Je fêtais mes huit ans lorsque l'alarme sonna. En fait, il s’agissait plus d’un coup de téléphone que d'autre chose. Mes parents ont répondu, et je ne me souviens que trop bien de leurs regards apeurés. C'était la première fois que je percevais ce qu'ils ressentaient sans avoir à le deviner.
— Oracle, a ordonné ma mère, va vite prendre des vêtements dans ta chambre et redescends immédiatement.
La nervosité commença à me gagner alors que je montais à l’étage, comme un étau qui se resserrait lentement autour de ma gorge. Pourquoi devions-nous nous dépêcher ? Comment pouvais-je percevoir la peur de mes parents ? L’instinct ? Je ne comprenais pas le drame qui allait se produire. Je me rendis rapidement dans ma chambre en me demandant ce qu’il se passait. Je pris un petit sac, mis ma poupée favorite à l'intérieur, car je ne voulais pas l’abandonner, ainsi que du linge attrapé au hasard. Lorsque je retournai au rez-de-chaussée, ma mère me prit dans ses bras et courut rejoindre mon père qui était à l'extérieur. Au loin, j'entendis un loup hurler. Puisque nous habitions en montagne, nous avions l'habitude d’en entendre, mais ce hurlement n'avait rien d'ordinaire. Il laissait sous-entendre que quelque chose de terrible allait se produire. Je me retins d’éclater en sanglots. Une fois que nous fûmes tous installés dans la voiture, mon père démarra et appuya sur l'accélérateur. Nous roulâmes pendant des heures. C’est du moins l’impression que j’eus. Mes parents ne prononcèrent pas un mot, et j’avais le sentiment que mon père roulait plus vite que d’habitude. Comme si nous avions le diable à nos trousses.
— Maman, où allons-nous ? ai-je alors demandé.
— Dans un endroit sûr.
Ce fut sa seule réponse.
Mon père gara soudainement la voiture sur l’accotement et me regarda.
— Tout va bien se passer, Oracle, nous sommes arrivés.
Il sortit du véhicule et alla prendre les bagages. Ma mère, Iris, sortit à son tour et me prit de nouveau dans ses bras. Nous étions au milieu de nulle part. À mon grand étonnement, mes parents s’enfoncèrent dans le boisé qui bordait la route. Je pouvais entendre des cris de protestation au loin, mais ne distinguais que des feuilles et des branches. Au bout de quelques instants, j’aperçus un rassemblement d’une centaine de personnes. Au centre, deux immenses arbres entre mêlés s’élevaient vers le ciel. Je me souvins alors des histoires que ma mère me racontait sur notre peuple. Elles expliquaient comment nos ancêtres avaient emprunté des portails pour venir sur Terre, et je compris, sans le moindre doute, qu’il s’agissait de l’un d’eux.
— Nous ne pouvons pas les laisser nous assimiler ! criaient plusieurs elfes.
— Nous devons rester ici et nous battre ! hurlaient d'autres.
Mes parents et moi traversâmes cet attroupement d’elfes rapidement. J'essayai d'écouter les conversations. Malheureusement, il y avait tellement de monde que je n’entendais que des bribes de dialogues :
— ... fuir vers la terre de nos ancêtres...
— … ils arrivent...
Tout à coup, un hurlement atroce retentit.
Tout le monde se tut et tourna la tête dans la même direction comme une seule et même personne. Je ne pus m'empêcher de faire de même et je figeai de stupeur. Des loups, ainsi que des hommes, avaient commencé à nous encercler. Les elfes, calmes jusqu’à maintenant, se ruèrent vers le portail en se bousculant. Quelques-uns restèrent de marbre, tandis que d'autres se placèrent en position de combat.
Et puis ce fut le chaos.
Les loups-garous attaquèrent en premier et les elfes ripostèrent. Mon père jura. Ma mère me serra plus fort contre elle en avançant vers le portail. Des cris de douleur fusèrent d'un peu partout, et je vis des gens tomber au sol, mortellement blessés. Soudain, un loup passa à côté de nous et je hurlai de terreur. Heureusement, il continua sa route et bondit sur un garde qui avait le dos tourné. Je regardai la distance qui nous séparait du portail et repris courage. Nous étions tout près. La reine avait déjà traversé le portail, la foule de gardes autour de l’arbre en question en était la preuve, mais le roi manquait à l’appel.
C’est alors que je me sentis tomber. Un instant plus tôt, ma mère me tenait dans ses bras, et je me trouvais désormais par terre. Terrorisée, je relevai la tête et vis mon père se battre contre un loup gigantesque à quelques pas seulement de moi, bloquant le passage qui menait au portail. Le pelage de la bête était blanc et noir et se fondait presque avec la nuit. Mon père combattait à mains nues et était donc désavantagé. Ma mère voulut lui porter secours, mais se fit projeter au sol par le monstre. Le loup bondit alors sur elle et la griffa au visage. Du sang gicla et je poussai un hurlement. Mon père tenta de repousser la bête pour sauver sa femme et trébucha sur un corps. Son adversaire sauta sur l'occasion et le mordit à la jambe.
Je me relevai et courus pour aider mes parents qui étaient en difficulté, mais que pouvait faire une petite fille d’à peine huit ans ? Je sautai sur le dos du loup et tentai de l'étrangler de mes petites mains. D'un coup de patte, il me fit tomber et me griffa le ventre. Je hurlai de douleur et tentai de m'enfuir en reculant du mieux que je pus. Le loup poussa alors un glapissement de détresse et se retourna pour voir qui l'avait attaqué. Un garde royal se tenait devant lui et le poussait loin de moi. Mon père se releva et demanda au garde de m’amener jusqu’au portail avant de fondre de nouveau sur le loup. Le garde s’exécuta et me saisit par la taille. Je lui hurlai de me relâcher et d’aider mes parents, mais il continua d'avancer. Je tournai la tête pour apercevoir mes parents, mais tout ce que je vis avant de franchir le portail fut le regard vide de ma mère et le corps de mon père qui tombait sous l’assaut du loup-garou.