Je me réveillai en sursaut, trempée de la tête aux pieds.
— Au nom de Dacre, pourquoi ? dis-je en me retournant pour observer Alexandre qui se trouvait à droite de mon lit, un seau vide dans les mains.
Il pointa ma fenêtre du menton, et je vis qu'il faisait jour. Habituellement, je le rejoignais à l'aube, mais je n'avais visiblement pas réussi à me lever cette fois-ci.
— Tu es en retard.
— Je viens de le remarquer. Mais pourrais-tu me dire pourquoi tu n'as pas simplement cogné à ma porte, comme le ferait une personne sensée, au lieu de me vider de l'eau sur la tête ?
Je le regardai en plissant les yeux. Depuis qu'il avait commencé à m'entraîner, j'étais sûre et certaine qu'il prenait un malin plaisir à me torturer. Il haussa les épaules.
— J'ai cogné, personne n'a répondu. Et puisque tu m'as fait attendre plusieurs heures et que je ne veux plus que ça se reproduise, ça te servira de leçon.
— Eh bien, tu aurais dû cogner plus fort, maugréai-je en balançant mes jambes hors de mon lit.
Je me levai et le contournai. J'ouvris un tiroir de mon armoire d’un geste sec pour prendre mes vêtements d’entraînement. J'allai me changer dans la salle de bain en songeant qu'il était inutile que je remplace les draps, puisqu'ils sécheraient dans la journée. D’ailleurs, ce n’était pas comme si j’avais du temps pour cela. Lorsque je sortis, je vis Alexandre assis sur mon canapé.
— Es-tu prête ?
Je secouai la tête.
— Je dois manger.
— Alors, dépêche-toi. Je te donne cinq minutes.
Je fonçai vers la cuisine, pris du pain avec du fromage et mangeai le plus vite possible. Je n’avais pas envie de recevoir un autre seau d’eau en plein visage. J’ignorais s’il en avait caché un autre quelque part pour l’utiliser si jamais je faisais quelque chose qui lui déplaisait. Alexandre se dirigea vers la sortie et me dit de manger le reste en chemin. Je le suivis docilement tout en prenant la peine de savourer mon déjeuner. Une fois à l'extérieur, il ne prit pas la direction de l'armurerie, mais celle du village principal.
— Où allons-nous ?
Il continua d'avancer sans prendre la peine de me répondre. Il salua plusieurs gardes et membres du conseil, puis il bifurqua à gauche en empruntant un petit chemin qui traversait la forêt. Après quelques minutes de marche, il s'arrêta finalement. Je remarquai alors qu'il portait des vêtements plus légers que d’habitude : une simple camisole et un short de sport. Il avait troqué ses bottes noires pour des espadrilles de course qui avaient l'air extrêmement légères.
— Alors, par quoi allons-nous commencer ? demandai-je avec excitation. Des techniques spéciales de combat ? Je pourrai te frapper comme je le veux ? Ou bien tu vas encore tester mes réflexes ? Honnêtement, la deuxième option ne me dérange pas, je le ferai même avec plaisir.
— Malheureusement pour toi, nous ne ferons aucune de ces superbes suggestions.
— Non ? Alors quoi ?
— Nous allons jouer au chat et à la souris.
Je le regardai sans comprendre. Avais-je bien entendu ? Je me grattai la tête et posai mes mains sur mes hanches en me penchant vers l’avant.
— Au chat et à la souris... ?
Alexandre se pencha pour prendre une petite roche et s’amusa à la lancer dans les airs avant de la rattraper. Dacre qu’il aimait me faire attendre !
— Comme tu le sais, les loups-garous sont des prédateurs. Ils ont une vue excellente, autant dans le noir qu'en plein jour. Leur odorat est aussi très développé, et ils n'ont aucune difficulté à pister leur proie. Si tu veux obtenir des renseignements sur eux, tu devras apprendre à te camoufler pour qu'ils ne te repèrent pas. Ce sera ta première leçon. Tu devras te servir de la direction du vent pour camoufler ton odeur, ainsi que des ombres pour mieux te cacher. Tu devras utiliser ce qui t'entoure pour le mettre à ton avantage, ne l'oublie pas. Il n'y a rien d’autre autour de toi qu'un buisson, alors sers-t’en.
— Mais quel est le rapport entre jouer au chat et à la souris et me camoufler ?
Il émit un petit bruit de langue désapprobateur.
— Le chat est le prédateur, la souris est la proie. Je serai donc le prédateur, et toi la proie. La proie ne peut pas chasser le prédateur tant qu'elle n'arrive pas à le fuir, alors elle ne peut faire qu'une chose, se cacher en espérant que le chasseur ne la repère pas. Comprends-tu ?
J'assimilai les informations qu'il venait de me donner et je répondis :
— Alors, si tu ne me trouves pas, je gagne ?
— Oui, cependant je t'avertis, je ne te donnerai aucune chance. Si tu m'échappes, nous inverserons les rôles. Tu dois néanmoins savoir que le rôle de la proie est parfois plus important que celui du chasseur, car si la proie échappe au prédateur, elle se transforme en prédateur, et le prédateur devient la proie.
Je fis un signe pour l’aviser que j'avais compris.
—Tu m'as dit que cela ne serait que ma première leçon, que ferons-nous ensuite ?
— Chaque chose en son temps. Tu as un long chemin à parcourir avant de parvenir à la deuxième partie de ta leçon.
— Puis-je te poser une autre question ?
Il me regarda et attendit.
— Est-ce toi qui as conçu mon programme d’entraînement ? Seul, je veux dire.
Il approuva.
— Mais quand l'as-tu créé ? lui demandai-je, curieuse.
— La journée même où je t'ai vue, lorsque la reine t'a amenée à moi.
J’ouvris la bouche avant de la refermer et de l’ouvrir de nouveau. Je le regardai de la tête aux pieds et plissai les yeux. Il n’était pas sérieux ? Il inventait au fur et à mesure ? N’était-il pas censé prendre mon entraînement au sérieux ? Ma mission n’était-elle pas la chose la plus importante pour notre peuple ? Pour obtenir justice ?
— En une seule journée ? l’interrogeai-je finalement.
— Je suis réputé pour avoir un grand sens de l'observation.
Je le regardai, bouche bée.
— Oui, mais de là à faire un programme complet, c'est tout de même quelque chose, non ? Tu es certain de ne pas avoir aussi un ego surdimensionné ?
— Pourquoi crois-tu que Sa Majesté m'a choisi ? Je suis capable d'observer les points forts et les points faibles des gens. C'est ma spécialité. La reine ne voulait pas perdre de temps à attendre que quelqu'un te confectionne un programme alors qu’elle savait que je suis capable d'en produire un en une journée.
J'étais impressionnée, mais septique.
— Bien sûr, avec toi, j'ai eu quelques difficultés à trouver des points forts, mais j’ai dû m’y faire. Il faut dire que tes points faibles étaient extrêmement faciles à voir.
Je cillai. Il avait dépassé la limite cette fois-ci. Je tentai de le frapper, mais ne touchai que du vide. Je me redressai en le maudissant. Voilà qu’il ne se tenait plus devant moi, mais à ma droite. Comment avait-il fait pour bouger aussi rapidement ?
— Il va falloir que tu sois plus rapide si tu veux frapper un loup, chérie.
— Ce n'est pas un loup que je tentais de frapper, grommelai-je
Sans tenir compte de ma remarque, il me dit :
— Nous commençons. Je vais te laisser vingt secondes d'avance pour débuter. Tiens-toi prête.
— Cela devrait être un jeu d'enfant, dis-je pour le provoquer. Vingt secondes ? Tu es bien trop généreux.
Il commença le décompte et je m'enfonçai aussitôt dans la forêt en courant. Il était certain que j’allais y goûter.