Je me dirigeais vers la forêt lorsque l’un des gardes royaux m'intercepta.
— Monsieur, pourriez-vous me suivre, je vous prie ? La reine désire vous parler.
Je le regardai un moment, espérant le mettre mal à l’aise pour qu'il m'en dise plus. Mes silences avaient le don de mettre les gens mal à l'aise, ou en rogne. Malheureusement pour eux, j'adorais agir ainsi. Bien entendu, il y avait Oracle. Elle ne faisait partie d’aucune de ces catégories. Soit elle se fâchait, soit elle se fichait de moi. Parfois même les deux. Peu de gens se fichaient de moi. J'avais une réputation trop importante pour qu’ils se le permettent, et ils ne voulaient pas m'avoir comme ennemi. Évidemment, il semblait qu’à la cour, seule Oracle ne connaissait pas ma fameuse réputation. Elle était beaucoup trop distraite pour cela. C'était rafraîchissant. Un peu trop même.
J'eus soudainement envie de cogner quelque chose. Ce simple nom suffisait à me déstabiliser. Où étaient donc passés mon sang-froid et mon indifférence ? Oracle n'était supposée être que mon élève, rien de plus. Une erreur de la nature parmi notre espèce. Au lieu de cela, je trouvais que ses expressions faciales étaient mignonnes. Mignonnes ! Dacre, je n’étais pas le genre de type à trouver des choses mignonnes. Plusieurs jeunes femmes me faisaient la cour. J’aurais pu choisir n’importe laquelle. Mais non, il avait fallu que je m'éprenne d'elle. Une adolescente en quête de vengeance qui semblait se ficher de moi et qui, par-dessous tout, était la seule erreur de notre peuple. J'étais le meilleur garde royal de Sa Majesté et assistais de temps en temps au conseil, car mon avis était important. Jamais je n'aurais pu tomber plus bas.
— Je n'en sais pas plus, finit par avouer le garde. Elle m'a simplement dit que c'était important.
Sans un mot, je me dirigeai vers la salle du trône. Clarice était une personne exigeante, et il ne fallait pas la contrarier. De plus, elle avait toujours une idée derrière la tête, ce dont je me méfiais fortement. Le pauvre garde dut courir pour me rattraper. Sa tête me disait quelque chose, mais je ne me rappelais pas où je l’avais aperçu la dernière fois.
— Comment vous appelez-vous ?
— Faon. Nous avons appris à nous battre dans la même classe.
C'était donc cela.
— Quel est donc votre poste, maintenant ?
Il ne parla pas pendant plusieurs secondes.
— Je ne suis qu'un messager. Je n'avais pas d'assez bonnes compétences.
C'est ce que j'avais pensé. Je l'avais observé et il avait l'air de ne posséder aucune spécialité. Plutôt triste. Nous continuâmes à marcher en silence le reste du trajet.
Quelques minutes plus tard, nous arrivâmes à destination. Il me dit d'attendre un moment et il entra dans la salle du trône. Sûrement pour avertir la reine de mon arrivée. Que me voulait-elle ? Me voir pour une rencontre du conseil ? Le baiser que j’avais échangé avec Oracle m’effleura l’esprit et je serrai le poing. Elle ne pouvait pas être au courant. J'avais demandé à Oracle de ne raconter à personne ce qui s’était produit entre nous. Et puis, ce n'était pas comme si elle avait pu en parler à quelqu'un. La majorité des gens la fuyaient comme la peste. Il n'y avait qu'une personne à qui elle aurait pu en parler. Noah, un membre du conseil.
« Ce n'est pas vrai ! Ne me dites pas qu'elle a été stupide à ce point ? »
Sans attendre l'autorisation des gardes, je pénétrai dans la salle du trône. Le messager était à genoux devant la reine et, surprise, surprise, qui était à ses côtés ? Notre cher Noah ! Il regarda par-dessus son épaule pour voir qui était le nouveau venu, et ses yeux rencontrèrent les miens. Le traître. La seule personne en qui Oracle avait confiance venait de la trahir. Je le fixai pendant un moment, puis reportai mon attention sur la reine.
— Je croyais que mon identité était censée demeurer secrète, Votre Majesté, dit Noah.
La reine ne lui répondit pas.
— Sacha, tu ne sais toujours pas obéir lorsqu’on te donne un ordre.
— Surtout lorsqu’un simple messager me donne un ordre, lui dis-je, peu étonné qu'elle utilise mon surnom russe.
Clarice me fixa de ses yeux noirs et perçants. Je regardai tour à tour la reine et Noah. Misère, Oracle lui avait vraiment tout raconté.
— Tu as raison, dit-elle. Allons droit au but, si tu le veux bien. Peux-tu m'expliquer ce qui s'est passé avec l’Erreur ?
— Je crois que vous le savez très bien.
Je regardai Faon. Que faisait-il encore ici ?
— Messager, vous pouvez disposer, ordonna la reine comme si elle lisait dans mes pensées.
Celui-ci partit aussitôt au pas de course.
— Tu me déçois énormément, Sacha. Je te croyais de glace. Je pensais que tu serais parfait pour entraîner Oracle. Qu'il n'y aurait aucune distraction.
— Écoutez, je sais que ce qui s'est passé est mal.
— Mal ? Seulement mal ? Voyons mon cher, ce qui s'est passé est plus que mal. Tu sais que cette mission est d'une importance capitale et toi, tu offres à cette Erreur une distraction. Chose dont elle n'a absolument pas besoin. Lorsqu'elle sera sur Terre, elle n'aura point le temps de penser à toi. Elle ne possède rien, hormis son cher Noah, et je veux que cela demeure ainsi. Si elle doit se sacrifier pour le bien de la mission, je ne veux pas qu'elle hésite. Seulement, si elle tombe amoureuse, elle aura une raison de demeurer en vie. Et voyez-vous, je ne veux pas de cela.
Noah ne disait rien. Il se contentait de fixer le sol. Se souciait-il au moins du sort de sa propre cousine ? Ou s’en fichait-il ? Si je me souvenais bien, il avait perdu sa mère à cause des loups. Voulait-il se venger ? Au point de sacrifier Oracle ? Je l'analysai. Non. Il aimait profondément sa cousine. Cependant, puisqu'il était au conseil, il devait penser au bien-être des siens avant tout. Même s'il devait trahir sa propre famille.
La reine continua de parler :
— Écoute-moi bien, ce que je vais te dire est très important. Comme tu peux le voir, j'ai de très bonnes sources, donc si j’apprends qu’une chose dérangeante se produit de nouveau, tu le regretteras. Je trouverai un nouvel entraîneur pour Oracle et je t’enverrai sur Terre comme appât pour les garous. Je suis certaine qu’ils seront ravis d’enfoncer leurs crocs et leurs griffes dans ta chair. Et puis, si ces menaces ne suffisent pas, ta tante favorite te suivra dans la tombe. Est-ce que tu comprends ?
Je me retins de répliquer et de lui sauter dessus. Elle était un véritable monstre. De quel droit pouvait-elle menacer ma tante Sachka ? Quel idiot j'étais ! Elle avait tous les droits, puisque c'était la reine.
— Vous vous êtes très bien fait comprendre, Votre Majesté.
— Bien.
— Puis-je disposer maintenant, Votre Majesté ? Comme vous le savez sûrement, un peu plus tôt je me dirigeais vers la forêt pour entraîner mon élève et je suis terriblement en retard.
— Oui, oui, bien sûr, va mon neveu. Oh ! j'oubliais une chose. Ne raconte rien de ce qui s'est passé ici à Oracle.
Je m'inclinai respectueusement et quittai la salle du trône en maudissant cette femme qui était la sœur de mon père. Si j'avais une si grande réputation, ce n'était pas simplement à cause de mes talents, j'étais également le neveu de la reine.
***
Cela faisait plus de trente minutes que j'attendais Alexandre, assise sur le sol. C'était la première fois qu’il arrivait en retard depuis qu’il m’entraînait. Habituellement, il était même en avance. Dormait-il encore ? J'en doutais fortement.
Je me relevai et regardai les alentours. Voulait-il me prendre par surprise ? Je soupirai en croisant les bras sur ma poitrine. J’attendis encore quelques minutes avant d’entendre des craquements de branches dans mon dos. Je me retournai et vis finalement mon aîné arriver.
— Eh bien, il était temps, je croyais que tu étais mort. Où étais-tu ?
Il continua de marcher sans même prendre la peine de me regarder. Je levai les yeux au ciel. Qu’avais-je fait pour mériter cela ? Il était en rogne.
— Que se passe-t-il ?
Toujours aucune réponse.
— Alexandre ?
— Peux-tu te taire pour une fois ? dit-il en se retournant finalement.
Je blêmis et reculai d'un pas. Il était terrifiant. Il ne démontrait peut-être aucune émotion, mais tout son corps était tendu. Ses poings étaient fermés, comme s'il avait envie de frapper quelqu'un, et sa mâchoire était crispée.
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de nous entraîner aujourd'hui, lui dis-je calmement.
— Tu crois que tu peux manquer une seule journée d'entraînement ? Tu es faible. Tu dois profiter de chaque jour qui passe pour t'entraîner, alors ne cherche pas à obtenir un jour de congé, chérie, me répondit-il d’une voix blanche.
— Ce n’est pas pour moi que je suggère cela. Tu es sur le point d’exploser, et je n’ai pas envie d’être la victime de ta crise de nerfs.
Pour être certaine que je n’allais pas être sa première victime, je m’assurai de reculer de quelques pas.
— Je vais parfaitement bien.
— Ce n’est pas l’impression que tu donnes.
— Nous commençons. Je suis le chat. Je te laisse dix secondes.
Je protestai, mais il sembla bien s’en ficher. Génial. Il était tellement sympathique lorsqu'il était fâché. Je partis au pas de course en décidant de laisser tomber l’interrogatoire. J’étais certaine qu’il était plus tête de mule que moi et je devais me concentrer sur mon entraînement.
Depuis quelques semaines, je ne ressentais presque plus l’épuisement lorsque je parcourais de longues distances. Je trouvais cela encourageant. Enfin quelque chose de positif dans ma vie !
Je me cachai près d'un rocher et tentai de me fondre dans le paysage. J'étais devenue meilleure à ce jeu de survie. Comme à son habitude, Alexandre arriva quelques secondes plus tard. Je détestais devoir l'attaquer en premier. Il parvenait toujours à m'intercepter avant que je puisse poser un seul doigt sur lui. J’attendais qu'il m'offre une ouverture pour l’attaquer lorsque j’eus une idée. Doucement, je pris un caillou qui traînait sur le sol et le lui lançai à la tête. Étant de dos, il eut de la difficulté à l’éviter. Là, maintenant, j'avais une ouverture. Je bondis hors de ma cachette et lui donnai un coup de pied sur les côtes. Quelque peu sonné par le coup précédent, il l'évita de justesse. Vite, je devais me dépêcher ! Je le frappai sans relâche et observai les alentours. Derrière lui, une roche assez grosse était suffisamment bien placée pour le faire trébucher. Je devais simplement trouver un moyen de le faire reculer. J'enchaînai les coups de pied et les coups de poing, ce qui l’obligea à reculer. Je tentai de nouveau de le frapper et il intercepta mon poing. Zut.
Il le tourna d’un mouvement sec, et mon bras suivit le mouvement. Dacre, que ça faisait mal ! J'étais maintenant dos à lui, un bras coincé entre lui et moi. Ce qui signifiait qu'il était près de moi…
Je me laissai tomber vers l’arrière et frappai Alexandre de plein fouet avec mon corps. Il dut me relâcher pour éviter de tomber sous l’effet de mon poids. Je me retournai aussitôt et le frappai pour lui faire perdre l'équilibre. Il m'évita de nouveau, et j’essayai cette fois d’atteindre sa mâchoire à l’aide d’un coup de poing. Après l’avoir esquivé, n’importe quel adversaire serait vulnérable pendant au moins une fraction de seconde. C'était le moment de frapper. Pour éviter le coup, Alexandre devait relâcher la tension dans son corps, et les cibles molles étaient très faciles à atteindre, selon lui. Malheureusement pour moi, il était prêt à accueillir mon coup.
Il me poussa vers l'arrière, et je tombai au sol sans comprendre ce qui m’arrivait. Il fondit rapidement sur moi, et je lui assénai un coup de pied au niveau de l'estomac. J'étais trop proche de la victoire pour abandonner. Étonnement, il ne broncha pas et lorsqu'il me prit les mains pour m’empêcher de le frapper, je lui donnai un coup de tête. J’avais déjà eu de meilleures idées. La douleur explosa dans mon crâne et je n'offris aucune résistance quand Alexandre m'immobilisa.
— J'ai encore perdu ?
Il me relâcha en hochant la tête. Si près du but. C'était frustrant.
— Je dois t'expliquer deux ou trois trucs avant que nous ne recommencions l'exercice. De un, lorsque tu essaies d'éviter quelqu'un, protège-toi en levant un bras et en rentrant les épaules, et dégage-toi en pivotant pour sortir de l'axe de l'attaque, ou esquive le coup ou l'agresseur en faisant un pas de côté ou en arrière. De deux, pour éviter de tomber, garde les jambes écartées et les genoux légèrement pliés. Ça te donnera plus d'équilibre. Lorsque tu ne parles pas, chose qui arrive rarement, garde la bouche fermée. Un coup bien placé sur une bouche ouverte peut briser une mâchoire.
Je le regardai en plissant les yeux. Il n’allait pas tenter de me faire cela au moins ?
— De plus, si ton adversaire est plus grand que toi, il y a des chances qu'il puisse frapper plus fort. Il peut suffire d'un seul coup de poing bien placé pour qu'il te mette hors combat. Tes futurs adversaires seront presque toujours plus grands et forts que toi puisque tu es une fille, donc sers-toi de ta rapidité. Aussi, tu dois faire attention à ton environnement lorsque tu te bats. Comme tout à l'heure, lorsque tu tentais de me faire trébucher sur une roche derrière moi. Comment crois-tu être tombée au sol ?
Je regardai derrière moi et ouvris la bouche. La roche en question était juste derrière moi.
— Tout peut être retourné contre toi, donc tu dois faire attention.
Je refermai la bouche avant de le regarder de la tête aux pieds. Je lui étais reconnaissante qu’il me dise toutes ces informations, seulement…
— Attends une minute, pourquoi me dis-tu toutes ces choses maintenant ? Pourquoi pas plus tôt ?
— Car tu commences à développer tes sens pour le combat.
Je me relevai et me mis à sautiller. Commencer à développer mes sens pour le combat, quelle excuse lamentable ! Il l’avait fait exprès, j’en étais sûre et certaine. Il allait le regretter.
— Bien, c'est à mon tour d'être le chat, lui rappelai-je joyeusement.
Il allait le regretter, c’était certain.