché et l'expiation dans les sociétés inférieures{448} » feront ici l'objet de plusieurs dizaines de leçons, les siennes, ou si l'on veut les miennes, mais que je n'aurais pas pu écrire sans ses nombreux brouillons, sans l'ordre extraordinaire de ses admirables fiches{449}.
De grandes œuvres seront peut-être ainsi sauvées. Ce travail impersonnel, vous en serez peut-être d'accord, est encore plus digne du Collège de France, que celui que je pourrais apporter moi-même. Ne pensez-vous pas que c'est une noble vie que de rendre à ce public ici, l'arrivée de toutes ces œuvres de si grands savants et de si beaux esprits. On me pardonnera certainement ce laborieux effacement. Il fera plus rapidement et plus grandement avancer la science ; il fera plus d'honneur au Collège de France et à la science française que quoi que ce soit que je puisse faire de personnel.
[Suite manquante qui devait, en toute logique, concerner les travaux personnels de Mauss.]