Alexandre me conduisit jusqu’à une maisonnette légèrement en retrait des autres. Elle était plutôt petite vue de l'extérieur, mais elle avait l'air chaleureuse.
Alexandre cogna et me fit signe d’approcher. Je m’exécutai. La porte s'ouvrit, laissant place à une magnifique femme d'environ 50 ans. Sa ressemblance avec Alexandre était frappante. Elle avait un nez légèrement retroussé et des yeux verts. Ses cheveux blonds lui arrivaient au niveau des hanches. Moi qui pensais avoir affaire à une vieille femme toute ridée, je m'étais trompée. Elle était resplendissante. Elle prit Alexandre dans ses bras et le serra longuement.
— Alexandre, comme tu m'as manqué, dit-elle en le relâchant finalement.
— Ça ne fait pourtant qu'une semaine que je ne suis pas venu te voir, tante Sachka.
— Eh bien, c'est tout de même trop.
Elle se tourna vers moi.
— On dirait que tu as amené une amie, comment t'appelles-tu, ma chérie ?
Je compris d'où Alexandre tirait ses surnoms.
— Je m'appelle Oracle, dis-je en faisant un signe de la tête.
Au lieu de me répondre simplement par un geste de la tête, elle me prit dans ses bras. Je restai interdite pendant un moment. Habituellement, les elfes évitaient de se toucher, car il s’agissait d’un signe d'affection et, comme pour les émotions, d’un signe de faiblesse. Plutôt tordu selon moi. J'avais trouvé étrange qu'elle serre Alexandre dans ses bras, mais je m'étais dit que, puisqu'il était un membre de sa famille, c'était normal. Mais elle faisait visiblement cela avec tout le monde. Ne sachant pas trop quoi faire, je laissai mes bras le long de mon corps, mes sacs toujours dans les mains.
— Tante Sachka, je crois que tu gênes ton invitée.
Elle s'écarta aussitôt de moi.
— Je te prie de m'excuser, ma chérie. Je me suis laissée emporter. J'ai seulement de mauvaises habitudes, cela n'arrivera plus.
J'eus un pincement au cœur. Cela faisait tellement longtemps que l’on ne m’avait serrée ainsi. La dernière fois, si je me souvenais bien, c’était lorsque ma mère m'avait portée, la nuit de l'évacuation d'urgence.
— Non, non, ce n'est rien. C'est seulement moi qui suis restée surprise. Je ne m'attendais pas à cela, c'est tout.
Sachka m'observa un moment. Son visage, comme ceux de tous les elfes, ne démontrait aucune émotion.
— Tu dois être l'élève dont Alexandre m'a tant parlé. Celle dont on peut lire sur le visage.
Je hochai la tête sans savoir s’il s'agissait d'un compliment ou d'une critique. Alexandre prit la parole.
— Cela faisait un bout de temps que je voulais te présenter ma tante. Elle raffole des humains et elle me harcelait pour te voir.
Mon visage s'illumina.
— C'est vrai ?
Ce fut au tour de Sachka de hocher la tête. Elle pivota tout d'un coup vers la porte.
— Mais quelle hôtesse pitoyable je fais ! Venez donc à l'intérieur vous réchauffer, il commence à faire frais à l'extérieur.
Elle pénétra dans la maison et nous fit signe de la suivre. Je suivis Alexandre et lui demandai où je pouvais poser mes sacs. Il désigna un endroit à côté de la porte.
— Voulez-vous quelque chose à boire ? Le souper est presque prêt. Comme entrée, il y a de la salade, et du saumon en plat principal. J'espère que ça ira.
— Bien sûr, tante Sachka.
— Oui, je trouve cela parfait, merci beaucoup, et désolée d'arriver à l'improviste.
— Voyons, ma chérie, comme l'a dit Alexandre, j'étais très curieuse de te rencontrer. Et puis j'ai tellement peu de visite que cela me fait plaisir.
Je lui souris.
L'intérieur de sa maison, comme l’extérieur, était très accueillant. Un papier peint crème et blanc tapissait tous les murs du salon. De là, je pouvais apercevoir une petite partie de la cuisine. Les canapés étaient noirs, ce qui faisait ressortir le papier peint. Je me sentais comme chez moi. Plusieurs bougies étaient allumées ici et là, et il y avait même le portrait d’un enfant, en peinture, accroché sur un mur. Ses traits me rappelaient quelqu'un. Je me tournai aussitôt vers Alexandre, puis regardai de nouveau la toile.
— Mais… c'est toi !m'exclamai-je en riant. Tu étais tellement mignon ! Malheureusement, cela a changé avec le temps.
— Heureusement, tu devrais dire. C’était un petit diable, informa Sachka.
— Oh !il l'est encore. Il me torture chaque fois qu'il le peut.
— Tu le mérites, chérie, répliqua l'intéressé. Tu mets mes nerfs à rude épreuve dès que l’occasion se présente.
— C’est faux !
Comme à son habitude, Alexandre ne prit pas la peine de répondre.
— Bon, cela suffit, les enfants ! Passons à table. C'est vous qui allez mettre mes nerfs à rude épreuve si vous continuez.
— Je suis plus âgé qu'elle !
— N'empêche, je te connais suffisamment pour croire que tu dois être bien pire qu'elle. Va, il est temps de manger !
Voyant qu'Alexandre allait répliquer, elle ajouta :
— Veux-tu aller en punition comme quand tu étais enfant ?
Je plaquai une main sur ma bouche pour me retenir de rire. Alexandre se faisait enfin réprimander. J'avais envie de bondir sur Sachka pour l'embrasser.
— Allons manger, dit-il sombrement.
Durant le repas, Sachka me posa des questions concernant l'entraînement que je subissais, et Alexandre ajoutait parfois un commentaire ou deux. Il dit aussi que je faisais d'énormes progrès, mais que le temps allait peut-être manquer. Sa tante me demanda si je savais à quoi ressemblait la Terre maintenant, et si les choses avaient beaucoup évolué. Puisque je ne connaissais pas la réponse, je lui dis que la reine allait m'en informer plus tard.
Je lui racontai la mort de mes parents, et Alexandre m'écouta avec attention. Je lui parlai de la rage que je me forçais de contrôler, et exprimai à quel point l'entraînement de son neveu m'aidait à me calmer.
Par la suite, ce fut à elle de me conter des récits sur les humains qu'elle avait côtoyés sur Terre. Elle me raconta comment ils chassaient les animaux pour ensuite les manger, alors que certains en élevaient. J'étais dégoûtée. Nous, les elfes, étions végétariens, mais nous mangions tout de même du poisson. Manger de la viande animale était donc quelque chose d'étrange pour nous. Penser que les humains et les garous en mangeaient était bizarre.
Elle me raconta aussi des anecdotes sur Alexandre, lorsqu'il était petit, et confirma à quel point il était détestable. Alexandre ne niait pas et ajouta même quelques anecdotes de son cru. J'étais étonnée de l’entendre parler autant. Lui qui pouvait rester des heures sans prononcer un mot. J’étais heureuse de le voir ainsi.
Le reste de la soirée se déroula calmement, et lorsqu'il fut temps de partir, je serrai Sachka dans mes bras. Je pris mes sacs et attendis qu'Alexandre dise au revoir à sa tante. Sur le chemin du retour, nous ne dîmes pas un mot. Alexandre me raccompagna, et je le remerciai pour cette magnifique soirée. Nous nous regardâmes quelques instants. Lorsque je pivotai pour rentrer, il saisit ma main et me tira contre lui. Il me tint brièvement dans ses bras avant de me libérer. Il s’en retourna d'un pas raide et me lança, par-dessus son épaule :
— Ne sois pas en retard demain.
Abasourdie, je le fixai sans pouvoir lui répondre.